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L’Iran assoit son influence à long terme en Syrie

Les difficultés financières de Damas vont croissant : la Syrie est contrainte de compter de plus en plus sur l’aide de son allié, mais l’Iran exige un lourd tribut en échange de son soutien

Quatre années d’une insurrection devenue guerre civile ont prélevé leur tribut sur l’économie et la société syrienne. Suite aux sanctions européennes contre son secteur pétrolier et la prise de contrôle de tous les principaux champs de pétrole par Daech et les groupes kurdes, Damas n’encaisse plus guère de recettes en devises étrangères, et la destruction de la plupart des activités commerciales privées a réduit les recettes fiscales. De plus en plus, le gouvernement se tourne vers ses alliés, l’Iran et la Russie, pour combler l’écart.

L’Iran joue pour Damas un rôle particulièrement prépondérant de soutien financier.

En janvier 2013, Téhéran a ouvert une ligne de crédit d’un milliard de dollars pour aider le gouvernement syrien à payer ses importations – mais à condition qu’elles proviennent à 60 % d’Iran. Depuis, nombre des appels d’offres émis par les sociétés du secteur public comportent la mention : appel ouvert exclusivement aux entreprises iraniennes.

Puis, en août 2013, l’Iran a fourni une autre ligne de crédit, cette fois d’une valeur de 3,6 milliards de dollars, affectée à l’achat de produits pétroliers – la plupart à importer d’Iran également.

En partie grâce à ces deux accords financiers, un tiers des importations syriennes proviennent désormais d’Iran.

Des liens économiques historiquement très faibles

Avant le soulèvement, et à la différence de la profondeur de leurs relations politiques et de sécurité, les relations économiques et commerciales entre les deux pays étaient en fait très faibles. En 2010, par exemple, le commerce bilatéral atteignait péniblement 320 millions de dollars, quand les échanges de la Syrie avec la Turquie se montaient à 2,5 milliards de dollars, et même à 940 millions de dollars avec les Etats-Unis – en dépit des sanctions imposées de longue date par Washington contre Damas, pour présomption de soutien au terrorisme. Les investissements iraniens en Syrie ne soutenaient pas non plus la comparaison avec ceux du Golfe et de l’Union européenne.

Plusieurs raisons à la relative modestie de ces liens économiques : historiquement, les réseaux commerciaux entre les deux pays sont limités, par rapport, par exemple, à ceux entre Damas et le Hedjaz, ainsi qu’entre Alep et Mosoul ou l’arrière-pays de la Turquie ; Syrie et Iran n’ont pas de frontières communes et sont séparés par l’Irak, avec lequel ces deux pays avaient des relations si conflictuelles que leurs frontières lui étaient fermées pendant des décennies. Enfin, ces deux économies ne sont pas complémentaires et aucun des deux ne fabrique ou commercialise de produits compétitifs sur le marché de l’autre.

En outre, après son avènement au pouvoir en 2000, Bachar al-Assad a établi des liens économiques avec la Turquie et les pays arabes, visiblement en vue d’équilibrer les relations stratégiques que ces pays entretenaient avec l’Iran. En 2005, la Syrie a rejoint la Grande zone arabe de libre-échange (GAFTA) et signé un accord de libre-échange avec la Turquie en 2007, mais négligé de faire de même avec l’Iran. Les deux pays ont attendu 2011 pour signer un accord commercial préférentiel, après le début de l’insurrection et la détérioration des relations avec la Turquie et le monde arabe.

Enfin, leurs relations ont toujours été teintées de suspicion, dont voici un exemple particulièrement parlant.

En été 2010, Damas a émis un appel d’offres pour l’attribution d’une troisième licence de téléphonie mobile en Syrie. Le gouvernement a reçu six offres : de France Télécom, Saudi Telecom, Turkcell (Turquie), Q-Tel (Qatar), Etisalat (Emirats Arabes Unis) et Toseye Eatemad Mobin, société iranienne supposée être liée aux gardiens de la révolution.

Quelques mois plus tard, et seulement quelques semaines avant le début du soulèvement, le ministère des Télécommunications a communiqué sa présélection. Cinq entreprises avaient été pré-qualifiées, sauf une... la société iranienne.

L’Iran capitalise sur la faiblesse de la Syrie

Aujourd’hui, à court d’argent autant que d’alliés, le régime syrien n’a guère d’autre choix que d’accepter les conditions des Iraniens.

A court terme, il est peu probable que l’Iran cesse de fournir à Damas des fonds, au moins le minimum nécessaire à maintenir le régime à flot, car Téhéran a tout simplement trop investi dans la guerre syrienne pour abandonner maintenant.

Le 6 mai, Adib Mayyaleh, gouverneur de la Banque centrale de Syrie, a déclaré à Bloomberg que Téhéran était sur le  point d’accorder encore un million de dollars à la Syrie. Il se pourrait que ce montant ait déjà été versé, vu que, pendant la première semaine de mai, la Banque centrale a déjà pompé des dizaines de millions de dollars pour soutenir sa monnaie.

Cependant, avant d’accorder à la Syrie de plus grosses sommes, on peut compter sur l’Iran pour capitaliser sur la faiblesse de son allié. Certains rapports ont fait état que les Iraniens cherchent maintenant à obtenir du gouvernement syrien des nantissements sous forme d’actifs immobiliers, entre autres bijoux de famille.

Une chose est sure : le régime syrien est devenu lourdement dépendant de l’aide économique de l’Iran, outre sa dépendance à son soutien politique et militaire. Ce qui comporte un grave risque politique, car Damas n’a  plus les moyens de résister à d’éventuelles pressions de son allié.

Si l’Iran obtient également des garanties pour son aide financière, et met donc la main sur des actifs syriens importants, Téhéran obtiendra de ce fait même la garantie que son influence politique en Syrie, déjà si puissante, durera bien après la fin du régime actuel.

- Jihad Yazigi, journaliste basé à Beyrouth, est rédacteur en chef du Syria Report, bulletin en ligne spécialisé sur l’économie syrienne, qu’il a créé en 2001.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle-East Eye.

Photo : Damas, 16 mars 2015. Rencontre entre le président syrien Bachar al-Assad (à droite) et le ministre iranien de l’Economie et des Finances, Ali Tayyebnia (AFP / HO / SANA).

Pour plus d’informations, visiter : http://www.middleeasteye.net/columns/iran-building-long-term-influence-syria-1770733224#sthash.CzsbSu2k.dpuf

Traduction de l'anglais (original) par Dominique Macabies.

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