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Libye : l’Irak de David Cameron

Publié hier, le rapport de la commission des affaires étrangères britannique sur l’intervention en Libye en 2011 entame un peu plus la réputation de Cameron

En politique, très peu de personnes, pas même Tony Blair, n’ont autant et aussi vite perdu leur réputation que David Cameron.

Il y a moins de dix-huit mois, Cameron remportait contre toute attente une impressionnante victoire aux élections législatives. À ce moment-là, le dirigeant conservateur semblait invincible.

Au lieu de cela, il restera dans l’histoire comme le Premier ministre britannique qui a accidentellement déclenché le Brexit. Cette semaine, sa décision de démissionner de son poste de député a suscité des accusations de mensonge – et des comparaisons peu flatteuses avec Tony Blair et ses profits après avoir quitté la fonction publique.

La commission ne doute pas que « l’ancien Premier ministre David Cameron est le responsable final de l’échec à développer une stratégie cohérente en Libye »

Publié hier, le rapport de la commission des affaires étrangères britanniques sur l’intervention en Libye il y a cinq ans entame un peu plus la réputation déjà fragilisée de Cameron.

Le rapport est catégorique sur le fait que l’intervention franco-britannique fut un désastre absolu et insiste sur le fait que Cameron devrait en assumer la responsabilité.

La commission accuse le gouvernement Cameron d’avoir exagéré la menace que faisait peser Mouammar Kadhafi sur les civils, de n’avoir pas compris comment fonctionnait la Libye et d’avoir poursuivi « une politique opportuniste de changement de régime ».

Pire encore, le rapport stipule que la Grande-Bretagne n’a pas réussi à développer « une stratégie pour soutenir et façonner la Libye post-Kadhafi ».

Toujours selon la commission, les conséquences de l’incompétence britannique auraient difficilement pu être plus graves : « l’effondrement politique et économique du pays, une guerre tribale et entre les milices, une crise des réfugiés et humanitaire, des violations des droits de l’homme à grande échelle, la propagation des armes du régime Kadhafi à travers la région et l’essor de l’État islamique en Afrique du Nord. »

Enfin, la commission ne doute pas que « l’ancien Premier ministre David Cameron est le responsable final de l’échec à développer une stratégie cohérente en Libye ».

Mensonges capitaux

Cameron a souvent été comparé à son prédécesseur Tony Blair, et à raison. Les deux hommes partageaient la même analyse modernisatrice, le même style de gouvernement et le même mépris pour les structures politiques traditionnelles.

Il y a une autre comparaison. Les deux hommes ont été d’épouvantables chefs de guerre – et rejoignent ainsi le Premier ministre britannique Anthony Eden (l’humiliation de Suez en 1956), Neville Chamberlain (Munich) et Lord North (perte des colonies américaines).

Tout comme avec l’Irak, un mensonge capital est au cœur de la décision d’envahir la Libye

Tony Blair a mené la Grande-Bretagne à la catastrophe irakienne. Cameron, ainsi que le président français Nicolas Sarkozy, a mené la Grande-Bretagne à notre désastreuse intervention libyenne.

La Libye fut l’Irak de David Cameron. Tout comme avec l’Irak, un mensonge capital est au cœur de la décision d’envahir le pays. Cameron a prétendu à tort que Kadhafi était sur le point de commettre un génocide, alors que Blair avait déclaré à tort que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive.

De lamentables échecs des renseignements furent à la racine de chaque désastre. La commission fait remarquer que « le gouvernement du Royaume-Uni a été incapable d’analyser la nature de la rébellion en Libye en raison de renseignements incomplets et d’un manque de perspicacité institutionnelle […] il a pris au pied de la lettre, de manière sélective, certains éléments de la rhétorique de Mouammar Kadhafi ; et il a échoué à identifier les factions islamistes radicales au sein de la rébellion ».

Cela fait écho de manière troublante aux erreurs des renseignement britanniques en Syrie, où nos responsables ont également échoué à appréhender la façon dont al-Qaïda et d’autres groupes djihadistes en arriveraient à dominer le soulèvement.

Cependant, l’échec des renseignements britanniques à comprendre la Libye est particulièrement incompréhensible car la Grande-Bretagne jouissait d’une relation particulièrement étroite avec Musa Kusa, le chef des renseignements libyens avant la révolution – comme en témoigne la correspondance avec le responsable du MI-6, sir Mark Allen, sur l’enlèvement et la torture subséquente d’Abdulhakim Belhaj.

Par ailleurs, l’incapacité à planifier l’avenir était tout aussi notable en Libye qu’en Irak.

Et beaucoup moins justifiable. Au moment où nous sommes intervenus en Libye en 2011, la Grande-Bretagne avait eu suffisamment de temps pour assimiler les leçons de la guerre en Irak. Nous en avons été incapables. Une nouvelle architecture sécuritaire était en place sous la forme du Conseil national de sécurité tant vanté de Cameron, mais il s’est avéré n’être guère plus utile que le « gouvernement canapé » de Blair.

Ironiquement, Blair apparaît comme l’une des personnes ayant un beau rôle dans le fiasco libyen, du moins c’est ce que la commission des affaires étrangères semble affirmer.

L’ancien Premier ministre s’est présenté comme un intermédiaire avec la famille Kadhafi, ouvrant la possibilité d’une solution politique plutôt que militaire à la crise. Malheureusement, conclut la commission, Cameron n’a pas eu la présence d’esprit d’exploiter le lien de Blair avec Kadhafi.

Jouer sur les deux tableaux

La plupart des conclusions du rapport de la commission des affaires étrangères sont assez justes. Cependant, la commission fait preuve d’un jugement on ne peut plus erroné en ce qui concerne les événements actuels.

« Le gouvernement d’union nationale [GNA], énonce-t-elle, est la seule option ».

Ça n’a pas de sens. Le GNA – encore une autre initiative britannique vouée à l’échec et à la légalité douteuse – est un désastre. Il inspire très peu de loyauté dans l’Est de la Libye (où l’ambassadeur britannique est persona non grata).

Après une série de saisie d’infrastructures pétrolières le week-end dernier, le général Khalifa Haftar du gouvernement de Tobrouk contrôle désormais près de 80 % de la production pétrolière libyenne.

Curieusement, les forces spéciales britanniques jouent sur les deux tableaux de ce schisme politique, aidant les forces fidèles au GNA à Misrata et aidant Haftar à bombarder les milices islamistes pro-Tripoli à Benghazi.

Pas même le plus doux des langages du Foreign Office ne peut faire avaler le moins du monde qu’aider Haftar revient à aider le GNA à Tripoli ou à travailler à l’unité du pays. Il s’agit plutôt d’une politique visant à la partition de facto de la Libye.

Avec le recul, tout est facile et le rapport de la commission des affaires étrangères en tire pleinement parti. Il est donc peut-être utile de rappeler que seule une douzaine de députés ont voté contre l’intervention en Libye il y a cinq ans. L’un d’eux était le leader travailliste Jeremy Corbyn.

Il est grand temps que les opposants travaillistes tels que Hilary Benn reconnaissent que Corbyn a toujours fait preuve d’un jugement éclairé sur les questions de politique étrangère. S’il avait été Premier ministre ces quinze dernières années, la Grande-Bretagne ne serait pas tombée dans le piège mortel de la province de Helmand, l’horreur irakienne ou le désastre libyen.

Alors que les travaillistes font leur choix dans la course à la direction du parti, ils devraient garder cela à l’esprit.

– Peter Oborne a été désigné journaliste indépendant de l’année 2016 à l’occasion des Online Media Awards pour un article qu’il a rédigé pour Middle East Eye. Il a reçu le prix de Chroniqueur britannique de l’année lors des British Press Awards de 2013. En 2015, il a démissionné de son poste de chroniqueur politique du quotidien The Daily Telegraph. Il a publié de nombreux livres dont Le triomphe de la classe politique anglaise, The Rise of Political Lying et Why the West is Wrong about Nuclear Iran.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le Premier ministre britannique David Cameron quitte le parlement après s’être adressé à la Chambre des communes sur la Libye à Londres, le 18 mars 2011 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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