Pouvoir, corruption et mensonges : le combat des femmes irakiennes pour être reconnues
BAGDAD – Elles habitent à l’une des meilleures adresses de Bagdad mais dans l’un des pires appartements. Une vue directe sur les eaux du Tigre n’offre qu’une faible compensation à la misère de certaines des 6 000 familles de réfugiés de Falloujah, qui vivent sur une corniche dans la banlieue nord d’Adhamiyah.
Elles ont dû se réfugier dans des appartements à moitié terminés et des immeubles de bureaux à proximité de maisons familiales à deux étages, réparties le long des rues silencieuses et verdoyantes de la banlieue.
« Nous sommes ici depuis plus de deux ans et demi, depuis l’occupation de Falloujah par Daech », explique Fawzia Ferhan Hussein, veuve et grand-mère, vêtue d’un hijab noir.
« Un de mes fils est parti voir notre maison et l’a trouvée en ruines… Il n’y a nulle part où retourner »
- Fawzia Ferhan Hussein
Ses six enfants, tous mariés, vivent près d’elle dans l’abri en béton qui leur fait office de maison. Ils ont vécu quelques mois sous le contrôle de l’EI mais ont réussi à s’échapper à bord de petits bateaux sur l’Euphrate, puis ont marché la nuit dans le désert.
Suite à leur amère expérience, les familles ont appris à se débrouiller. Dans leur nouvelle maison, les hommes ont érigé des murs en contreplaqué pour créer des petites cabines pour chaque couple, qui dorment sur des matelas à même le sol.
Ils ont installé des tuyaux reliés au réseau officiel fournissant de l’eau, pour installer des robinets à chaque cage d’escalier où dans les cuisines individuelles des familles. Des fils connectés au réseau national leur fournissent de l’électricité.
« Lorsque nous avons quitté Falloujah, nous avons d’abord loué une maison puis l’argent est venu à manquer. Nous sommes alors venus ici », raconte Fawzia.
« Un de mes fils est parti voir notre maison il y a un mois et l’a trouvée en ruines, une partie brûlée et l’autre explosée… Il n’y a donc nulle part où retourner. »
Yazi Shennari, mère de quatre enfants, raconte une histoire similaire. Sa maison est également inutilisable, détruite selon elle lors de l’assaut de l’armée irakienne qui a chassé l’EI de Falloujah l’an dernier.
Tenant l’un de ses enfants contre elle, son mari et elle se sont d’abord rendus dans la province de Diyala mais n’ont pas trouvé de travail. Il travaille maintenant comme travailleur journalier à Bagdad.
Selon Yazi, la famille ne reçoit aucune aide de la part du gouvernement. Quelques voisins leur amènent de temps en temps de la nourriture.
Nada Ibrahim al-Jiboury fait partie de leurs soutiens et les aide régulièrement avec son propre salaire.
Anesthésiste indépendante, Nada a créé une organisation non-gouvernementale appelée Iraqi Woman and Future (La femme irakienne et l’avenir). Elle a également embauché des professeurs et des puéricultrices pour une crèche, et a recensé les 36 000 personnes (environ six par famille) qui vivent le long de la corniche et dans d’autres parties d’Adamiyah.
La carrière de Nada illustre les vices et les vertus du système politique irakien ainsi que les difficultés auxquelles les femmes font face pour rompre avec le patriarcat traditionnel du pays.
La Constitution adoptée à la suite de la destitution de Saddam Hussein exige qu’au moins un quart des députés soit des femmes. En pratique, ce pas en avant rencontre toutefois de nombreuses difficultés.
« Il y a beaucoup de défis lorsque vous êtes une femme en politique irakienne », explique Nada à Middle East Eye.
Nada a été députée de 2005 à 2014 sur une liste menée par un homme politique sunnite, Saleh al-Mutlaq, qui faisait partie d’une coalition appelée le Front irakien pour un dialogue national.
Le système électoral irakien se base sur une représentation proportionnelle. À la base, les électeurs ne faisaient que cocher leur liste de noms favorite, mais lors des élections de 2010, le choix a été ouvert. Les électeurs pouvaient cocher le nom de leurs candidats préférés sur n’importe quelle liste.
« Cela a créé une grande compétition entre les trois hommes et la femme qui seraient entrés au parlement si la liste était sortie vainqueur », souligne Nada.
Ce problème a culminé lors des élections de 2014. Selon les procès verbaux de résultats, postés sur les murs de chaque bureau de vote une fois le dépouillement terminé, Nada est arrivée en tête de la liste du parti avec 4 100 votes, le score le plus élevé pour une femme sunnite à Bagdad, précise-t-elle.
« Un collègue m’a dit : "Nada, tu es une imbécile. Tu es députée depuis huit ans et tu n’as pas gagné d’argent" »
- Nada Ibrahim, ancienne députée
Les résultats ont été enlevés dans les 24 heures qui ont suivi, et Nada s’est entendue dire par des collègues qu’elle devait payer un pot-de-vin de centaines de milliers de dollars à la Commission indépendante des élections pour que sa victoire soit confirmée.
Ils lui ont aussi déclaré que dans le cas contraire, son chef de parti serait déclaré comme celui ayant remporté le plus de votes et prendrait le seul siège qui revenait à la liste. Trop peu d’électeurs ont voté pour la liste pour qu’elle se qualifie pour plus d’un siège dans le nouveau parlement.
« J’étais outrée », explique Nada à MEE. « Lorsque j’ai dit que je n’avais pas cet argent et que, de toutes façons, je ne paierai pas, un collègue m’a dit : "Nada, tu es une imbécile. Tu es députée depuis huit ans et tu n’as pas gagné d’argent". »
Nada était devenue impopulaire auprès de certains députés hommes. « Lorsqu’ils ont vu qu’une femme avait du pouvoir et faisait des discours, ils m’ont perçue comme une menace. »
« J’étais aussi en contact avec des personnes et j’étais active en dehors de la zone verte », explique-t-elle en faisant référence au quartier lourdement protégé qui accueille le parlement et les résidences privées des députés et des ministres. Il est presque impossible pour les citoyens ordinaires d’y accéder.
Nada ne pratique plus la médecine. Elle se dévoue à la place à son ONG pour les femmes.
Cette ONG se concentre sur les violences conjugales contre les femmes mais offre également des cours de préparation à l’embauche pour des jeunes réfugiés, hommes comme femmes, et les forme à la maintenance d’un téléphone portable et à l’électromécanique.
Bien qu’elle ne leur en veuille pas, elle s’inquiète de la quantité de jeunes Irakiens qui ont quitté le pays, dont des femmes, depuis que l’Allemagne a ouvert ses portes aux réfugiés.
« Il y a eu de nombreux changements positifs depuis la chute de Saddam : la liberté d’expression pour les journaux et la télévision, la liberté de voyager, la liberté de former des partis politiques et de voter pour eux », énumère-t-elle à MEE.
« Mais il y a aussi du négatif. Il y a beaucoup de violence. Le gouvernement s’est effondré dans de larges parties du pays lorsque Daech est arrivé. Le discours politique est imbibé de confessionnalisme, et la corruption est massive. »
Nada maintient ses contacts politiques, la tentation de retourner dans l’arène parlementaire étant forte. Elle vient de former avec quinze amis un nouveau parti, appelé le Parti du pouvoir et de l’unité nationaux.
Malgré son nom, il est principalement sunnite. Le cancer du confessionnalisme, amené par l’invasion menée par les États-Unis en 2003 est difficile à éradiquer, admet-elle.
Traduit de l’anglais (original).
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