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Le suicide électoral du Liban

Les efforts déployés jusqu’à présent pour garantir une nouvelle loi électorale ont été infructueux et, pire encore, ne font que précipiter la mort de la démocratie déjà malade du Liban

La Constitution libanaise, adoptée en 1926 sous le Mandat français, accorde au président de la République le pouvoir de suspendre le parlement pour une durée n’excédant pas un mois.

Pendant plus de 90 ans, l’article 59 de la Constitution est resté en sommeil. Cela a duré jusqu’à la semaine dernière, lorsque le président en fonction, Michael Aoun, l’a appliqué après l’échec des principales factions politiques à adopter une nouvelle loi électorale en vue des élections législatives prévues pour cet été.

Le plan de sauvetage constitutionnel d’Aoun était une réponse directe aux tensions sectaires croissantes provoquées par le refus des partis chrétiens, dont le propre parti d’Aoun – le Courant patriotique libre (CPL) – et les Forces libanaises (FL), de permettre au parlement actuel de prolonger une troisième fois son mandat.

En principe, la démarche d’Aoun a été perçue par ses partisans comme une initiative judicieuse qui allait ouvrir la voie à la négociation d’un accord acceptable par tous les partis.

Cependant, un examen approfondi des événements survenus jusqu’à présent et des obstacles qui se dressent avant le 15 mai, date qui marque la fin de la période de 30 jours, n’est pas forcément de bon augure pour le peuple libanais, ni pour ses dirigeants politiques.

Un puzzle parlementaire

Une grande partie du débat sur la loi électorale implique une rivalité entre tous les partis en vue d’adopter une loi qui augmente – ou du moins maintient – leur nombre actuel de sièges parlementaires.

Initialement, le CPL et son allié, le Hezbollah, soutenaient fermement le modèle électoral proportionnel, censé apporter une réforme progressive et juste de la loi archaïque. Cependant, le CPL et un autre parti chrétien, les FL, se sont vite rendu compte que la loi proportionnelle équivalait en effet à une perte de droits, car elle aurait pratiquement donné aux électeurs musulmans en majorité numérique le dernier mot pour l’élection de députés chrétiens.

Par coïncidence, les intentions du Hezbollah étaient dès le départ de s’assurer un tiers des sièges au parlement. Bien que cela semble être une possibilité lointaine, voire totalement improbable, cela permettrait au groupe d’opposer son veto et de faire dérailler le processus démocratique de manière légale plutôt que de continuer de le faire par le biais de menaces ou de l’usage de la force.

Le Premier ministre Saad al-Hariri, qui dirige le plus grand bloc parlementaire, s’est opposé au plan du Hezbollah et a suggéré une loi hybride qui intègre à la fois le scrutin majoritaire (à un seul gagnant) et le scrutin proportionnel.

Le retranchement de tous les partis derrière leur loi respective a bloqué toute possibilité de trouver un terrain d’entente, ce qui les a laissés face à deux choix : prolonger le mandat du parlement actuel ou procéder à des élections en vertu des dispositions de la loi électorale en vigueur tant détestée, communément appelée « loi de 1960 ».

La suspension du parlement a chargé Aoun du fardeau de concevoir une échappatoire à cette situation problématique. La solution nécessitera la proposition d’une loi complètement originale qui sera acceptée à l’unanimité par toutes les parties impliquées.

Par conséquent, Aoun a délégué cette tâche quelque peu herculéenne à son beau-fils et successeur à la tête du CPL, Gebran Bassil, le ministre libanais controversé des Affaires étrangères. Les efforts de Bassil ont cependant abouti à une loi en deux étapes encore plus contestée, qui comprend un premier tour au scrutin sectaire proportionnel, lors duquel chaque secte choisit son propre candidat, suivi d’un second tour au scrutin majoritaire.

La loi de Bassil équivaut pratiquement à mettre de l’huile sur un feu sectaire déjà brûlant, risquant potentiellement de causer des troubles civils.

Taëf : un accord mort et enterré ?

Qui plus est, la loi électorale épouvantable et suicidaire de Bassil révèle une défaillance intrinsèque de l’approche réactionnaire adoptée par l’élite dirigeante face à la législation ou à l’absence de législation.

Un grand nombre des lois électorales proposées, principalement celles de Bassil, ignorent de manière flagrante le pilier essentiel de l’État, la Constitution libanaise. Les amendements constitutionnels, introduits en 1989 à la suite de l’accord de Taëf qui a mis fin à quinze années de guerre civile, stipulent clairement (à l’article 95) un engagement à abolir le confessionnalisme politique.

Ainsi, 28 ans après Taëf, aucun législateur libanais qui se respecte ne devrait présenter aux Libanais des lois obsolètes et séditieuses qui ne peuvent qu’élargir le schisme sectaire.

En outre, une grande partie de la logique qui entoure les négociations électorales reflète une nuance dangereuse adoptée par les oligarques, à savoir que cette loi électorale, quelles que soient ses spécificités, sera éternellement statique et que, de ce fait, perdre ces élections aura des conséquences existentielles pour le camp vaincu.

Cette voie périlleuse ne peut qu’entraîner la mort du système démocratique déjà paraplégique du Liban. Les élections sont un exercice de routine qui implique également une révision et une réforme constantes de lois qui ne sont ni parfaites, ni éternelles.

Du moins à partir de 2005, lorsque l’armée syrienne a quitté le Liban, les Libanais ont eu de nombreuses occasions de changer leur élite dirigeante, ce qu’ils ont délibérément choisi de ne pas faire. Néanmoins, l’élite dirigeante, y compris Aoun, a besoin qu’on lui rappelle que la démocratie n’est pas un sport-spectacle et que priver les Libanais de leur droit de vote la rendra obsolète.

Les membres de l’establishment d’Aoun, représenté par Bassil, devraient s’abstenir de proposer plus de lois qui envoient un message à leurs compatriotes musulmans selon lequel l’accord de Taëf est mort et enterré.

Quel que soit le résultat final des prochaines élections, quand et si celles-ci se produiront, les Libanais en général et les responsables politiques en particulier doivent comprendre qu’un parlement inactif est un jouet du diable.

S’ils ne trouvent pas un moyen de résoudre leurs désaccords par le dialogue, la seule option viable serait une plongée suicidaire dans l’abîme de la guerre civile, où les sièges parlementaires représenteraient la moindre de leurs préoccupations.

Makram Rabah est maître de conférences au département d’histoire de l’université américaine de Beyrouth. Il est l’auteur de A Campus at War: Student Politics at the American University of Beirut, 1967–1975.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président libanais Michel Aoun salue la foule lors d’un rassemblement célébrant son élection, le 6 novembre 2016 au palais présidentiel de Baabda (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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