Le revirement d’Israël vis-à-vis du Hamas
Lors de la guerre d’Israël contre Gaza l’année dernière, Naftali Bennett, chef du parti de droite « Foyer juif », était l’un des plus virulents opposants à un cessez-le feu qui maintiendrait le Hamas au pouvoir.
« Ce serait une catastrophe », avait-il déclaré à la chaîne israélienne Channel 2, juste une semaine après le début des combats. « L’armée peut anéantir le Hamas. Nous disposons d’un peuple fort qui demande à ses dirigeants de "faire ce qu’il faut pour en finir avec [le Hamas]". »
Comme tout leader populiste, Naftali Bennett se pose en porte-parole du « peuple » ; il représentait évidemment une grande partie de la société juive israélienne qui considère le Hamas comme un ennemi avec lequel Israël ne peut, ni ne doit, coexister et donc que son règne sur la bande de Gaza doit cesser.
Toute entente avec le Hamas est par là même vue comme un signe de faiblesse qui ne fera qu’encourager l’organisation islamique à poursuivre sa guerre contre Israël.
Désormais ministre de l’Éducation, Naftali Bennett n’a ni changé de camp politique ni découvert la beauté de l’islam ; néanmoins, il y a un peu plus d’une semaine, encore une fois sur Channel 2, il a exprimé un point de vue très différent en ce qui concerne le règne du Hamas sur Gaza. « Nous devons lancer une campagne internationale pour la reconstruction de Gaza en échange d’un arrêt du réarmement, » a-t-il déclaré.
Le Hamas, selon Bennett, reste un ennemi mais, pour le moment, la meilleure chose à faire est de geler toute activité militaire israélienne contre cette organisation.
« L’Égypte et l’Autorité palestinienne souhaitent que la situation ne s’améliore pas dans la bande de Gaza de sorte que nous continuions à nous battre ; ça les arrange », affirme Bennett. « Toutefois, à ce stade, je suis contre cette idée. Le fait est que le Hamas est là. »
Bennett n’est pas le seul à considérer le Hamas comme la meilleure option pour Israël. Lors d’une conversation avec des habitants israéliens près de la frontière avec la bande de Gaza il y a quelques semaines, le général Sami Turgeman, commandant de la Région Sud, s’est montré assez franc sur les aspects positifs – aux yeux des Israéliens – du gouvernement du Hamas à Gaza.
Le Hamas est un pouvoir souverain efficace, a déclaré Sami Turgeman, les autres options sont soit le chaos, soit un gouvernement militaire israélien direct.
« Nous avons tout intérêt à avoir un interlocuteur dans la bande de Gaza, sinon la réalité militaire sera pire », a-t-il précisé pour expliquer ses raisons de préférer le Hamas.
Cela ne veut pas dire qu’un an après le début de la plus sanglante confrontation jusqu’ici entre Israël et le Hamas, qui a causé la mort de 2 310 Palestiniens et de 72 Israéliens, une nouvelle amitié s’est forgée entre les deux côtés de la frontière de la bande de Gaza.
Au début de la semaine dernière, la marine israélienne a arraisonné Marianne, un petit navire parti de Suède vers Gaza, justifiant son action par le blocus naval. Puis ce week-end, Israël a ouvertement affirmé que le Hamas était impliqué dans les attaques perpétrées par le groupe État islamique sur les avant-postes de l’armée égyptienne dans le Sinaï – une tentative manifeste de compliquer les relations déjà hostiles entre l’Égypte et le Hamas.
Dans une lettre distribuée aux militants qui ont tenté de briser le blocus de Gaza à bord du Marianne, le Premier ministre Benyamin Netanyahu s’est vanté qu’Israël autorise 800 camions à entrer chaque jour dans Gaza et qu’1,6 million de tonnes de produits ont été acheminées par ce biais l’an dernier.
Le ministre de la Défense Moshe Yaalon est allé jusqu’à prétendre qu’il n’y a pas de crise humanitaire à Gaza et que, tout au plus, la situation y est « déplaisante ».
Pourtant, si on met ce cynisme de côté, Israël est bien conscient que, un an après son offensive contre Gaza (l’opération « Bordure protectrice »), la reconstruction n’a pas vraiment commencé et Gaza peut concourir au titre de pire endroit où vivre sur terre.
Le chômage touche 43 % de la population et 100 000 Palestiniens n’ont toujours pas de toit. Contrôlant tous les accès terrestres et maritimes à Gaza, Israël est en grande partie – sinon exclusivement – responsable de cette situation.
Selon Orit Perlov, une chercheuse à l’Institute for National Security Studies (un think-tank israélien conservateur proche de l’establishment militaire), les propos de Netanyahu ou ceux de Bennett peuvent être interprétés comme une tentative visant à dépeindre Israël comme le « gentil » de l’histoire.
Alors que le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté le 3 juillet dernier un rapport indiquant qu’Israël aurait commis des crimes de guerre pendant la dernière guerre contre Gaza, ouvrant la perspective d’une procédure judiciaire pour crimes de guerre devant la Cour internationale de Justice, Israël veut persuader le monde qu’il s’attache à la reconstruction de Gaza.
Cependant, il ne s’agit pas que de relations publiques. D’après Orit Perlov, de manière étrange et quelque peu retorse, la reconstruction de Gaza présente un intérêt direct plus grand pour Israël que pour les autres acteurs du Moyen-Orient. Le régime égyptien dirigé par le président Abdel Fattah al-Sissi s’efforce résolument à associer le Hamas aux Frères musulmans, les présentant tous deux comme les ennemis jurés du gouvernement égyptien. Sissi ne manifeste aucun intérêt pour la reconstruction de Gaza car cela équivaudrait à renforcer le Hamas.
Le président palestinien Mahmoud Abbas ne peut pas, bien évidemment, rester indifférent à la souffrance de ses frères palestiniens à Gaza, mais il semble qu’il ait perdu tout espoir d’avoir une quelconque influence dans la bande de Gaza tant qu’y règnera effectivement le Hamas.
L’échec d’un autre gouvernement d’union démontre une nouvelle fois son impuissance à imposer ses conditions au Hamas. Dans cette situation, les donateurs internationaux, toujours plus prompts à promettre leur aide plutôt qu’à l’apporter, ont du mal à agir, même s’ils le voulaient.
Israël, affirme Orit Perlov, panique parce qu’il se sent seul face au fardeau de la reconstruction de Gaza. Comme l’a dit explicitement le général Turgeman, la capacité du Hamas à gouverner Gaza sert les intérêts d’Israël. Or sans reconstruction, le Hamas peut être tenté d’initier un autre cycle de violence, puisque la situation à Gaza est encore pire aujourd’hui qu’il y a un an.
Israël peut se raconter qu’il a gagné la guerre l’été dernier, mais il n’a clairement pas envie de remettre ça. Même les irréductibles partisans d’une politique zélée vis-à-vis du Hamas comme Bennett ne voient pas ce qu’apporterait une nouvelle opération, à l’exception de nouvelles accusations de crimes de guerre.
En étant si agressif lors de l’opération Bordure protectrice, Israël a peut-être perdu sa capacité à décourager le Hamas et les Palestiniens à Gaza.
Dans ce contexte, on comprend mieux que les rumeurs sur des négociations entre Israël et le Hamas au sujet d’un « port flottant » près de Gaza semblent plus plausibles. Le Hamas nie ces allégations, mais les militants du Fatah en Cisjordanie sont plus confiants sur la signature d’un tel accord.
Les remarques de Bennett pointent très clairement vers une telle solution ; il est néanmoins très difficile d’envisager un tel accord sur le plan politique. Benyamin Netanyahu et Khaled Mechaal, le leader du Hamas, rencontreraient tous deux de grandes difficultés pour le défendre.
Orit Perlov souligne que les politiciens et analystes militaires israéliens se plaisent à évoquer un « Hamas affaibli » comme étant la meilleure solution pour Israël. Pourtant, selon elle, cette approche ne s’appuie pas sur la réalité.
Si Israël souhaitait sérieusement reconstruire Gaza, le Hamas se renforcerait puisqu’il utiliserait au moins une partie des fonds pour asseoir sa domination. Si la reconstruction échouait, alors – comme a prévenu le général Turgeman – le Hamas perdrait sa « gouvernabilité » et le chaos pourrait s’emparer de Gaza.
Après les attentats de la semaine dernière dans le nord du Sinaï, à seulement quelques kilomètres de la frontière égyptienne avec la bande de Gaza, ce chaos a peut-être trouvé un nom : le groupe État islamique.
Des militants salafistes ont déjà lancé des missiles sur Israël au cours des dernières semaines, malgré l’opposition du Hamas. L’émergence de bastions du groupe État islamique dans la bande de Gaza n’apparaît pas impossible. Le refus d’une coexistence avec le Hamas, aussi problématique qu’elle puisse être, sera alors perçu comme une occasion manquée.
- Meron Rapoport est un journaliste et écrivain israélien. Il a remporté le prix de journalisme international de Naples pour son enquête sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Naftali Bennett, le ministre israélien de l’Éducation (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].