Les rêves de gaz de schiste de l’Algérie ? Un cauchemar pour les habitants
En théorie, le projet semble être la solution idéale à de nombreux problèmes de l'Algérie.
Selon l'Administration de l'information sur l’énergie du gouvernement américain, l'Algérie possède de vastes ressources en huile et gaz de schiste avec environ 5,7 milliards de barils récupérables d'huile de schiste et les plus grands gisements de gaz de schiste au monde après ceux de la Chine et de l’Argentine.
« Toutes les sources d'énergie, qu'elles soient conventionnelles ou non, sont un don de Dieu et il est de notre devoir de les utiliser pour le développement du pays »
- Le président algérien Abdelaziz Bouteflika
L'idée, qui mijote depuis quatre ans, consiste à exploiter ces ressources énergétiques dites non conventionnelles en les utilisant non seulement pour engranger des milliards de dollars d’exportations vers l'Europe et ailleurs, mais aussi pour alimenter un marché national qui a de plus en plus soif d'énergie. Le gouvernement algérien a déclaré qu'il consacrerait 70 milliards de dollars au projet du schiste.
« Toutes les sources d'énergie, qu'elles soient conventionnelles ou non, sont un don de Dieu et il est de notre devoir de les utiliser pour le développement du pays », a déclaré Abdelaziz Bouteflika, le vieillissant président algérien.
Cependant, malgré un battage médiatique considérable et plusieurs années de planification, peu de choses ont été réalisées jusqu'ici – le gouvernement semble incapable ou peu disposé à affronter divers facteurs environnementaux, politiques et sécuritaires entravant les opérations d'exploration.
Exploitation excessive
À environ 1 000 km au sud-est d'Alger, la ville d'In Salah et ses environs, au fin fond du désert du Sahara, comptent un peu plus de 30 000 habitants qui dépendent pour la plupart d’une agriculture nomade.
En 2014, le conglomérat pétrolier et gazier Sonatrach, détenu par l'État a foré deux puits de gaz de schiste pour des recherches exploratoires, près de la ville. Les résultats ont été décrits par le ministre de l’Énergie de l’époque, Youcef Yousfi, comme « très prometteurs », prouvant l’existence de « ressources vitales à exploiter ».
La population locale n'a pas partagé l'enthousiasme du gouvernement pour l'exploration des schistes. Prenant apparemment le gouvernement par surprise, des milliers de personnes se sont rassemblées à In Salah et dans les villes voisines début 2015 pour protester.
Le forage des gisements de schiste – un processus appelé fracturation hydraulique ou fracking – implique d’injecter profondément sous terre par le biais d’un pompage à haute pression des millions de litres d'eau ainsi que des produits chimiques et du sable. La roche de schiste est alors fracturée, libérant du gaz et de l'huile.
L'Algérie est l'un des pays les plus secs de la planète, avec une disponibilité en eau douce par habitant de seulement 300 mètres cubes par an, contre plus de 8 000 litres aux États-Unis et plus de 2 000 au Royaume-Uni.
Les habitants du sud de l'Algérie dépendent pour la quasi-totalité de leur consommation d’eau des ressources pompées dans un aquifère profondément enfoui sous le Sahara.
Certains manifestants ont déclaré que le forage du schiste déposséderait les populations locales de leur eau et que les produits chimiques pourraient polluer l'aquifère – qui est déjà menacé par une exploitation excessive de ses ressources.
À mesure que les manifestations s’intensifiaient, la police et les troupes ont été envoyées sur place. Des sit-in ont été organisés devant des installations pétrolières étrangères.
« Nous ne sommes pas des cobayes. Notre eau est tout ce que nous avons – nous en avons besoin pour arroser nos cultures et nourrir nos animaux »
- Un manifestant anti-gaz de schiste
Les manifestants n’étaient pas seulement en colère contre les conséquences environnementales du fracking. Depuis de nombreuses années, les habitants du Sud se sentent ignorés en matière de développement économique et social.
Bien que les territoires du Sud de l'Algérie représentent près de 90 % de la superficie totale du pays, ils ne contiennent que 9 % de la population.
« Nous ne sommes pas des cobayes », avait déclaré un manifestant. « Notre eau est tout ce que nous avons – nous en avons besoin pour arroser nos cultures et nourrir nos animaux. »
Le gouvernement a accusé les manifestants d'être à la solde de puissances étrangères qu’il n’a pas nommées. Des gaz lacrymogènes ont été tirés, plusieurs manifestants ont été blessés. Beaucoup ont été arrêtés puis emprisonnés.
Amnesty International a déclaré à Middle East Eye que le dernier des manifestants emprisonnés à la suite des manifestations d'In Salah avait été fin de 2016.
Obstacles imminents
Le gouvernement est clairement nerveux à l’idée que d'autres troubles puissent survenir. Youcef Yousfi aurait perdu son poste de ministre de l'Énergie à la mi-2015 en raison de sa mauvaise gestion des manifestations, rapporte-t-on.
Son successeur, Salah Khebri, a duré un peu plus d'un an à ce poste avant d'être remplacé par l'actuel titulaire, Noureddine Bouterfa.
Le projet de gaz de schiste fait face à d'autres obstacles. Alors que l'Algérie dispose d'un secteur pétrolier et gazier très développé, son industrie de la fracturation hydraulique a besoin à la fois d'expertise étrangère et de capitaux pour décoller.
Les manifestations pourraient être l'une des raisons pour lesquelles la plupart des entités étrangères semblent jusqu'à présent réticentes, mais les problèmes de sécurité sont un autre facteur.
Au début de 2013, 40 employés d’une implantation gazière, près d’In Amenas, opérée par la norvégienne Statoil conjointement à BP et Sonatrach ont été tués dans une attaque menée par les hommes de Mokhtar Belmokhtar, que l’on dit venus de Libye.
Une autre centrale gazière près d'In Salah, exploitée par les mêmes entreprises, a été attaquée par al-Qaïda l'année dernière à l’aide d’une grenade propulsée par roquette – cette fois, aucune victime n'a été signalée.
Les inquiétudes suscitées par le changement climatique et par un mouvement croissant d’opposition aux combustibles fossiles en Europe préoccupent également certains investisseurs.
L'Algérie elle-même a connu des changements climatiques, frappée par un nombre inhabituellement élevé de vagues de chaleur ces dernières années. Les précipitations dans toute la région de l'Afrique du Nord sont devenues plus irrégulières.
Nervosité des investisseurs
Des facteurs économiques pourraient également dissuader les entreprises étrangères de se précipiter sur la manne énergétique algérienne. Le pétrole et le gaz représentent environ 60 % des recettes publiques et plus de 95 % des recettes d'exportation. Cela fait de Sonatrach la force économique la plus puissante du pays.
Au fil des années, le mastodonte de l'État a renforcé jalousement son contrôle sur la richesse énergétique du pays. En dépit de diverses réorganisations et réformes, la Sonatrach insiste toujours pour conserver une part majoritaire dans tous les projets pétroliers et gaziers, une politique qui tend à dissuader davantage les investissements étrangers.
Plus généralement, c’est la stabilité politique globale du pays qui est source d’inquiétude. Le président Bouteflika, qui dirige le pays depuis dix-sept ans et est âgé de 80 ans, est très rarement vu en public depuis son AVC au printemps 2013.
Les rumeurs laissent entendre qu’une intense lutte pour le pouvoir se déroule en coulisses et les plus pessimistes avertissent de l’éventualité d’une autre guerre civile, semblable à celle des années 1990, lors de laquelle jusqu'à 200 000 personnes auraient été tuées.
Le gouvernement est de plus en plus à court d’argent, ses recettes pétrolières étant en baisse de 40 % depuis la mi-2014 en raison de la chute des prix. Les ressources existantes en combustible fossile non schisteux sont en train de s’épuiser et la production est statique ou en déclin dans de nombreuses régions.
Si le gouvernement décidait de revoir à la baisse la politique de subventions pour l’électricité, l'eau et les produits alimentaires, cela risquerait de provoquer davantage de troubles publics.
Pourquoi ne pas opter pour le solaire ?
Certains experts en énergie soutiennent qu'au lieu d'engloutir des milliards de dollars dans le développement du schiste, l'Algérie devrait suivre l'exemple du Maroc, qui investit dans le domaine des énergies renouvelables, en particulier l’énergie solaire.
Cependant, le régime national de subvention, qui signifie que les prix de l'électricité en Algérie sont parmi les moins chers de la région MENA, dissuade les investisseurs du secteur solaire et les projets d'exportation d'énergie solaire vers l'Europe n'en sont encore qu'à un stade très précoce.
Pendant ce temps, dans le Sud, les manifestations contre le gaz de schiste se sont progressivement éteintes mais les manifestants demeurent actifs. Mohand Gasmi a joué un rôle clé dans la mobilisation contre le forage de puits de schiste dans la région d'In Salah.
Récemment, lors d’un entretien avec le groupe d'action contre le changement climatique 350.org, Mohand a déclaré que les habitants du Sud ne toléreraient plus d'être ignorés et marginalisés.
« Nous avons le mécanisme d'action et les gens prêts à agir », a-t-il averti. « Dès qu’un puits de schiste apparaîtra, nous serons là pour protester. »
- Kieran Cooke, ancien correspondant à l’étranger pour la BBC et le Financial Times, collabore toujours avec la BBC et de nombreux autres journaux internationaux et radios.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des Algériens manifestent contre l'exploration du gaz de schiste à In-Salah le 5 mars 2015 (AFP)
Traduit de l'anglais (original) par Monique Gire.
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