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L'Etat palestinien virtuel

Israël ne souhaite pas que l'Autorité palestinienne s’effondre ou que Mahmoud Abbas perde le contrôle de la Cisjordanie

Imaginez un instant qu’un Etat palestinien existe en effet, dans les tunnels et les bouts de chemin connectant une localité palestinienne à une autre, derrière les murs, et dans les replis d'une terre coincée entre les blocs de colonies et les routes pour colons qu’Israël est autorisé à conserver.

Depuis plus de vingt ans, on nous affirme qu'il existe une certaine symétrie dans une telle solution et que les deux parties devront faire des concessions douloureuses pour y parvenir.

Ce scénario nécessite une bonne dose d'imagination car la perspective de paix s’éloigne de jour en jour. Benjamin Netanyahou a déclaré mercredi qu'il n’évacuerait aucune colonie au cours de son mandat.

Mais imaginons que cette solution se concrétise et que la paix règne sur le jardin d'Israël et les restes de maquis et de désert attribués à un Etat palestinien. Comment Israël s’attend à ce qu’un voisin aussi fissuré se comporte ?

Netanyahou donne quelques éléments de réponse dans sa réaction à la tentative de Mahmoud Abbas, longtemps différée, de rejoindre la Cour pénale internationale (CPI).

Un Etat palestinien ne serait jamais autorisé à recourir à la justice internationale car cela menacerait les soldats israéliens. Netanyahou a déclaré mercredi que la candidature elle-même rend l'Etat vide de sens. En cela, il exprime l'opinion majoritaire.

Tzipi Livni, la négociatrice en chef sous Ehud Olmert, a exprimé des objections similaires. En 2007, elle s’était illustrée en affirmant aux négociateurs palestiniens qu'elle était contre le droit international, insistant sur l’impossibilité d’en faire un cadre de référence des négociations : « J’ai été ministre de la justice », avait-elle déclaré. « Mais je suis contre le droit – le droit international en particulier. »

Aujourd'hui, elle et ses nouveaux partenaires politiques du parti travailliste défendent fermement l’armée israélienne.

« Nous allons protéger les soldats et officiers des Forces de défense israéliennes et leur fournir un gilet pare-balles politique et juridique », indiquait un communiqué de la campagne électorale conjointe de Livni et du leader travailliste Isaac Herzog.

Dans l'esprit de Netanyahou, Israël ne pourra, en outre, jamais abandonner le contrôle de la sécurité à l'ouest du Jourdain, région où les colonies occupent une part essentielle. L’an dernier, au quatrième jour de l’offensive israélienne sur Gaza, et ne parlant qu’en hébreu, Netanyahou avait révélé ce qu'il pensait vraiment de la solution à deux Etats : la plus grande leçon à retenir de l'escalade est qu’Israël doit s’assurer que « nous n’aurons pas un autre Gaza en Judée et Samarie [Cisjordanie] ».

Et de poursuivre : « Je pense que le peuple israélien comprend maintenant ce que j’ai toujours dit : qu'il ne peut y avoir une situation, en vertu de n’importe quel accord, dans laquelle nous abandonnons le contrôle de la sécurité du territoire à l'ouest du Jourdain. »

L'enclave palestinienne qu'il imagine ne pourrait pas fonctionner en tant qu’Etat souverain ou indépendant. Un tel territoire exigerait une supervision extérieure constante. Il ne serait pas simplement question d'insister à ce que la Palestine soit désarmée. Chaque alliance politique formée dans un tel Etat, chaque déclaration, chaque contrat de télécommunication, chaque visite officielle servirait de motif à une inspection israélienne minutieuse. Le prix de la liberté palestinienne serait une surveillance israélienne permanente.

S’attendre à une approche différente de la part d’Herzog s’il devenait premier ministre c’est se mettre le doigt dans l’œil. Lui aussi exige la reconnaissance palestinienne d'Israël comme Etat juif – sa seule différence avec Netanyahou est qu'il n’insisterait pas à faire de ce point une condition préalable aux négociations.

Dans cette atmosphère, il est tout naturel pour Netanyahou de sanctionner Abbas pour avoir osé explorer une voie indépendante, car c’est l'indépendance de l'action en tant que telle que l'éternel occupant/surveillant doit stopper, autant que les actions elles-mêmes.

Le problème auquel fait face Israël actuellement réside dans le choix du bâton qui servira à battre l'Autorité palestinienne, moins accommodante que par le passé. La première d’une série de mesures annoncées a consisté à retenir 128 millions de dollars de recettes fiscales palestiniennes. Israël a déjà appliqué une telle mesure à plusieurs reprises, sans grand résultat.

Les recettes de l'union douanière conjointe mise en place dans le cadre du Protocole de Paris sur les relations économiques représentent entre 36 et 44% du budget de l'Autorité palestinienne. C’est la même proportion du budget (38%) déboursé par l'Autorité palestinienne pour ses services de sécurité, dont la fonction principale est de coordonner la sécurité avec Israël. Donc, en cherchant à affaiblir l'Autorité palestinienne, Israël affaiblit aussi son propre contrôle global de la sécurité sur la Cisjordanie. C’est la seule chose à laquelle Netanyahou a juré de ne jamais renoncer.

Netanyahou veut-il voir l'Autorité palestinienne s’effondrer ? Non, car c’est dans l'intérêt d'Israël que Mahmoud Abbas garde le contrôle de la Cisjordanie. « Israël se trouve face à un dilemme : nous voulons disposer d’un moyen de pression contre les Palestiniens pour les empêcher de soumettre [des cas] à la CPI, mais nous ne voulons pas les affaiblir. C’est dans notre intérêt qu’ils gardent un contrôle effectif sur la Cisjordanie », confiait à l'AFP Robbie Sabel, ancien conseiller juridique du ministère des Affaires étrangères israélien.

Dans un conflit de ce genre, il y a peu de différence qualitative entre la Cisjordanie et Gaza, hormis une différence de degrés. Les deux zones, sujettes aux sanctions israéliennes, peuvent réapparaitre rapidement pour ce qu’elles sont : des enclaves assiégées. Israël peut imposer en quelques heures l’arrêt de tout mouvement en Cisjordanie. Dans ces circonstances, il devient toujours plus difficile de faire valoir que la relative richesse de Ramallah est la récompense de vingt années de pourparlers et de reconnaissance d’Israël. Israël ferait automatiquement tout ce qu'il pourrait pour rappeler aux Palestiniens, où qu'ils vivent, qu'ils sont sous le même joug.

Les déclarations américaines et européennes critiquant la décision d'Israël de sanctionner l'Autorité palestinienne pirouettent autour de la même contradiction interne : pour exister, une solution à deux Etats a besoin d'un gouvernement embryonnaire au sein de l'Autorité palestinienne, mais sans aller jusqu’à lui permettre de gouverner ou prendre ses propres décisions. Et s’il venait à le faire, la démarche serait jugée unilatérale et provocatrice. En d'autres termes, une Autorité palestinienne est acceptable, tant qu'elle n’exerce aucune autorité réelle. Les Palestiniens doivent savoir rester à leur place.

Ceci explique tout ce que vous devez savoir sur l'impasse dans laquelle se trouvent les accords d'Oslo. L'effondrement du processus de paix en 2014 est plus total que l'échec du sommet de Camp David II quatorze ans plus tôt. Cet échec avait conduit à la deuxième Intifada. Cette fois-ci, le processus a échoué de manière fondamentale. Les Palestiniens qui rejettent la violence et s’engagent à adopter des moyens exclusivement non-violents ont du mal à imaginer une solution pacifique. Chacun sait qu'une explosion est à venir, et le ressent au plus profond de son être.

- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il était précédemment journaliste au Guardian où il a occupé les positions de rédacteur en chef adjoint et contributeur principal de la rubrique Actualités internationales, éditeur de la rubrique Affaires européennes, chef du bureau de Moscou, correspondant européen, et correspondant en Irlande. Avant The Guardian, Hearst était correspondant pour la rubrique Education au journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : le président palestinien Mahmoud Abbas consulte sa montre avant un discours dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, le 4 janvier (AFP).

Traduction de l’anglais (original).

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