L’Irak, quinze ans après : un héritage américain toxique
Ce mois-ci, cela fait quinze ans que les États-Unis ont mené une guerre incroyablement sanglante en Irak dans le cadre de leurs efforts continus pour assurer la misère perpétuelle de la nation irakienne.
Mis à part le pur carnage, l’invasion a eu d’autres résultats plus futiles mais toujours « spectaculairement déplaisants », comme le rappelle le journaliste primé Patrick Cockburn : « Peu de temps après la prise de contrôle par les responsables des forces d’occupation américaines du complexe du palais de Saddam Hussein dans le centre de Bagdad […] les toilettes du palais ont été bouchées et ont commencé à déborder. Des toilettes mobiles ont été rapidement expédiées vers le pays et installées dans les jardins du palais. »
Une augmentation des cas de cancer et de malformation congénitale
Il s’est avéré que les Américains n’avaient pas jugé utile d’étudier les traditions moyen-orientales en matière de toilettes, ni compris que dans de nombreuses régions du globe, la grosse commission n’est pas suivie du recours à des quantités massives de papier toilette.
Même s’il ne fait aucun doute que ces images ont également une pertinence métaphorique, étant donné les excréments que servent les États-Unis en guise de politique dans la région, la toxicité des retombées de la guerre en Irak a pris des formes bien plus extraordinairement pernicieuses.
Ce sont ces mêmes États-Unis qui, bien entendu, piquent une crise belliqueuse chaque fois que le mot « radioactif » apparaît dans le contexte de l’Iran, tout en s’engageant dans d’innombrables autres formes de carnage hypocrite
Intéressons-nous par exemple à un article de Cockburn rédigé en 2010 pour The Independent, intitulé « L’héritage toxique de l’assaut américain sur Falloujah est “pire que Hiroshima” ». Il y décrit les résultats d’une étude réalisée par le scientifique britannique Chris Busby et ses collègues Malak Hamdan et Entesar Ariabi sur l’augmentation des cas de cancer, de malformations congénitales, de mortalité infantile et d’autres formes de souffrance dans la ville irakienne de Falloujah, épicentre d’un assaut américain particulièrement brutal.
Pour sûr, l’armée américaine, qui fait partie des plus gros pollueurs de la planète, n’a jamais été ravie de reconnaître ce qui semblerait évident : saturer l’environnement de matières toxiques aura des répercussions sur la santé humaine et environnementale, y compris sur celle de ses propres combattants, comme en témoignent les troubles dont souffrent les vétérans de la guerre du Vietnam et de la première guerre du Golfe, entre autres escapades impériales.
Selon Mozhgan Savabieasfahani, un toxicologue primé basé dans le Michigan, « environ six milliards de balles ont été utilisées dans l’environnement irakien » entre 2002 et 2005 uniquement – ce qui, avec les bombes, a entraîné « une contamination du public avec [...] des métaux toxiques ».
L’uranium appauvri, un danger sur le long terme
Mais l’arsenal militaire américain s’étend bien au-delà des armes et des bombes traditionnelles. En 2012, le journaliste britannique Robert Fisk a écrit un article sur Sayef, un Irakien de 14 mois qui avait la tête gravement enflée et qui était aveugle, paralysé et incapable d’avaler. Notant que l’augmentation du nombre de malformations congénitales à Falloujah avait été largement attribuée à l’utilisation de phosphore blanc par les États-Unis, Fisk a néanmoins été contraint d’inclure une mise en garde : « Personne ne peut bien entendu produire la preuve irréfutable que ce sont des munitions américaines qui ont causé la tragédie des enfants de Falloujah. »
Pourtant, la possibilité d’une relation de cause à effet devient de plus en plus difficile à nier. En 2009, le Guardian avait déjà rapporté que les médecins de Falloujah « traitaient jusqu’à quinze fois plus de malformations chroniques chez les nourrissons » que l’année précédente, comme le cas d’un bébé né avec deux têtes.
En 2013, Al Jazeera a cité Sharif al-Alwachi, du Centre de lutte contre le cancer de Babil, dans le sud de l’Irak, qui a attribué l’augmentation des cas de cancer depuis 2003 à l’utilisation par l’armée américaine d’armes à uranium appauvri. Al Jazeera a également ajouté une note inspirante : « Les traces restantes d’uranium appauvri en Irak représentent un danger environnemental redoutable sur le long terme, puisqu’elles resteront radioactives pendant plus de 4,5 milliards d’années. »
En effet, l’uranium appauvri constitue en soi une boîte de Pandore. Dans un article de 2016 du Washington Spectator intitulé « L’Irak irradié », Barbara Koeppel, journaliste d’investigation basée à Washington, D.C., commente la classification par les États-Unis de leurs propres armes à uranium, qu’ils qualifient de « conventionnelles » alors qu’elles sont en réalité « radioactives et chimiquement toxiques ».
Des capacités destructrices
Ce sont ces mêmes États-Unis qui, bien entendu, piquent une crise belliqueuse chaque fois que le mot « radioactif » apparaît dans le contexte de l’Iran, tout en s’engageant dans d’innombrables autres formes de carnage hypocrite.
Barbara Koeppel cite l’observation de Scott Ritter, ancien inspecteur en désarmement de l’ONU : « L’ironie du sort est que nous avons envahi l’Irak en 2003 pour détruire ses ADM [armes de destruction massive] inexistantes. Pour ce faire, nous avons tiré avec ces nouvelles armes qui ont causé des dégâts radioactifs. »
Heureusement pour les États-Unis, il y a de nombreux membres des médias nationaux et un paysage national plus large qui sont enclins à succomber à la notion que l’uranium appauvri est tout simplement quelque chose dont on ne parle pas ; on pourrait même dire que le problème en lui-même est radioactif.
D’autres ont cependant adhéré pleinement aux merveilles destructrices de l’uranium appauvri, à l’instar d’un soldat des forces d’opérations spéciales américaines avec qui je me suis entretenue plus tôt cette année. Ce jeune homme venait de terminer des missions en Irak et en Syrie, où les États-Unis ont récemment été critiqués pour avoir employé une nouvelle fois de l’uranium appauvri ; il a fait part de sa consternation devant le fait que certains segments de la communauté internationale avaient manqué d’apprécier l’efficacité de l’armement en question.
En 2001, le Comité international de la Croix-Rouge a émis des idées édulcorées sur l’uranium appauvri, suggérant avec ménagements que le droit international humanitaire « interdi[se] les armes, moyens ou méthodes de guerre de nature à causer des blessures superflues ou des souffrances inutiles, dont les effets sont produits sans discernement ou qui causent des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel ».
Le prix n’en vaut pas la peine
Ce que ces pensées juridiques si civilisées omettent, c’est que cette guerre en elle-même n’est rien de moins qu’une souffrance inutile, qu’elle tue par le biais d’armes « conventionnelles » ou plus créatives. Les sanctions américaines sont aussi des armes, comme l’a clairement montré la réponse des Américains aux informations relayées en 1996 selon lesquelles un demi-million d’enfants irakiens étaient morts à cause d’elles : « Nous pensons que le prix en vaut la peine. »
On éprouve sans aucun doute une abomination particulière à l’idée de munitions qui continuent de mutiler, de déformer et de tuer longtemps après que la guerre a semblé avoir atteint son terme. Des attaques nucléaires contre Hiroshima et Nagasaki à l’empoisonnement du Vietnam à l’agent orange, jusqu’à la contamination militaire de l’Irak et aux millions de bombes à sous-munitions larguées au Liban en 2006 par l’État d’Israël sous parrainage américain – dont beaucoup n’ont pas explosé à l’impact et constituent donc encore un danger mortel pour les enfants et les autres civils –, il semble exister de nombreuses façons de prolonger indéfiniment une souffrance humaine inutile.
Aujourd’hui, au quinzième anniversaire de la guerre lancée par les États-Unis contre l’Irak en 2003, alors que se profilent d’autres charges de nocivité mondiale larguées avec le soutien des États-Unis, le prix n’en vaut assurément pas la peine.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des soldats américains patrouillent sur une route alors qu’une fumée noire épaisse s’échappe d’un puits de pétrole en flammes, devant le gisement pétrolier irakien de Rumaila, le 23 mars 2003 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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