Les chrétiens sont-ils traités injustement sur le plan politique au Liban ?
Les hommes politiques chrétiens libanais ont exprimé diverses revendications relatives au statut politique de leur communauté. Ces revendications sectaires remontent à 2005, lorsque les forces syriennes ont quitté le Liban et les mouvements politiques chrétiens qui avaient été auparavant persécutés par Damas (1990-2005) ont été intégrés à la vie politique.
Le programme politique chrétien au Liban est généralement fixé par les maronites, la plus grande communauté chrétienne du pays, lesquels prétendent représenter les intérêts de l’ensemble des confessions chrétiennes du pays. Quelles sont ces revendications ?
Tout d’abord, les partis chrétiens pensent que leur communauté a perdu une grande partie de ses droits après l’accord de Taëf en 1989. Il est vrai que Taëf, qui a mis fin à la guerre civile, a également marqué la fin de la domination politique des chrétiens au Liban. Le président de la République, un chrétien maronite selon le système de partage du pouvoir dans le pays, a été privé de prérogatives essentielles telles que la nomination du Premier ministre et des différents ministres, le licenciement des ministres et la dissolution du Parlement avant l’expiration de son mandat.
Ces prérogatives ont été réduites ou transférées au Premier ministre et au Cabinet après Taëf, modifiant l’équilibre institutionnel en leur faveur. L’accord de Taëf a également altéré l’équilibre confessionnel au parlement, transformant le ratio 6/5 en faveur des chrétiens en parité entre chrétiens et musulmans. Il en est allé de même pour les effectifs de l’appareil d’État.
Néanmoins, les chrétiens bénéficient de la moitié des sièges au Parlement et au Cabinet alors qu’ils ne constituent qu’un tiers environ de la population. Qui plus est, les postes officiels de haut niveau tels que les fonctions de président de la République, de chef d’état-major de l’armée et de gouverneur de la banque centrale sont toujours détenus par des chrétiens maronites.
Ensuite, les chrétiens affirment être privés des fonctions qui leur sont attribuées selon le système de partage du pouvoir dans le pays. Cet argument concerne principalement la présidence de la république. Les chrétiens soulignent que puisque les sunnites nomment le Premier ministre et les chiites le président du Parlement, les partis chrétiens devraient avoir leur mot à dire sur l’élection du président du pays.
Selon cette logique, le président devrait bénéficier d’un fort soutien politique de la communauté chrétienne, condition faisant de lui un président fort et celui qui peut remplir ses fonctions avec succès. Cette revendication est appuyée par les partis chrétiens de part et d’autre de la division entre l’Alliance du 8 mars et celle du 14 mars. Cependant, cet argument devrait être transformé en question. Pour commencer, il transforme la question présidentielle de problème libanais en problème strictement chrétien. Toutefois, dans un système politique consensuel comme celui du Liban, le président doit représenter l’unité de la nation et non pas strictement les intérêts de sa propre communauté.
Quel que soit le soutien dont il peut profiter au sein de sa propre communauté, un politicien chrétien qui n’est pas en bons termes avec les autres communautés ne peut pas endosser ce rôle. Rappelons que Soleiman Frangié bénéficiait d’un fort soutien de la communauté chrétienne, mais ses mauvaises relations avec les hommes politiques musulmans ne lui permettaient pas de gérer les affaires du pays et d’éviter la confrontation qui s’est ensuivie.
En revanche, Fouad Chéhab n’a pas reçu un fort soutien politique de la communauté maronite mais il a réussi à promouvoir un programme réformiste et un juste équilibre entre les communautés chrétiennes et musulmanes. Pour cette raison, l’ex-Premier ministre Fouad Siniora a souligné lors d’une réunion avec le patriarche maronite qu’« un président fort n’est pas partisan, mais est celui qui peut unifier tous les Libanais et exercer une conduite avisée ».
En outre, les confessions musulmanes ne désignent pas nécessairement les candidats de leur choix. Cela dépend de l’équilibre des forces au sein du Parlement. En 2011, Najib Mikati a été nommé et élu Premier ministre sans le consentement du Courant du futur, en raison de la nouvelle majorité qui a émergé au Parlement après l’alignement de Walid Joumblatt avec le bloc du 8 mars.
La troisième préoccupation chrétienne est le système électoral. Les politiciens chrétiens affirment que les populations chrétiennes sont souvent intégrées dans les circonscriptions à majorité musulmane, ce qui permet aux musulmans de déterminer les parlementaires chrétiens de cette circonscription. Selon cet argument, cette pratique aboutit à un résultat électoral qui n’est pas représentatif de la préférence politique des chrétiens.
Afin de remédier à cette situation, les partis chrétiens soutiennent l’adoption de quinze circonscriptions électorales et la représentation proportionnelle, des modifications qui aboutiraient à un résultat plus équitable. De fait, la loi électorale actuelle permet aux partis musulmans d’élire un député chrétien dans des quartiers tels que Akkar, Alley, Chouf et Zahrani, permettant au Courant du Futur d’élire huit députés chrétiens et au Parti socialiste progressiste (PSP) d’en élire cinq, pour souligner uniquement les exemples les plus significatifs.
Cela dit, le Liban est un pays à majorité musulmane. En outre, l’accord de Taëf prévoit une représentation égale entre chrétiens et musulmans, un fait qui conduit à l’inclusion de sièges chrétiens dans les quartiers où les populations chrétiennes sont mineures. Comme la Commission Boutros l’a souligné, « les éléments d’une représentation équitable au sens de ‘’contrôle’’ et d’’’égalité’’ confessionnels ne pouvaient pas être atteints tous les deux, mais un compromis devrait être trouvé pour respecter ces deux principes autant que possible ».
Loin d’être privés de leurs droits, les chrétiens au Liban exercent encore une influence considérable et sont surreprésentés par rapport à leur population. Les revendications sectaires adoptées par les partis chrétiens révèlent que ceux-ci ne se sont pas adaptés aux faits de l’époque d’après-guerre, à savoir la perte de la domination politique qu’ils exerçaient auparavant.
- Yiannis Plakas est un analyste politique s’intéressant aux affaires du Moyen-Orient et vivant à Volos (Grèce). Vous pouvez le suivre sur Twitter @iplakas.
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Photo : une femme tient une tablette montrant une image, partagée sur les médias sociaux, de Jésus tenant une carte du Liban avec l’inscription en arabe « O Jésus, protège le Liban » dans la capitale libanaise, Beyrouth, le 24 décembre 2015 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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