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Les mauvais voisins font de bonnes barrières

Israéliens et Palestiniens sont séparés par des barrières structurelles, mais il existe aussi des barrières invisibles, créées par la culture populaire

Israël est un petit pays densément peuplé qui s'est entouré de clôtures et de murs. Il y a très peu d'espace ouvert entre les communautés, et chaque ville semble s'arrêter là où une autre commence. Ainsi, lorsque des murs, des barrières ou des clôtures sont érigés, ils le sont au-dessus des maisons, des jardins et des champs. On a beaucoup écrit au sujet du mur d’apartheid, qu’Israël a commencé à construire en 2002. Ce mur, bâti sur le territoire palestinien, sépare Israël de la Cisjordanie palestinienne. Constituée de clôtures et de murs, la barrière de séparation est longue de plus de 700 kilomètres, alors que la frontière mesure seulement 320 kilomètres. Cette barrière imposante représente le projet de construction le plus onéreux de l'histoire d'Israël. Une barrière similaire, longue de 55 kilomètres, sépare Israël de la population de Gaza.

Les barrières qui séparent les citoyens d'Israël des Palestiniens dans les territoires occupés sont bien connues. Mais quand on regarde à l'intérieur même d'Israël, on peut également observer une séparation entre les citoyens juifs et palestiniens. Les deux formes principales que prend cette séparation sont les modes de vie et les écoles. Cette séparation nous influence au quotidien et façonne notre manière de vivre et de penser. Les espaces d’intégration principaux sont quant à eux les hôpitaux et les lieux de travail à faible rémunération, où des interactions entre les deux groupes ethniques existent. Il y a les barrières structurelles, mais il y a également les barrières mentales, invisibles, celles qui ne sont pas créées par des lois ou des comités de planification, mais par la culture populaire judéo-israélienne.

Par exemple, il est extrêmement difficile pour les citoyens palestiniens de louer un appartement dans les villes juives (où les opportunités d'emploi et les établissements d'enseignement supérieur sont plus nombreux). La barrière de la langue est présente, dans la mesure où la plupart des juifs israéliens ne parlent pas arabe. Les citoyens palestiniens renoncent souvent à parler dans leur langue maternelle dans la sphère publique, de peur d'être considérés comme une menace pour la sécurité et d'être harcelés. La crainte qu'ils éprouvent n’est pas une interprétation subjective de leur expérience quotidienne. Depuis 2000, la police israélienne a tué seize fois plus de Palestiniens que de citoyens juifs d'Israël. Statistiquement, en tenant compte de la taille relative de la minorité palestinienne, ceci rend la situation infiniment plus grave qu'aux Etats-Unis, où les discriminations de la part de la police envers les Afro-Américains ont entraîné des manifestations de masse.

Il existe un mécanisme de séparation à la fois physique et mental.

Israël comprend un grand nombre de « gated communities » (résidences fermées), toutes juives. Il est intéressant de constater que les clôtures et les portails électriques sont vus comme un bon moyen de vivre sa vie. Des clôtures s’élèvent autour des kibboutzim (communautés agricoles coopératives), des banlieues de classe moyenne et des projets de logements pour les populations aisées des grandes villes. Toutes ces personnes ont pour point commun de s'enfermer pour se protéger d'un mal indéfini, pour la plupart des voleurs.

Cependant, trois communautés juives ont construit des murs et des barrières de béton en affirmant clairement que l’objectif était de séparer les juifs des Arabes. Ces trois communautés ont été construites entre 1999 et 2002, juste avant que le gouvernement israélien commence la construction du « mur d'apartheid » entre Israël et les territoires palestiniens.

Officiellement, ces barrières ont été construites pour former des murs acoustiques, comme s'il fallait contenir le bruit arabe.

Officieusement, ils servent de protection contre la criminalité et la dévaluation de l'immobilier. Ces murs reposent sur la croyance profondément enracinée que les voisins palestiniens constituent une menace. Mais, avant tout, ils symbolisent le désir de vivre dans un environnement « propre ». Bien sûr, ces murs ne sont pas sans faille. Même si la préoccupation était véritablement la question acoustique, on continue d’entendre le muezzin appeler à la prière cinq fois par jour de l'autre côté.

Une barrière d'apartheid a été érigée entre un quartier juif et un quartier palestinien dans la ville de Ramla, à peu près à mi-chemin entre Tel Aviv et Jérusalem. La deuxième a été construite entre la communauté ultra-riche de Césarée (4 900 habitants, dont le Premier ministre Netanyahou) et le village palestinien de Jisr al-Zarqa (avec une population de 13 500 habitants vivant au niveau socio-économique le plus faible du pays, soit 1 sur une échelle de 10). J'ai récemment visité le troisième de ces murs, à Lid.

Lid (Lod en hébreu) est considérée comme une ville mixte. Les villes mixtes étaient des villes palestiniennes jusqu'en 1948, date à laquelle les habitants palestiniens ont été expulsés et remplacés par des immigrés juifs. La minorité palestinienne de la ville de Lid constitue, avec 74 000 habitants, 27 % de la population. La communauté palestinienne présente à l'origine, qui est restée après la guerre de 1948, a été rejointe par trois groupes palestiniens : des réfugiés internes, des Bédouins qui ont été chassés de leurs terres et qui se sont réinstallés légalement dans la ville, mais aussi des Palestiniens qui ont collaboré avec les forces armées israéliennes et ont été installés à Lod par le gouvernement.

Ces réinstallations forcées ont eu un effet dévastateur sur la communauté palestinienne, qui a dû se reconstruire et lutter en tant que minorité opprimée dans la ville. Peuplée d'habitants juifs et palestiniens, Lid se situe à un niveau socio-économique faible (4 sur 10), mais ce n’est pas le cas des quartiers juifs avoisinants.

A la périphérie ouest de la ville, au bord du quartier bédouin de Pardes Snir, se trouve la riche et spacieuse communauté agricole de Nir Zvi. Elle se situe là où se trouvait le village palestinien de Sarafand al-Amar jusqu'en 1948. Il est facile de traverser Nir Zvi : le jour il n'y a pas de gardes et tout est paisible et ordonné. A la fin de la route, on pénètre dans un vaste champ. A la fin de ce champ s'élève un mur de béton de quatre mètres de haut, qui coupe la vue sur un kilomètre et demi. Le gouvernement l'a érigé à la demande des habitants juifs. Ce mur n'empêche pas réellement les personnes d'entrer au sein de la communauté. Il constitue plutôt une affirmation, une déclaration.

« Nous façonnons nos bâtiments, puis ce sont eux qui nous façonnent », disait Winston Churchill. Le mur de béton symbolise bien la mentalité de siège que les juifs israéliens se sont forgée dans la région. Pour décrire la vie en Israël, les Israéliens disent souvent qu'ils vivent « dans un voisinage difficile », en faisant référence au Moyen-Orient. « Comme tout le monde autour de nous veut nous tuer, nous devons être forts et construire de hauts murs. »

De l'autre côté du mur, la traversée du quartier palestinien s'avère plus difficile. Les routes sont en mauvais état. Les nids-de-poule compliquent le trajet et aucun signe d'investissement ou d'entretien de la part de la municipalité n'est apparent. Les enfants jouent dans la boue, et le mur vous saute au visage. Il n'est pas distant à l'horizon comme pour les habitants de l'autre côté. Les gens sont assis dans leur maison, face au béton. Je me suis approché d'un homme près du mur qui surveillait ses enfants qui jouaient aux billes. Je lui ai demandé ce qu'il pensait du mur. « Inutile », m'a-t-il simplement répondu. En longeant le mur, on m'a répété ce mot maintes et maintes fois.

La plupart des habitants palestiniens ont cessé d’être en colère et de sentir humiliés. Il y a quinze ans, un comité de planification régionale a finalement décidé d'aborder les besoins de Pardes Snir en infrastructure de base avec un plan de développement. Ce plan nécessitait un accord local. Le voisinage juif a sauté sur l'occasion pour conditionner son autorisation à la construction d'un mur. Et bien, le mur est là depuis un certain temps maintenant à Pardes Snir, mais les routes, les systèmes de traitement des eaux usées et les aires de jeu se font encore attendre. L'année dernière, un homme muni d’un bulldozer a démoli un gros morceau du mur. D'après la légende urbaine, la municipalité a envoyé une équipe pour reboucher le trou mais les habitants l’ont effrayée et elle n'est plus jamais revenue. Ce trou dans le mur est la chose la plus encourageante que j'ai vue à Pardes Snir.

En Israël, le fossé économique entre juifs et Palestiniens est énorme. Le revenu moyen des citoyens palestiniens est inférieur de 32 % à celui des juifs. Comme nous l’a enseigné l’auteur et universitaire de renom Edward Saïd, pour définir une culture comme étant supérieure, il faut créer une culture vouée à être inférieure. C'est l'Orient qui construit l'Occident. Dans ces conditions, les citoyens juifs se perçoivent comme des citoyens respectueux de la loi qui travaillent dur pour gagner leur vie et qui construisent leurs maisons en accord avec les plans municipaux. Les progressistes ont tendance à attribuer leur richesse et leur fortune à leur dur labeur. Mais l'identité des citoyens juifs ne prend jamais en compte le fait que la majeure partie du territoire sur lequel ils se sont installés a été volée.

Les voisins palestiniens situés de l'autre côté du mur sont leur image inversée. Ils sont vus comme des criminels et des intrus qui ont construit leurs maisons sans le moindre respect pour les plans et réglementations de la ville. L'histoire du territoire ne fait jamais partie de l'équation. Que ce soit d'un angle de vue national ou économique, ces constructions mentales et physiques représentent ce que nous devons détruire.

-Michal Zak est éducatrice politique et spécialiste du dialogue judéo-palestinien. Elle réside dans la communauté judéo-palestinienne de Wahat al-Salam – Neve Shalom, en Israël.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.  

Légende photo : les murs qui sont érigés peuvent également s'écrouler (MEE/Oren Ziv).

Traduction de l'anglais (original).

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