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Liban : un nouveau gouvernement, de nouveaux visages, mais toujours les mêmes problèmes

La reconstitution du pouvoir politique et la mise en place d’un organe électoral indépendant sont des conditions préalables à tout redressement substantiel du Liban. En attendant, le pays ira de crise en crise
Le Premier ministre libanais désigné Najib Mikati arrive au palais du gouvernement dans la capitale Beyrouth, le 13 septembre 2021 (AFP)

Au Liban, une population exaspérée acclame la formation d’un nouveau gouvernement après près d’un an de tribulations et une crise économique et sociale sans précédent.

Cependant, les politiciens libanais chevronnés sont désormais passés maîtres dans l’art de créer un « facteur de choc » enthousiasmant et l’illusion d’un changement imminent en présentant quelques ministres qui ne font pas partie du groupe de noms habituel.

Ces personnes présentent généralement des qualifications professionnelles impressionnantes, mais n’ont pas le poids politique nécessaire pour susciter des réformes significatives ou prendre les mesures audacieuses qui s’imposent. Le gouvernement Najib Mikati de 2021 ne fait pas exception.

Depuis le retrait des forces syriennes du Liban en 2005, diverses formes de gouvernement – sous trois présidents très différents et cinq Premiers ministres très dissemblables – n’ont pas permis de résoudre les nombreux problèmes structurels d’ordre politique, sécuritaire, financier ou social auxquels le pays est confronté. Il doit y avoir de très bonnes raisons à cela.

Une résistance farouche

La population libanaise – en général – ne cesse de déplorer la mauvaise gouvernance et la détérioration des services publics, mais ce désaccord ne s’exprime généralement que de manière rhétorique et sur les réseaux sociaux. La plupart des Libanais ignorent le fait que les réformes demandées aux responsables politiques exigeraient tout d’abord une très forte volonté publique – c’est-à-dire que les citoyens devraient faire preuve d’une discipline rigoureuse étant donné que les réformes nécessiteraient leur soutien total et modifieraient considérablement leurs modes de vie.

La plupart des Libanais ignorent le fait que les réformes demandées aux responsables politiques exigeraient tout d’abord une très forte volonté publique 

Cependant, les premières tentatives timides de réforme ont été farouchement bloquées par un cercle de chefs d’entreprise et de responsables politiques. Malgré les profondes différences idéologiques et politiques qui les divisent, ces dirigeants politico-économiques s’accordaient à considérer la plupart de ces réformes comme des menaces pour leur pouvoir.

Au cours des deux dernières années, cette « solidarité » s’est manifestée par une résistance farouche à un plan de redressement financier proposé par le gouvernement sortant, dans la mesure où celui-ci aurait obligé les banques privées à absorber une partie du déficit financier accumulé au cours des 30 dernières années. Au lieu de cela, elles ont fait pression avec arrogance en faveur de la vente des actifs publics du Liban, se soustrayant ainsi à toute responsabilité.

Il y a ensuite les dynamiques régionales qui ont lourdement pesé sur la crise économique – et, par extension, financière – traversée par le Liban. L’absence de plan concret, cohérent et tenace de la communauté internationale visant à contrecarrer l’investissement stratégique et continu de l’Iran dans le Hezbollah signifie que cette « assurance-vie » de la République islamique est là pour rester.

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À l’échelle nationale, il faudra alors que le président du Parlement Nabih Berri, l’un des principaux symboles de la corruption, reste en règle. Il faudra également maintenir la relation incestueuse entre le Hezbollah et les institutions étatiques.

La présence prolongée de réfugiés syriens au Liban ainsi que l’utilisation du pays par le régime d’Assad pour contourner les sanctions continueront également d’entraver une reprise économique saine. Enfin, la réticence de certains pays du Conseil de coopération du Golfe à venir en aide au Liban ne peut être résolue par un gouvernement au sein duquel le Hezbollah et ses alliés continueront d’avoir le dernier mot.

Une fragmentation politique

Cette même fragmentation politique qui a paralysé le gouvernement Diab sortant est plus forte que jamais. La dynamique tant interpersonnelle que politique qui a entraîné l’annonce du 10 septembre au sujet de la formation d’un nouveau gouvernement est révélatrice de la profondeur du clivage politique, principalement parce que les principaux acteurs politiques estiment que ce gouvernement restera en place bien au-delà du terme légal de la législature actuelle, en 2022.

Le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, prononce un discours sur la chaîne de télévision Al-Manar, le 13 septembre 2021 (AFP)
Le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, prononce un discours sur la chaîne de télévision Al-Manar, le 13 septembre 2021 (AFP)

En l’absence d’une volonté publique et politique tenace et dans ce nouveau contexte régional, il est difficile d’imaginer comment ce gouvernement pourra faire face aux crises les plus immédiates, telles que la pénurie de produits de base ou le manque d’accès aux fonds déposés dans les banques.

Des injections considérables de liquidités sont nécessaires pour renflouer les banques et les caisses de l’État et cela reste un obstacle majeur qui ne peut être facilement surmonté – même avec les noms les plus clinquants d’un pouvoir exécutif détourné. La seule solution passe par des réformes structurelles progressives.

En outre, les Libanais doivent rester vigilants et ne pas se laisser manipuler par un président amer (Michel Aoun, qui semble envisager sérieusement une prolongation anticonstitutionnelle de son mandat), un Premier ministre très ambitieux et un certain nombre de ministres aux dents tout aussi longues.

L’inefficacité, le manque de vision, la corruption et la fragmentation ne sont pas l’apanage des groupes politiques qui font partie du système de pouvoir actuel. La grande majorité des partis et organisations d’opposition – y compris les révolutionnaires autoproclamés – souffrent des mêmes maux, mais à un degré moindre

L’inefficacité, le manque de vision, la corruption et la fragmentation ne sont pas l’apanage des groupes politiques qui font partie du système de pouvoir actuel. La grande majorité des partis et organisations d’opposition – y compris les révolutionnaires autoproclamés – souffrent des mêmes maux, mais à un degré moindre.

La « reconstitution du pouvoir politique », souvent invoquée, est une condition préalable à toute reprise au Liban. Au mieux, l’appareil actuel peut faire partie d’une transition. La « doctrine Macron », qui stipule que le pays sera sauvé par ces mêmes groupes qui l’ont dirigé quand il allait droit dans le mur, est une chimère.

Néanmoins, cette reconstitution du pouvoir politique ne concerne pas – et ne devrait pas concerner – uniquement les individus impliqués. Elle doit également comprendre les valeurs qui sous-tendent la pratique politique au Liban, ainsi que des paradigmes sociaux réformés qui compléteraient les changements juridiques et politiques par des changements sociaux.

Il s’agira d’un processus à long terme. La première étape doit être la tenue d’élections crédibles et inclusives dès que possible. Puisque les élections au Liban sont actuellement gérées par un ministère de l’Intérieur inféodé, l’une des pierres angulaires du redressement du pays doit être la mise en place d’un organe indépendant en charge des élections qui pourrait bénéficier d’une aide et d’un soutien internationaux substantiels.

Si le Premier ministre Najib Mikati entend sincèrement sauver le Liban, il doit commencer par mettre en place un organe électoral indépendant et une feuille de route convaincante menant à des élections en temps voulu.  

- Elie Abouaoun est le directeur des programmes Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’Institut des États-Unis pour la paix (antenne régionale de Tunis).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Elie Abouaoun is the director of Middle East and North Africa programmes at the United States Institute of Peace (USIP) regional hub in Tunis, Tunisia
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