L’accord entre la Turquie et Israël devrait être une manne de gaz au Moyen-Orient
La Turquie et Israël étant sur le point de reprendre leurs relations diplomatiques après six ans d’interruption, il serait négligent de ne pas mentionner le rôle du gaz naturel dans cette affaire.
En 2010, Israël a découvert le gisement de gaz Léviathan au large de ses côtes, une découverte gigantesque : plus de 450 milliards de mètres cubes de gaz naturel pour une valeur de 95 milliards de dollars. Cette découverte était depuis empêtrée dans les obstacles réglementaires, et ce jusqu’en juin de cette année. Le revers de fortune en matière de gaz naturel d’Israël a naturellement attiré l’attention de la Turquie.
Le gouvernement israélien a récemment approuvé un nouveau cadre réglementaire qui a été initialement retardé par la Cour suprême en raison d’inquiétudes relatives au monopole. Les sociétés derrière le gisement Léviathan exploitent également le champ gazier Tamar, qui avait été découvert à peine un an plus tôt. L’un des plus grands gisements de gaz découverts ces dix dernières années étant maintenant prêt à être exploité, la Turquie est aujourd’hui tout ouïe et les conséquences de l’incident du Mavi Marmara appartiennent désormais au passé. Difficile de minimiser l’importance du gaz naturel pour les deux pays.
Pour la Turquie, il s’agit surtout de servir de relais énergétique vers l’Europe, ce qui pourrait également conduire à une plus grande influence dans le cadre de la politique européenne au Moyen-Orient et à une plus grande influence géostratégique globale. Le gazoduc transanatolien est déjà en construction depuis l’Azerbaïdjan et le gazoduc Turkish Stream revient sur la table après la reprise des relations avec la Russie ; la normalisation des relations avec Israël n’est donc pas cher payée pour parvenir à une plus grande diversification des marchés.
En revenant dans la discussion sur le gaz de Méditerranée orientale, la Turquie détourne l’attention de l’Égypte, de Chypre et de la Grèce et ramène l’attention d’Israël sur un transit de son gaz par le territoire turc. Cela permet également à la Turquie de commencer à envoyer de l’aide à la bande de Gaza – justification dont la Turquie peut se servir pour présenter la normalisation à ceux qui pourraient critiquer un tel rapprochement. Avec ses intérêts énergétiques existants en Israël, la Turquie serait prête à mettre jusqu’à 2,5 milliards de dollars pour la construction d’un éventuel gazoduc.
Israël rejoint le club des exportateurs d’énergie
Du point de vue d’Israël, tout est limpide. Le succès du développement du gisement Léviathan constitue un moment déterminant dans l’histoire du pays qui passerait du statut d’importateur d’énergie à celui d’exportateur.
Le fait que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou ait fait preuve d’une humilité inhabituelle non seulement en présentant des excuses à la Turquie pour l’incident du Mavi Marmara, mais aussi en versant 20 millions de dollars en compensation aux familles des travailleurs humanitaires turcs reflète l’importance stratégique de la Turquie pour Israël. Alors qu’Israël peut exporter vers les pays voisins comme l’Égypte et la Jordanie, la possibilité d’envoyer son gaz vers l’Europe changerait totalement le paysage énergétique, faisant d’Israël un atout encore plus vital pour l’Occident qu’il ne l’est déjà.
Le gaz israélien réduirait la dépendance au gaz russe de l’Europe, relâchant ainsi l’emprise de la Russie sur le marché européen, mais il y aura des défis. Israël devra regagner la confiance des investisseurs après son fiasco réglementaire et convaincre les entreprises d’investir dans son secteur de l’énergie dans un climat de bas prix du gaz.
Sur le plan géopolitique, Israël devra faire des concessions à Chypre pour être en mesure de construire un gazoduc dans ses eaux territoriales étant donné le grief historique de Chypre contre la Turquie. Chypre peut avoir quelque chose à gagner puisque son propre champ gazier Aphrodite peut ajouter de la capacité au gazoduc, ce qui le rendrait d’autant plus important.
Les États-Unis derrière l’accord pour court-circuiter la Russie
Un gazoduc reliant Israël à la Turquie serait une victoire stratégique pour les États-Unis. Il n’y aurait rien de mieux pour ces derniers que le fait que leur allié le plus proche au Moyen-Orient puisse changer la dynamique énergétique européenne et réduire l’influence de la Russie par là même.
Il n’est peut-être guère surprenant que les États-Unis aient négocié les excuses de Netanyahou à la Turquie en premier lieu. Cette initiative amorce également le retour de la Turquie dans la sphère d’influence des États-Unis et de l’OTAN après une relation post-coup d’État acrimonieuse qui reste un sujet de discorde entre les deux pays.
Une éventuelle collaboration en matière de gaz naturel israélien à la fois avec l’Égypte et la Jordanie assurerait également la stabilité des deux principaux alliés arabes des États-Unis dans une région pleine d’instabilité. Ne vous méprenez pas : les États-Unis seraient le bénéficiaire ultime de tout gazoduc entre Israël et la Turquie.
Il ne fait aucun doute que la Russie et l’Iran vont observer de très près tout développement entre la Turquie et Israël.
- Aurangzeb Qureshi est un analyste politique qui écrit sur la géopolitique de l’énergie et la justice sociale au Moyen-Orient. Il est le fondateur de GeoPipelitics.com ; ses analyses et commentaires sont parus dans des publications telles que Al-Jazeera English, Al-Arabiya English, Foreign Policy Journal et Business Insider, entre autres. Vous pouvez le suivre sur Twitter @aqureshi.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : panneau d’affichage sur une rue principale de la ville d’Ankara remerciant le Premier ministre turc devenu aujourd’hui président, Recep Tayyip Erdoğan, avec le message « Nous vous sommes reconnaissants », à Ankara, le 25 mars 2013, trois jours après les excuses présentées à la Turquie par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou pour la mort de neuf citoyens turcs à bord d’une flottille à destination de Gaza en 2010 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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