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Le Parti travailliste israélien opte pour l’apartheid

Après avoir défendu la solution à deux États pendant plus de vingt ans, le Parti travailliste israélien a décidé que celle-ci n’était plus pertinente et a opté pour une séparation unilatérale

Alors que j’assistais au congrès du Parti travailliste en début de semaine dernière, convoqué pour ratifier le « plan de séparation » de son leader Isaac Herzog, j’ai eu une petite conversation avec un de ses militants. « Le modèle de séparation n’a pas abouti à la paix par le passé, lui ai-je dit. Pourquoi devrait-il fonctionner aujourd’hui ? » Le militant travailliste m’a adressé un regard réprobateur. « Avez-vous entendu le mot "paix" ?, m’a-t-il demandé. Personne ne parle de paix ici. Qui souhaite la paix ? »

Le militant avait raison. Dans le discours d’Isaac Herzog précédant le congrès travailliste, le mot « paix » a été rarement prononcé. Il a affirmé être toujours dévoué à la vision à deux États, mais que « malheureusement [...], celle-ci est impossible à réaliser » pour le moment. Ce qui pourrait être réalisé, ce serait une séparation unilatérale avec les Palestiniens visant à empêcher la création d’un « État arabo-juif », dans lequel, « Dieu nous en préserve, un Arabe sera élu maire de Jérusalem ».

La renonciation de Herzog aux efforts pour parvenir à la solution à deux États a été bien évidemment saluée par le Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui a promis cette semaine d’entourer Israël avec une barrière afin de défendre le pays de la « bête sauvage » qui rôde autour. « Bonjour, Bougie [le surnom de Herzog], bienvenue au Moyen-Orient », a lancé Netanyahou à Herzog au Parlement.

Alors que le Parti travailliste a fait de la négociation d’une solution à deux États sa principale politique il y a plus de vingt ans, suite aux accords d’Oslo menés par le Premier ministre Yitzhak Rabin, le glissement vers une séparation unilatérale sans prendre la peine de parvenir à un accord avec les Palestiniens peut sembler spectaculaire. Pourtant, la vérité est que l’idée d’une séparation imposée est solidement ancrée dans l’histoire du mouvement travailliste sioniste.

Les premiers penseurs du sionisme avaient appelé à l’« occupation de la main-d’œuvre » par les travailleurs agricoles juifs pour remplacer les travailleurs palestiniens présents à l’origine. Le boycott des produits arabes avait également été considéré comme un outil politique efficace pour encourager la création d’un système économique juif distinct.

La main-d’œuvre hébreue ou la main-d’œuvre juive étaient des notions clés du mouvement sioniste travailliste du début du XXe siècle. Le principal syndicat sioniste, la Histadrout, formée en 1920, n’a accepté des membres arabes pour la première fois qu’en 1960. Il est juste d’affirmer que certaines pratiques adoptées aujourd’hui par les organisations israéliennes d’extrême droite et racistes, comme la surveillance des employeurs qui embauchent des travailleurs arabes, prennent racine dans les notions formulées par les penseurs travaillistes sionistes.

« Nous ne sommes pas venus ici pour organiser qui que ce soit, et nous ne sommes pas ici pour répandre l’idée socialiste auprès de qui que ce soit [d’autre] », a écrit David Ben Gourion, leader historique du mouvement travailliste sioniste et premier Premier ministre d’Israël, dans son célèbre livre De la classe au peuple (1933). « Nous sommes ici pour établir une patrie de travail pour le peuple juif. »

Cette tradition est restée profondément ancrée dans la politique moderne du mouvement travailliste israélien. Au moins au départ, Rabin considérait les accords avec les Palestiniens comme un outil pour les séparer d’Israël plutôt qu’un moyen de se réconcilier avec eux.

Ehud Barak, le dernier dirigeant travailliste à avoir été élu Premier ministre, en 1999, doit beaucoup de son succès à l’expression qu’il a formulée : « Nous [les Israéliens], ici ; eux [les Palestiniens], là-bas ». Après l’échec du sommet de Camp David en 2000, il a entrepris de convaincre l’opinion publique israélienne que Yasser Arafat et les Palestiniens en général ne constituaient pas des partenaires.

Son succès a dépassé toutes les attentes.

Après le début de la seconde Intifada quelques mois plus tard, c’est un ministre travailliste, Haïm Ramon, qui a commencé à préconiser la construction d’une barrière entre la Cisjordanie et Israël. La décision prise par le Premier ministre Ariel Sharon de construire le mur de séparation aujourd’hui diffamé a été saluée en 2002 comme une victoire des politiques du Parti travailliste.

Pourtant, tout au long de ces années, cette politique de séparation a été dépeinte par le Parti travailliste non pas comme un objectif en soi, mais comme un outil pour atteindre un but plus élevé, à savoir un accord de paix avec les Palestiniens basé sur la solution à deux États. Mettre l’accent sur la séparation, a-t-on soutenu, permettrait à l’opinion publique juive d’avaler plus facilement l’idée d’un État palestinien indépendant et de la fin de l’occupation israélienne.

En ce sens, le plan de Herzog entre en rupture avec ce passé. S’il fixe bel et bien la solution à deux États comme objectif ultime, ce plan rejette toutefois l’idée que celle-ci pourrait être atteinte dans un avenir prévisible. L’accent est mis uniquement sur les besoins d’Israël en matière de sécurité. Les Palestiniens ne sont plus considérés comme un partenaire politique.

Herzog propose de compléter le mur de séparation autour des blocs de colonies et de diviser ainsi la Cisjordanie en enclaves qui correspondront à peine entre elles. Il propose également d’ériger un mur autour de quelques-uns des « villages » palestiniens (un euphémisme pour désigner des quartiers à proprement parler) autour de Jérusalem qui ont été annexés en 1967 et de donner le contrôle civil de ces zones à l’Autorité palestinienne.

Cette démarche reviendrait à priver des centaines de milliers de Palestiniens de Jérusalem de leur accès au cœur de la ville palestinienne et des droits civils et sociaux qu’ils ont acquis au cours de 48 années d’annexion israélienne.

Haïm Ramon, qui a lancé son propre plan de séparation sous le slogan « Sauver la Jérusalem juive », estime qu’Israël économiserait jusqu’à trois millions de shekels (environ 700 millions d’euros) en prestations sociales qui sont versées aujourd’hui à ces habitants palestiniens.

Pourtant, selon Herzog, Ramon et les autres spécialistes de la séparation qui fleurissent maintenant au sein du centre gauche israélien, l’armée israélienne ne se retirerait pas jusqu’aux lignes de séparation imposées aux Palestiniens. Celle-ci maintiendrait sa présence aux quatre coins de la Cisjordanie. En somme, Israël conservera le contrôle de la Cisjordanie. Seuls les Palestiniens seront « séparés ». Pas étonnant que certains aient proposé de traduire la notion de plan de « séparation » en afrikaans, par le terme « apartheid ».

Il est vrai qu’avant même sa dernière proposition, le Parti travailliste (qui fait maintenant partie du camp sioniste) était plutôt faible et que sa capacité à influencer les politiques du gouvernement ou l’opinion publique en général était limitée. Pourtant, le fait que le parti ait adopté officiellement le point de vue de Netanyahou quant à la pertinence de la solution à deux États signifie qu’il ne remet même pas en question les notions du Premier ministre.

Cette impression est davantage renforcée à l’écoute de l’autre grand parti de centre gauche : Yaïr Lapid, du parti Yesh Atid, répète sans cesse la nécessité « de se débarrasser des Palestiniens ». À l’exception de Meretz, qui compte cinq sièges sur 120 au parlement, le centre gauche juif ne représente pas de véritable défi pour la politique du gouvernement vis-à-vis des Palestiniens.

Curieusement, cela signifie que la Liste commune dirigée par Ayman Odeh demeure la seule véritable opposition cohérente à la poursuite de l’occupation israélienne. Dans le long terme, cette situation pourrait réorganiser la gauche israélienne autour d’axes moins ethniques en impliquant les juifs et les Palestiniens dans une lutte politique commune.

Mais cela reste un rêve lointain en Israël. À court terme, le plan de séparation travailliste est le meilleur cadeau que Netanyahou pouvait espérer.

- Meron Rapoport, journaliste et écrivain israélien, a remporté le prix Naples de journalisme grâce à une enquête qu’il a réalisée sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Isaac Herzog, co-leader du parti Union sioniste et leader du Parti travailliste, s’exprime lors d’une conférence de presse au Club de la presse de Jérusalem, le 10 février 2016 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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