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Le Ramadan au Maroc : intolérance pendant le mois de la compassion

Il semble que l’intolérance qui se manifeste pendant le Ramadan ait augmenté au détriment des libertés individuelles. Cela ne devrait pas se produire dans un Maroc moderne

CASABLANCA, Maroc – Les Marocains célèbrent le mois sacré du Ramadan en faisant preuve de compassion envers ceux qui cherchent à accroître leur inventaire de bonnes actions et d’intolérance envers ceux qui ne veulent pas observer le jeûne.

Les mosquées sont pleines à craquer de fidèles rassemblés pour le tarawih, une série de prières supplémentaires et optionnelles qui se réalisent le soir pendant le Ramadan, le mois du calendrier islamique durant lequel le Coran a été révélé au prophète Mohammed.

De nombreux magasins vides se transforment en mosquées afin d’héberger la multitude de fidèles, pour le plus grand plaisir de certains habitants mais au grand dam d’autres, tandis que des personnes parcourent de longue distance en voiture pour prier avec leur moqri’e préféré (personne qui dirige la prière). Mais des scènes chaotiques font éruption quand des fidèles irresponsables se garent d’une façon qui gêne la circulation, ignorant les klaxons répétés émis par les voitures coincées dans les embouteillages, dans un vacarme insupportable pour le voisinage.

On peut se demander à quoi cela sert de respecter l’éthique de la mosquée si on méprise en même temps les codes de base de la conduite ?

Le Ramadan est un mois de piété, de dévotion et de bonnes actions, censé rappeler aux plus chanceux la souffrance des pauvres. De fait, la charité atteint son pic au cours de cette période, durant laquelle de nombreuses associations et volontaires mobilisent leurs efforts pour distribuer gratuitement des repas d’iftar (rupture du jeûne) aux personnes démunies et aux malades à travers le Maroc.

L’association al-Wifaq à Casablanca, par exemple, a pour objectif cette année de distribuer plus de 12 000 repas par jour, comparé à environ 8 000 l’année dernière. Pour ceux qui voyagent, certains restaurants offrent des iftars gratuits dans de petits villages où sont clairement visibles sur le bord des routes les bienfaiteurs invitant les gens à les rejoindre.

Envolée des prix

À Casablanca, la plus grande ville du Maroc et la capitale économique du pays, les quartiers populaires sont en effervescence, animés par les nombreux vendeurs de rue proposant fruits, légumes, pain et autres denrées alimentaires qui orneront les tables d’iftar des jeûneurs. Cependant, les prix de certains produits de grande consommation tels que les œufs et le poisson ont grimpé en flèche, au grand désespoir des consommateurs qui ne comprennent pas pourquoi et se plaignent sur les réseaux sociaux de ces abus inacceptables dans les marchés d’un pays dont la côte s’étend sur plus de 3 500 km.

Un mouvement de protestation a été créé sur Facebook et une pétition lancée sur Avaaz appelant le Premier ministre marocain Abdel-llah Benkiran à contrôler l’envolée des prix du poisson.

Ce débat enflammé sur les réseaux sociaux n’est pas nouveau. Chaque année, nous sommes témoins du même problème pendant le Ramadan, et ce malgré la promesse du gouvernement que de nombreux produits alimentaires seront mis à disposition à des prix abordables. La classe laborieuse se retrouve ainsi à fouiller au plus profond de ses poches pour tenter de joindre les deux bouts pendant ce mois sacré. Alors que le Ramadan doit nous rappeler la souffrance des moins bien lotis, la surconsommation et le gaspillage de nourriture y sont la norme dans la plupart des foyers et la spiritualité est devenue insignifiante.

Face à l’impuissance du gouvernement à contrôler les prix, les foyers marocains sont contraints d’augmenter leur budget alimentaire, qui atteint pendant le Ramadan plus de 37 % du budget total des dépenses des familles. Cette augmentation des dépenses alimentaires affecte toutes les catégories de la population, selon le Haut-Commissariat au plan.

Ceux qui n’observent pas le jeûne

Le Ramadan est en outre un mois de restrictions des libertés individuelles pour certains Marocains.

Les arrestations de personnes qui ne jeûnent pas font en effet la une des journaux, suscitant un débat houleux sur cette question controversée qui revient sous le feu des projecteurs à chaque Ramadan.

Tout a commencé il y a sept ans, quand le Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles (MALI) a provoqué une controverse majeure en essayant d’organiser un déjeuner collectif en public pendant le Ramadan pour braver l’article 222 du code pénal marocain.

Cet article stipule que « Celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du Ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni d’une peine d’emprisonnement allant d’un à six mois et d’une amende de 200 à 500 dirhams [près de 20 à 50 dollars] ».

Cet article a été écrit en 1961, soit six ans après l’indépendance du Maroc vis-à-vis de la France, quand les magistrats français jouissaient toujours d’une certaine influence dans le pays et ont joué un rôle majeur dans la rédaction de son code pénal. Celui-ci est entré en vigueur en juin 1963.

Cinquante-cinq ans plus tard, l’article 222 est toujours fermement appliqué malgré le fait que l’article 3 de la Constitution marocaine stipule que « l’islam est la religion de l’État, qui garantit à tous le libre exercice des cultes. » Ceci signifie que ne pas jeûner n’est pas un crime.

Toutefois, de nombreuses personnes ont été arrêtées depuis le début du Ramadan pour avoir mangé ou fumé en public. Deux jeunes hommes qui travaillent comme transporteurs de marchandises dans un marché de Zagora ont ainsi écopé d’une peine de prison de deux mois avec sursis pour avoir bu de l’eau en public un jour de canicule.

Une loi « obsolète »

Dans l’un de ces cas, un homme diabétique (qui – selon les enseignements islamiques – ne devrait pas jeûner si cela est susceptible de nuire à sa santé) a été attaqué par des passants pour avoir bu en public.

Les militants des libertés individuelles ont tenu un sit-in près du Parlement à Rabat samedi soir pour appeler à l’abolition de l’article 222, qu’ils jugent « obsolète ».

Ahmed Raissouni, ancien président du Mouvement de l’unicité et de la réforme (MUR), la branche idéologique du Parti de la justice et du développement (PJD), a demandé l’abrogation de l’article 222 lors d’une conférence au Qatar. Son appel est un coup majeur pour les conservateurs, qui au contraire exhortent les autorités à appliquer strictement la loi et à punir ceux qui l’enfreignent.

Ahmed Raissouni soutient que le jeûne est une question de liberté de conscience individuelle et ne devrait en aucun cas faire l’objet d’une enquête de police ou d’une condamnation de justice.

Alors que le Maroc se vante d’être un pays de paix, de tolérance et de coexistence, la majorité des arrestations de personnes n’observant pas le jeûne du Ramadan sont menées par la police suite à des dénonciations de citoyens.

Il semble que l’intolérance qui se manifeste pendant le Ramadan ait augmenté et se soit normalisée au détriment des libertés individuelles, ainsi que des minorités qui sont forcées à adhérer à une loi obsolète qui ne reflète en rien l’image d’un Maroc moderne traitant tous ses citoyens de façon égale, indépendamment de leur appartenance religieuse.

Le Ramadan tire vers sa fin, mais la controverse entourant l’article 222, elle, n’est pas près de s’éteindre.

- Saad Guerraoui est rédacteur en chef de Middle East Online et un auteur régulier du journal Arab Weekly. Il a étudié à l’Université de Newport (campus de Londres) et est titulaire d’un doctorat en administration des entreprises. Il est déjà intervenu publiquement sur plusieurs chaînes de télévision par satellite en tant qu’analyste.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : les terrasses des cafés de Rabat sont vides en journée pendant le mois sacré du Ramadan, le 10 août 2012 (AFP).

Traduit de l’anglais (original).

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