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Les frères qui ont financé Blair, les colonies israéliennes et l’islamophobie

La Tony Blair Faith Foundation a reçu de l’argent d’un escroc du monde de la finance lié à des colonies israéliennes illégales et à un réseau islamophobe américain

Tony Blair fait une nouvelle fois les gros titres, cette fois-ci après que le favori de la course à la direction du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, a exprimé publiquement l’opinion de millions de citoyens britanniques : l’ancien Premier ministre devrait subir un procès pour répondre à des accusations de crimes de guerre si les preuves tendent à indiquer qu’il a enfreint le droit international lors de l’invasion de l’Irak en 2003 et de l’occupation du pays.

La conduite de Blair depuis la fin de son mandat a cependant fait l’objet de moins d’attention. Nos enquêtes montrent que lorsque Blair officiait en tant qu’envoyé spécial du Quartet pour la paix au Moyen-Orient pour y représenter l’ONU, la Russie, les États-Unis et l’Union européenne, l’organe de collecte de fonds américain de la Tony Blair Faith Foundation a accepté de l’argent d’une famille qui finance des colonies israéliennes illégales grâce aux revenus d’un criminel condamné.

En effectuant des recherches sur les financeurs transatlantiques de l’occupation en Palestine, qui doivent être publiées par Public Interest Investigations plus tard cette année, nous avons découvert des documents fiscaux révélant que la Milken Family Foundation, basée en Californie, a fait don d’un million de dollars à la Tony Blair Faith Foundation en 2013. Le directeur de la Milken Family Foundation est Michael Milken et son président est son frère cadet Lowell, qui est également président d’une autre fondation familiale, la Lowell Milken Family Foundation, enregistrée à la même adresse.

Milken, le « roi des junk bonds »

Michael Milken est connu pour avoir développé, avec l’assistance juridique de son frère Lowell, le marché des obligations à rendement élevé et à haut risque dans les années 1980, ce qui lui a rapporté deux milliards de dollars ainsi que le surnom de « roi des junk bonds ». En 1990, il a plaidé coupable pour six crimes et accepté de payer 600 millions de dollars, dont 200 millions de dollars en amendes, pour rembourser ce que le New York Times avait considéré comme « la plus grande affaire de fraude de l’histoire de l’industrie des titres ». Milken a été condamné à 10 ans de prison, mais n’a purgé que 22 mois de cette peine.

Selon le magazine Mother Jones, Lowell a également été inculpé pour des accusations de racket et de fraude relevant de la juridiction fédérale et liées à des délits d’initié commis chez Drexel Burnham Lambert, l’ancienne banque d’investissement de Wall Street où les deux frères ont travaillé. Cependant, afin que Michael accepte une négociation de plaidoyer, les accusations portées contre Lowell ont été abandonnées.

Le magazine note en outre que l’effondrement de Drexel Burnham Lambert et d’un certain nombre d’autres partenariats d’épargne et de prêt (beaucoup étant liés aux frères Milken) a contribué à alimenter la crise plus large des « savings and loans » entre 1986 et 1995, qui a ainsi engendré une récession économique et coûté aux contribuables américains environ 500 milliards de dollars.

Toutefois, malgré son casier judiciaire et son héritage criminel, le magazine Forbes estime que la fortune de Michael s’élève actuellement à 2,5 milliards de dollars, ce qui en fait la 737e personne la plus riche au monde. Quant à Lowell, ses investissements immobiliers lui ont permis de bâtir une fortune estimée à 1 milliard de dollars en 2008. En 1984, il a même payé 975 000 dollars en argent liquide pour une maison de deux étages avec cinq chambres et quatre salles de bains en bord de plage à Malibu.

Des accusations de fraude au financement de colonies illégales

Au cours des dernières années, les frères Milken se sont intéressés à la philanthropie et ont œuvré pour un large éventail de causes, dont plusieurs liées à des groupes colonialistes et islamophobes. Par exemple, entre 2009 et 2013, la Lowell Milken Family Foundation a versé 607 000 dollars à la colonie d’Ariel, dans le centre de la Cisjordanie occupée, soit à travers l’organisme caritatif exonéré d’impôt American Friends of Ariel, soit directement au Centre universitaire d’Ariel de Samarie.

En effet, les contributions de Lowell Milken à la colonie illégale sont si importantes que le site web de Friends of Ariel lui a attribué le surnom d’« Ariel Celebrity ».

De même, entre 2009 et 2013, les fondations de la famille Milken ont fait don d’environ 555 000 dollars à Aish HaTorah, une organisation internationale juive orthodoxe qui défend fermement les politiques israéliennes et qui présente sur son site web des articles en faveur de la colonisation. Ronn Torossian, porte-parole d’Aish HaTorah à New York, a autrefois déclaré à Jeffrey Goldberg, journaliste du magazine The Atlantic : « Je pense que nous devons tuer cent Arabes ou mille Arabes pour chaque juif qu’ils tuent ». Avant d’ajouter que « si quelqu’un se fait exploser et tue des juifs, nous devons balayer la ville dont il est originaire et tous les tuer. »

D’après le Tampa Bay Times, Aish HaTorah entretient des liens étroits avec le Clarion Fund, organisme fortement antimusulman qui est à l’origine d’Obsession, film anti-islam tristement célèbre : les renseignements de Manhattan indiquent que l’adresse du Clarion Fund est la même que celle d’Aish HaTorah International, l’organe de collecte de fonds du groupe.

Le financement de l’islamophobie

Il ne s’agit pas du seul lien de la famille Milken avec le « réseau de l’islamophobie ». Parmi les causes antimusulmanes qu’elle finance figure également CAMERA, une organisation basée à Boston qui prétend surveiller la couverture médiatique d’Israël faite par les États-Unis, mais qui est en réalité « un organisme de surveillance islamophobe qui intimide les médias afin qu’ils produisent une couverture médiatique pro-israélienne », selon un rapport publié en 2015 par le Réseau international juif antisioniste.

Les fondations de la famille Milken ont également accordé une importante somme d’argent au MEMRI, fondé par Yigal Carmon, ancien officier des services de renseignement militaire israéliens, et Meyrav Wurmser, politologue américain né en Israël, pour qu’il fournisse des traductions libres vers l’anglais de rapports rédigés en arabe, en persan, en ourdou, en pachtou et en turc.

Le Center for American Progress a qualifié le MEMRI de « lieu incontournable du réseau islamophobe pour les traductions sélectives de la rhétorique islamiste étrangère ». Un de ses directeurs est Steve Emerson, un « expert en terrorisme » des médias qui, en janvier 2015, a raconté à Fox News que Birmingham est une « ville exclusivement musulmane », où les non-musulmans « ne vont pas ». Le tollé public qui a suivi l’a contraint de s’excuser.

La fortune malhonnête des frères Milken compte d’autres bénéficiaires, dont les Amis des Forces de défense israéliennes, plus grand donateur international des forces d’occupation israéliennes, le Fonds national juif, chargé d’assurer l’administration juive des terres palestiniennes, et l’Organisation sioniste d’Amérique, branche américaine de l’Organisation sioniste mondiale, qui, selon le New York Times, a joué un rôle clé dans la gestion des terres et des infrastructures des colonies israéliennes.

Bien sûr, ces connexions financières ne sont pas la première controverse à entourer la fondation de Tony Blair. L’an dernier, Martin Bright, ancien rédacteur en chef du site web de la Tony Blair Faith Foundation, a déploré le fait que « Blair continue d’employer un style ministériel de "red box" pour sa correspondance urgente et exerçait une forte présence dans l’organisme caritatif », ce qui a poussé la commission britannique chargée des organismes caritatifs à examiner ces allégations. Bright a également critiqué la décision de la fondation d’accepter des fonds d’une organisation liée au régime répressif saoudien.

Toute la lumière sur le rôle de Blair dans la guerre illégale en Irak doit encore être faite ; en attendant, l’étendue complète de ses réseaux internationaux actuels nécessite une enquête beaucoup plus approfondie.

- Sarah Marusek est une chercheuse et journaliste indépendante pour Public Interest Investigations/Spinwatch. Elle est titulaire d’un doctorat en sciences sociales de la Maxwell School de l’université de Syracuse.

- David Miller est cofondateur de Public Interest Investigations/Spinwatch et rédacteur en chef de Powerbase, un wiki qui surveille les réseaux énergétiques. Il est professeur de sociologie à l’université de Bath et co-auteur de A Century of Spin: How Public Relations Became the Cutting Edge of Corporate Power (2008, Pluto) et de The Cold War on British Muslims: An Examination of the Policy Exchange and the Centre for Social Cohesion (2011, Public Interest Investigations).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : poignée de main entre le président israélien Shimon Peres (à droite) et Tony Blair (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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