Le Rallye Dakar de retour en Algérie ? Non, merci !
Selon des médias à Alger, le ministère algérien de la Jeunesse et des Sport, El Hadi Ould Ali, et la Fédération algérienne des sports mécaniques (FASM) ont donné leur accord technique au groupe français Amaury Sport Organisation (ASO), gérant du Rallye Dakar, pour relancer cet événement. Mais la partie algérienne, d'après un média local, ne souhaite pas assumer seule les frais et la logistique de cette course, comme le demande l’organisateur français.
Le Rallye Dakar veut donc revenir en terres africaines dix ans après son départ vers l’Amérique latine ou l’Europe de l’Est.
Lors de ses dix premières éditions, de 1979 à 1988, la course s’appelait alors Paris-Alger-Dakar. Mais les violences des années 1990 en Algérie ont entraîné un changement d’itinéraire vers le Maroc puis la Mauritanie.
Puis les menaces de l’ex-émir du Sahara d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Mokhtar Belmokhtar, contre la course en 2008, ont décidé les organisateurs à annuler la compétition et à se délocaliser en Amérique du Sud. Cette annulation a coûté, à l’époque, près de douze millions d’euros (hors droits de retransmission à la télévision) aux organisateurs de l’ASO.
La toute dernière édition du Rallye Dakar s’est tenue en Amérique du Sud, début janvier 2018 : à partir de Lima au Pérou, près de 500 pilotes (auto, moto, quad ou camion) ont parcouru 8 700 kilomètres pour arriver à Cordoba en Argentine.
Dans une tribune parue en 2014 dans le quotidien français Le Monde, le délégué général de l’association Agir pour l’environnement, Stéphen Kerckove, s’indigne : « En quinze jours à peine, quelques 575 véhicules vont ainsi sillonner les routes, pistes et déserts de l’Argentine, de la Bolivie et du Chili. Avec une étonnante mansuétude, le groupe audiovisuel public érigera en modèle de vertu un rallye qui aura provoqué le décès de plus de 60 personnes, détruit en trois ans 184 sites archéologiques au Chili et qui banalise la vitesse là où il serait nécessaire de rappeler la dangerosité de cette conduite à risque. Automobiles, quads, motos et camions d’une dizaine de tonnes chacun vont ainsi traverser des sites exceptionnels, contribuant à détruire des espèces menacées. En parcourant au total plus de quatre millions de kilomètres, les concurrents vont gaspiller l’équivalent d’un million de litres de carburant et rejeter directement 15 000 tonnes de CO2 ».
Désastre archéologique
Et d’après Carlos Lemus, membre de la Société d’anthropologie de La Paz, cité par Médiapart, les ruines archéologiques qui se trouvaient le long du parcours du Dakar 2016, « ont toutes souffert de dommages irréparables ».
« Les plus remarquables se trouvaient autour d’Uyuni, notamment Ayquepucara, au pied du Tunupa, où les pièces archéologiques aymaras affleurent », précise-t-il. « Les autorités ont été avisées de la destruction de ces gisements dès 2014. Les fonctionnaires l’ont constaté, mais ils n’ont rien fait par crainte de représailles. Le dommage s’accroît d’années en années. »
Autre témoignage tout aussi virulent : celui de Pablo Solon, militant altermondialiste et fervent écologiste, ex-ambassadeur de la Bolivie aux Nations unies. « Le Dakar est un spectacle de promotion des transnationales qui lèsent le plus profondément la Terre Mère en extrayant ses combustibles fossiles. La participation à la compétition demande un apport minimum de 80 000 dollars et exige l’appui de sponsors. Les valeurs qu’elle propage sont celles de la conquête et de la colonisation », rappelle-t-il. « C’est pour cela que les organisateurs choisissent des routes spectaculaires qui sont supposées inexplorées, pour montrer comment leurs bolides sont capables de dominer la nature ».
« Il faudrait essayer d'imaginer ce que pourrait donner un rallye qui aurait causé la mort de 60 personnes en traversant des villages de la Creuse ou de la Saône-et-Loire »
- Association Agir pour l'environnement
En 2015, un rapport rédigé par les députés chiliens a signalé que les dernières éditions du Dakar avaient détruit plus de 44 % des sites archéologiques présents sur le tracé du rallye dans le désert d’Atacama.
À cela, il faut aussi rajouter les cas de décès lors de la course : selon un décompte du journal Le Monde en 2016, le rallye-raid a fait 73 morts en 37 éditions – la Mauritanie étant le pays où le plus grand nombre de décès (quatorze morts) a été enregistré, devant le Mali (douze morts) et enfin l’Argentine (huit morts). Les accidents sont fatals pour les pilotes mais aussi pour les accompagnants, les spectateurs, les journalistes ou les villageois.
Pour avoir une mesure de cette course et de ses dégâts, l’association Agir pour l’environnement a établi un parallèle édifiant : « Il faudrait essayer d'imaginer ce que pourrait donner un rallye qui aurait causé la mort de 60 personnes en traversant des villages de la Creuse ou de la Saône-et-Loire avec des véhicules surpuissants qui détruisent sur leur passage des écosystèmes fragiles. À un moment, on n'arrive même pas à imaginer que ce spectacle puisse perdurer alors qu'aujourd'hui tous les signaux sont au rouge. C'est un anachronisme ».
« La Fondation pour la défense de l’environnement (FUNAM), ONG avec statut consultatif aux Nations unies, a présenté une dénonciation pénale contre les fonctionnaires provinciaux et nationaux pour leur inaction devant l’imminente réalisation du Dakar 2015 à Cordoba et dans d’autres provinces argentines », selon le Comité Amérique latine du Jura.
Cette année-là, en 2015, l’Équateur a refusé d’accueillir le Rallye Dakar, les autorités de ce pays ayant affirmé qu’il s’agissait d’un « évènement coûteux, réalisé au bénéfice d’une entreprise privée ».
D’après RFI, « plusieurs organisations environnementales et d’archéologues du Pérou, du Chili et d'Argentine ont dénoncé les dégâts irréparables occasionnés par le passage du Dakar ces dernières années et ont annoncé des poursuites judiciaires contre l’organisateur du rallye, ASO, et contre les responsables politiques qui ont autorisé la tenue de la course dans ces pays ».
Course anachronique
Dans un long texte fouillé, Paul Ariès, du Collectif anti-Dakar, politologue, directeur de la revue Les Zindigné(e)s et auteur du livre Les sports mécaniques, une arme de destruction massive, recontextualise cet « événement sportif » sous un angle historique.
« Le Dakar prolonge les conflits de mémoire entre les anciens pays colonisateurs et les pays colonisés, entre ceux qui prétendaient apporter la civilisation et les ‘’barbares’’, même si le ‘’barbare’’, ce n’est plus le ‘’bon sauvage’’ [encore que] mais la nature sauvage et exubérante, même si le ‘’civilisé’’, ce ne sont plus le soldat, le curé et le maître d’école, mais le pilote, l’humanitaire, le chef d’entreprise », écrit-il.
« Aux origines du Dakar, se trouve le Nice-Dakar-lac Tchad-Congo en motocyclette. Le 10 novembre 1926, le chroniqueur de la Revue des sports mécaniques ne fait alors pas dans la dentelle : ‘’Je ne suis pas négrophile ! J’aime le bon noir doux et spontané (…) Que parmi les noirs, il y ait une élite intellectuelle digne de respect, égale aux blancs, je ne le nie point, mais ce qui nous blesse c’est de voir la généralité de nos ‘’frères noirs’’ assimilée à nous-mêmes’’. »
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C’est cette course anachronique et polluante, porteuse des intérêts des puissances de l’argent et de l’industrie automobile que les autorités algériennes, soutenues par des lobbys du sponsor, veulent réinviter en Algérie, dans le Sahara où la fragilité de l’écosystème ne peut être protégé par des pouvoirs publics qui ne rêvent que de tourisme de masse, comme cela a été démontré avec le bétonnage d’une partie du littoral algérien.
C’est pour cela que les pouvoirs publics doivent cesser de croire aux illusoires vœux des organisateurs et de leurs relais en Algérie qui parlent des dividendes assurés pour le tourisme et le sport algériens.
Le tourisme algérien connaît un nouvel élan, grâce aux professionnels du secteur qui développent le tourisme écoresponsable, respectueux du patrimoine et de l’environnement. Le sport algérien n’a pas besoin des machines de guerre déguisées en sponsors de multinationales mais d’une véritable politique endogène et courageuse.
La beauté du Sahara n’a pas besoin de cette orgie de milliards et de pots d’échappement hurlants : elle se suffit à elle-même et mérite de l’amour, de la passion et de la protection.
Alors, pour le retour du Rallye Dakar en Algérie : non, merci !
- Adlène Meddi est écrivain algérien et journaliste pour Middle East Eye. Ex-rédacteur en chef d’El Watan Week-end à Alger, la version hebdomadaire du quotidien francophone algérien le plus influent, collaborateur pour le magazine français Le Point, il a signé trois thrillers politiques sur l’Algérie et co-écrit Jours Tranquilles à Alger (Riveneuve, 2016) avec Mélanie Matarese. Il est également spécialiste des questions de politique interne et des services secrets algériens.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : En janvier 2018, la course du Dakar a traversé 8 700 kilomètres en Amérique du Sud avec la participation de près de 500 pilotes (Tweeter).
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