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Liberté au Moyen-Orient : il y a encore des raisons d’être optimistes

Les habitants de la région retrouveront leur voix une fois que la poussière des guerres sectaires et des interventions internationales sera retombée

La plupart des observateurs du monde arabe ont écrit des éloges funèbres du Printemps arabe et présenté leurs condoléances. Malgré les soulèvements qui se sont propagés à travers le Moyen-Orient à partir de 2010, la région n’a pas été reconfigurée comme de nombreux citoyens et activistes l’auraient souhaité.

Dans plusieurs cas, les luttes pour la dignité, la justice sociale et la liberté dans le monde arabe ont été repoussées par des contre-révolutions, des guerres civiles, des interventions internationales, le sectarisme, l’extrémisme islamiste et le retranchement de l’autoritarisme.

Les réalités violentes sur le terrain ont ramené certains Arabes à la case départ – et dans les rues

Mais ces réalités violentes sur le terrain, associées à l’incapacité des Nations unies et des puissances occidentales à arbitrer ou à résoudre les conflits dans la région, ont ramené certains Arabes à la case départ – et dans les rues.

La plupart des protestations résultent de l’absence d’alternative. Aucun autre modèle de changement ne s’est présenté à l’échelle régionale ou mondiale. Et les peuples de la région – qu’ils soient arabes, berbères, kurdes ou autres – ont vu les conséquences brutales du fait de ne pas avoir pris les choses en main.

Le retour des protestations populaires

Les – pas si – petites protestations qui ont eu lieu cette année au Maroc, tout comme celles au Liban, en Égypte et en Irak au cours des deux dernières années, n’ont peut-être pas capté l’imagination de la plupart des citoyens ou l’attention des médias traditionnels, mais elles n’en sont pas moins significatives.

Leur importance est moins liée à des réformes immédiates effectuées par les gouvernements de la région qu’au renouveau de la politique ascendante – du peuple vers l’élite – dans le monde arabe, et ce malgré l’échec des soulèvements.

Des manifestants marocains crient des slogans lors d’une manifestation dans le centre-ville de Rabat, en juin 2017 (AFP)

Le retour des mobilisations à grande échelle dans la région du Rif, dans le nord du Maroc, n’est que l’exemple le plus récent du retour de la politique de protestation.

Les manifestations ont été dirigées par le mouvement al-Hirak al-Chaabi, qui a lancé des appels fondamentaux à la justice sociale via notamment le développement économique et la création d’écoles et d’emplois, et qui exige d’être traité dignement par l’État.

Les protestations ont été déclenchées en octobre 2016 après la mort de Mouhcine Fikri, un poissonnier d’al-Hoceïma, suite à une confrontation avec des policiers qui lui avaient confisqué sa prise « illégale ».

Leur importance est moins liée à des réformes immédiates qu’au renouveau de la politique ascendante

La réponse des Marocains dans le nord du pays rappelle celle des Tunisiens à la suite de la mort de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid en 2010, qui allait déclencher les soulèvements arabes.

Bouazizi était un autre exemple de citoyen arabe qui tentait seulement de vivre, mais qui a été poussé au sacrifice de soi par un État indifférent et négligent.

La région du Rif se compose d’une vaste population minoritaire amazighe qui a connu des décennies de marginalisation socioéconomique et d’inégalités croissantes. Les protestations ont continué de grandir, des étudiants, des femmes et des citoyens ordinaires s’étant joints à la vague de manifestations qui a même atteint les villes principales du pays, Casablanca, Rabat et Marrakech. L’arrestation consécutive du leader des protestations, Nasser Zefzafi, a seulement contribué à provoquer la fureur des Marocains ordinaires et à pousser de nouveaux groupes à se déclarer solidaires du Hirak.

Nasser Zefzafi, activiste marocain et leader du « Hirak », lors d’une manifestation en mai 2017 (Reuters)

Al-Hirak al-Chaabi a été la manifestation la plus claire à ce jour du fait que la politique de contestation est en vie et se porte bien au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Cela ne veut pas dire qu’un véritable changement politique est inévitable au Maroc. L’histoire récente de la région souligne la lenteur des réformes.

Le roi du Maroc Mohammed VI a été l’un des rares dirigeants à avoir devancé les protestations au début du Printemps arabe. Lorsque les Marocains sont descendus dans les rues en 2011, il a immédiatement répondu avec des réformes démocratiques et des amendements constitutionnels qui ont donné plus de pouvoir au parlement et réduit sa propre autorité.

Cela a suffi pour calmer les masses dans un pays confronté à des défis massifs, notamment un taux de pauvreté élevé, le chômage, des inégalités et une économie stagnante.

La « zone verte » et les îles de la mer Rouge

Des protestations importantes appelant à la responsabilité et la transparence ont également éclaté au Liban, en Irak et en Égypte, chacune défiant la corruption du gouvernement à sa manière.

Au Liban, le mouvement « You Stink » a protesté contre l’incapacité du gouvernement à fournir des services de base tels que la collecte des ordures et à mettre fin à la corruption. Rapidement, des demandes structurelles plus larges ont émané de ce mouvement pour contester le système confessionnel libanais, qui accorde les postes politiques et les ressources en fonction de l’appartenance religieuse.

Des dizaines de journalistes égyptiens participent à une manifestation au Syndicat des journalistes au Caire, en juin 2017 (AFP)

Les résultats au Liban ont peut-être été mitigés, mais le mouvement a révélé au grand jour le talon d’Achille du système et sa vulnérabilité face à la solidarité interconfessionnelle. Si « You Stink » n’a pas obtenu gain de cause pour la plupart de ses exigences, le mouvement a toutefois rassemblé des personnes de toutes classes et de tous groupes religieux, défiant le système bien établi de favoritisme contrôlé par les chefs sectaires.

Les Égyptiens ont une longue route à faire pour retourner sur la place Tahrir, mais cela ne les a pas empêchés de lutter contre la méduse de l’autoritarisme. La portée des protestations qui ont éclaté à nouveau pendant l’été – cette fois-ci en réponse à la décision du président Abdel Fattah al-Sissi de céder les îles de la mer Rouge de Tiran et Sanafir à l’Arabie saoudite – peut sembler limitée, mais elles représentent un défi important pour un régime qui vise à étouffer toute dissidence.

Les activistes ont exigé la propriété égyptienne des îles à travers de multiples canaux, allant d’offensives juridiques et politiques à des campagnes efficaces sur les réseaux sociaux qui ont mobilisé le soutien du public.

Même l’Irak a connu contre toute attente en 2016 des mobilisations massives contre un gouvernement corrompu et impuissant

Même l’Irak, un pays dévasté par plus de trois décennies de guerre, d’occupations et de désintégration politique, a connu contre toute attente en 2016 des mobilisations massives contre un gouvernement corrompu et impuissant.

Des manifestants se sont introduits dans la « zone verte » fortifiée, le secteur de la ville où travaillent et vivent les administrateurs militaires américains. Celle-ci est devenue à la fois un symbole de l’occupation étrangère et le siège du gouvernement sectaire corrompu qui a pris le pouvoir après le départ des Américains.

Des partisans du dignitaire chiite irakien Moqtada al-Sadr appellent à une réforme début 2016 (AFP)

Les protestations, qui ont entraîné la prise du parlement, étaient dominées par une faction dirigée par le dignitaire chiite Moqtada al-Sadr. Cela n’a toutefois pas empêché de nombreuses autres personnes de se joindre le mois suivant à une manifestation plus organisée appelant à la fin de la corruption et du sectarisme.

Le fait que Mossoul et de vastes régions du pays étaient occupées par l’État islamique à l’époque n’avait aucune importance pour les Irakiens : le manque de sécurité et la présence de l’État islamique en Irak n’étaient qu’un autre produit de l’incompétence du gouvernement irakien.

Ces protestations ont profondément secoué le gouvernement du Premier ministre Haïder al-Abadi. Des réformes ont suivi, notamment des plans visant à réduire la corruption et la nomination d’un nouveau cabinet.

Retrouver une voix

Les gros titres en provenance du Moyen-Orient sont dominés par la haute politique des puissances mondiales comme la Russie et les États-Unis ou la concurrence régionale entre l’Iran et l’Arabie saoudite – néanmoins, cela ne sera pas source de nourriture, d’emplois, de sécurité et de dignité pour les citoyens ordinaires de la région.

La nouvelle formule du changement social peut intégrer les nouvelles technologies, les réseaux sociaux et les acteurs émergents, mais elle ne s’écarte pas de la motivation fondamentale des mouvements sociaux à améliorer le quotidien des gens et défier les agents de l’autorité.

Les organisations de jeunesse, les personnes sans emploi, les groupes de quartier, les artistes, les minorités et les communautés marginalisées n’ont pas remplacé les mouvements traditionnels tels que les travailleurs, les partis politiques indépendants, les partis religieux et les associations professionnelles. Au contraire, ils élargissent les structures traditionnelles existantes, lesquelles sont également en quête de changement.

Un jeune Tunisien proteste contre l’interdiction par la Libye du commerce transfrontalier, en janvier 2017 à Ben Gardane (AFP)

Cet aspect était évident dans les succès initiaux des soulèvements tunisien, égyptien et yéménite, lors desquels des travailleurs, des étudiants, des paysans et des groupes marginalisés sont descendus dans les rues.

Malgré les défis qu’elle rencontre, la Tunisie demeure un modèle dans lequel d’anciens acteurs et de nouveaux acteurs – des citoyens jeunes et ordinaires ainsi que des syndicats et des partis religieux – luttent en faveur d’un consensus sur l’avenir de leur pays.

Mais ni l’ancienne structure, ni la nouvelle n’ont encore les réponses. Des obstacles organisationnels cruciaux et des questions fondamentales sur les programmes socioéconomiques doivent encore être clairement formulés et pris en compte par tous ces mouvements.

Aucun des États de la région n’a de garanties : chacun fait face à son propre ensemble de défis uniques

Les transitions politiques dans la région ne seront jamais faciles. La torpeur des régimes autoritaires retranchés est aggravée par la géopolitique du Moyen-Orient, qui impose qu’aucune puissance globale ou régionale ne laissera le hasard décider des issues politiques si elle peut l’en empêcher.

Les forces réactionnaires sont toujours disposées à combler le vide, qu’il s’agisse de l’État islamique, de gouvernements régionaux rétrogrades qui souhaitent maintenir l’autorité ou de puissances internationales qui interviennent pour servir leurs propres intérêts.

Les manifestations au Maroc, au Liban, en Irak et en Égypte au cours des deux dernières années sont des signes positifs indiquant que les mouvements de protestation sociale se poursuivront, peut-être désormais avec plus de nuance et de clarté dans leur orientation.

Aucun des États de la région n’a de garanties : chacun fait face à son propre ensemble de défis uniques.

Mais une fois que la poussière des guerres sectaires et des interventions internationales sera retombée, les habitants de la région retrouveront leur voix.

- Rayan El-Amine est directeur adjoint de l’Institut Issam Fares pour les affaires publiques et les affaires internationales de l’Université américaine de Beyrouth.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : manifestants libanais lors de protestations organisées par « You Stink » à Tyr, en septembre 2015 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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