Aller au contenu principal

L’équilibre chancelant de l’armée pakistanaise entre l’Arabie saoudite et l’Iran

Avec un général pakistanais menant une force de combat antiterroriste dirigée par l’Arabie saoudite, Islamabad a de nouveau la chance d’être le dernier garant de la région

Quand on pense à l’armée pakistanaise, on ne pense pas instinctivement à une force ayant un rapport avec les conflits au Moyen-Orient. Pourtant, de plus en plus – et sans être impliquée dans des opérations, c’est l’armée la plus influente de la région.

Qui dirigera l’OTAN islamique, une nouvelle alliance militaire dirigée par les Saoudiens qui lutte contre les terroristes ? Personne d’autre que le général pakistanais Raheel Sharif

Elle a formé plus d’armées arabes que n’importe quel autre pays et a été présente à la fois dans les combats des guerres israélo-arabes en 1967 et 1973 et a également guidé la fondation des armées des pays du Golfe.

C’est surtout grâce à l’héritage de l’armée indienne britannique, qui était un tiers musulmane, et sur laquelle les Britanniques ont compté pour apaiser l’hostilité des musulmans arabes quand elle a marché sur Jérusalem, Damas et Bagdad. Après la partition de l’Inde en 1947, ces troupes sont devenues les fondatrices de l’armée pakistanaise et ont ainsi débuté une longue relation qui existe à ce jour.

L’armée indienne britannique entre dans Bagdad en 1917 avec le lieutenant-général Federick Stanley Maude (Wikicommons)

Après la chute de Saddam Hussein et de l’armée irakienne, et l’influence croissante de l’Iran à travers le Moyen-Orient, les pays du Golfe, dirigés par l’Arabie saoudite, ont regardé le Pakistan comme l’ultime garant.

Lorsque le général Qamar Bajwa, chef d’état-major de l’armée pakistanaise, a récemment déclaré que le Pakistan considérait la protection de l’Arabie saoudite comme la sienne, il s’agissait d’un avertissement indirect à l’Iran et aux groupes terroristes qui menaçaient l’Arabie saoudite.

Et qui dirigera l’« OTAN islamique », une nouvelle alliance militaire dirigée par les Saoudiens ? Personne d’autre que le général pakistanais Raheel Sharif.

Annonces surprises

Bien que cela ait été annoncé plus d’un an avant sa retraite, alors que le ministre de la Défense Khwaja Asif a confirmé la nomination de Sharif à l’« OTAN musulman » il y a quelques semaines, ce fut une surprise pour le Parlement pakistanais, tout comme l’annonce il y a deux ans de la participation du Pakistan à la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen.

Il y a eu un tollé au CCG lorsque, après cette annonce surprise, l’armée pakistanaise a fini par refuser de s’impliquer au Yémen en 2015. Les Émirats arabes unis ont même annulé les exemptions de visa pour les responsables militaires pakistanais, un processus qui existait depuis des décennies, alors que les dirigeants du Koweït et les médias publics saoudiens s’en sont pris au Pakistan et à la façon dont il a poignardé dans le dos ses « frères » du Golfe.

En juin 2014, des soldats de l’armée pakistanaise se rassemblent avant le début d’une opération militaire contre les talibans dans la ville principale de Miranshah, au nord du Waziristan (AFP)

Le Pakistan lui-même était coupé en deux concernant le Yémen. La majorité des militaires était apparemment en faveur de la participation de l’armée. Cependant, étant donné l’opération Zarb e Azb, dans laquelle l’armée ciblait la violence transfrontalière et les groupes terroristes nationaux à la frontière afghane dans le Waziristan du Nord, l’armée se surmenait déjà pour mener sa propre guerre contre le terrorisme.

En fin de compte, le Pakistan n’a pas envoyé de troupes sur le terrain au Yémen, mais a fourni un soutien aux frontières pour protéger la souveraineté saoudienne et a donné des conseils pendant la campagne aérienne.

Cependant, deux ans plus tard, les opérations militaires pakistanaises se ralentissant dans le nord-ouest de leur pays, il y a une plus grande stabilité au sein de l’armée et, tactiquement, des troupes sont maintenant disponibles. Ainsi, la question d’un rôle plus actif du Pakistan au Yémen pourrait se poser à nouveau.

L’une des principales raisons pour lesquelles l’Arabie saoudite se tourne à nouveau vers le Pakistan, malgré son refus antérieur au Yémen, est que le Pakistan et le général Raheel Sharif lui-même ont averti que les opérations au sol au Yémen étaient vaines étant donné le terrain et la proximité de la mer rendant peu pratique l’utilisation de la tactique du marteau et de l’enclume – et qu’il a été démontré qu’ils avaient raison.

Tandis que le Pakistan n’enverra certainement pas de troupes au Yémen (Sharif l’a précisé), l’armée peut aider en modérant les mécanismes de résolution des conflits qu’elle a utilisés avec succès au Waziristan et dans la vallée de Swat.

Le choix évident

Le général Raheel Sharif est un choix évident pour la fonction à l’OTAN musulman étant donné sa grande popularité dans le monde arabe – particulièrement en Arabie saoudite.

Pendant des décennies, les Saoudiens et d’autres familles royales du Golfe ont traité l’armée pakistanaise et son chef comme invités de marque

En tant que chef de l’armée, il a effectué six visites officielles en Arabie saoudite, a amené les Qataris dans l’orbite militaire du Pakistan et rétabli la relation égypto-pakistanaise en devenant le premier Pakistanais à visiter le Caire en plus de vingt ans. En 2014, Sharif était le seul présent à l’exercice militaire du CCG, le bouclier d’Abdallah, à ne pas être chef d’État.

Il existe également des liens historiques étroits entre l’Arabie saoudite et le Pakistan qui font de Sharif un choix évident. Pendant des décennies, les Saoudiens et d’autres familles royales du Golfe ont traité l’armée pakistanaise et son chef comme des invités de marque ; il a été évoqué que le Pakistan fournirait un parapluie nucléaire contre l’Iran et un marteau potentiel si nécessaire pour protéger le CCG.

À LIRE : 2017 : la crise existentielle de l’Arabie saoudite

En effet, le Bahreïn, l’Iran et plusieurs organisations internationales ont accusé le Pakistan de soutenir la répression des manifestants à la demande des Saoudiens.

Lorsque l’ambassade saoudienne a été attaquée par la foule à Téhéran l’année dernière suite à l’exécution d’un éminent religieux chiite, Sharif a entrepris une initiative diplomatique de trois jours qui l’a conduit d’abord en Arabie saoudite puis en Iran pour jouer les intermédiaires entre les deux pays et calmer les craintes d’une escalade étant donné les relations déjà tendues sur les conflits syriens et yéménites.

Un manifestant iranien porte une pancarte portant le nom du religieux chiite Nimr al-Nimr lors d’une manifestation contre son exécution par les autorités saoudiennes le 3 janvier 2016, à l’extérieur de l’ambassade saoudienne à Téhéran (AFP)

Il y avait également des rapports non confirmés frisant les fausses informations selon lesquels le Pakistan avait menacé d’utiliser l’arme nucléaire contre l’Iran si celui-ci osait attaquer l’Arabie saoudite.

En ce moment, il y a 158 cadets saoudiens dans l’Académie militaire du Pakistan à Kakul, Abbottabad, un record de toute force étrangère dans n’importe quelle académie militaire dans le monde. Il y a aussi une autre première historique pour l’armée pakistanaise : il est devenu le premier pays musulman à avoir un instructeur permanent à l’Académie militaire royale de Sandhurst. L’instructeur, le major Uqbah Malik, est commandant de peloton et a plusieurs cadets arabes sous son commandement ainsi que des cadets britanniques.

Depuis deux ans, les principaux invités de l’Académie de l’aviation pakistanaise à Risalpur sont les chefs des forces de défense irakiennes et saoudiennes. Il y avait une dizaine de cadets irakiens l’an dernier et plus cette année.

À LIRE : Pourquoi l'Iran veut éviter tout conflit avec l'Arabie saoudite

De même à Damas, le Pakistan a envoyé un de ses principaux généraux de l’armée de l’air en tant qu’ambassadeur pour lisser les tensions et agir en tant que médiateur officieux entre l’Arabie saoudite et la Syrie.

Le premier voyage officiel à l’étranger de Qamar Bajwa, le successeur de Sharif et l’actuel commandant de l’armée, fut une récente visite de trois jours en Arabie saoudite. Ce n’était pas une coïncidence si Sharif était aussi en Arabie saoudite au même moment en exécutant son Umrah, le pèlerinage secondaire à l’invitation du roi saoudien. Il y avait aussi beaucoup de vidéos partagées sur les réseaux sociaux de Raheel Sharif étant assailli en héros tandis que les forces spéciales saoudiennes le protégeaient.

https://www.youtube.com/watch?v=oZzuQ3l7d6o

Médiateur entre l’Iran et l’Arabie saoudite ?

Outre ses vastes ressources militaires, déployées au cours des dernières décennies pour combattre au nom de divers États arabes et son rôle de plus grand formateur des armées arabes, le rôle du Pakistan en tant que pacificateur entre plusieurs capitales en guerre a été crucial.

En fait, le Centre d’excellence des Nations Unies et le maintien de la paix est à Islamabad, où l’armée pakistanaise forme d’autres armées du monde entier sur la façon de résoudre les conflits en temps de guerre.

Sharif a clairement indiqué qu’il continuera uniquement à exercer son emploi actuel si l’Iran est inclus dans l’alliance militaire de sorte qu’elle ne se contente pas de devenir une alliance sunnite

Le Pakistan pourrait-il jouer un rôle de médiateur entre l’Arabie saoudite et l’Iran ?

Depuis la Révolution islamique de 1979 en Iran, le Pakistan s’est éloigné de Téhéran et a été perçu comme trop proche des Saoudiens pour être un honnête négociateur en paix entre Riyad et Téhéran.

Il y a vingt ans, l’armée pakistanaise a joué un rôle de premier plan dans la médiation de la fin de la guerre entre l’Irak et l’Iran, ce que le président iranien Rafsandjani a particulièrement apprécié.

Alors que pour certains, la nomination de Sharif a été considérée comme un message à l’Iran indiquant que le Pakistan abandonne son rôle neutre entre les deux pays, il semblerait qu’une occasion s’est de nouveau présentée pour l’armée pakistanaise de prendre la tête. Sharif a clairement indiqué qu’il continuera uniquement à exercer son rôle actuel à la tête de l’alliance militaire si l’Iran est inclus dans cette alliance de sorte qu’elle ne se contente pas de devenir une alliance sunnite

L’ancien chef d’état-major de l’armée du Pakistan, le général Raheel Sharif, arrive pour une visite au Sri Lanka en juin 2015 (AFP)

Notamment, l’armée pakistanaise est la seule armée non-sectaire dans le monde musulman – elle a eu des chefs d’état-major chiites hazaras, sunnites et plusieurs généraux chrétiens. Compte tenu de cela, le Pakistan est bien placé pour équilibrer les tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite.

Il y a des opportunités et des problèmes potentiels pour le Pakistan ici. S’il n’est pas prudent et est considéré comme trop proche de l’Arabie saoudite, cela pourrait encore aggraver son fragile équilibre domestique et créer des difficultés pour le Pakistan au niveau national.

Cependant, si la nouvelle alliance se maintient, le Pakistan en bénéficiera grandement, surtout avec le soutien turc au pays.

Kamal Alam est chercheur invité au Royal United Services Institute (RUSI). Il est spécialiste de l’histoire militaire contemporaine du monde arabe et du Pakistan. Il est chercheur associé à l’Institute for Statecraft où il s’occupe de la politique syrienne. Il est aussi un conférencier régulier de plusieurs universités militaires à travers le Moyen-Orient et au Royaume-Uni.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le général Raheel Sharif (à droite), chef de l’armée pakistanaise, rencontre le vice-prince héritier et ministre saoudien de la Défense Mohammed ben Salmane à Rawalpindi, au Pakistan, en janvier 2016 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].