L’islam a besoin d’une restauration, pas d’une réforme
Après avoir été invité à prendre la parole dans un certain nombre de débats et de conférences sur la question de savoir si une réforme de l’islam devait avoir lieu, j’ai observé qu’il ne s’agit pas d’une question soulevée par moi-même ou par la plupart des musulmans, mais que celle-ci nous est imposée par les autres.
En général, les musulmans sont bien conscients qu’il n’y a pas de problème avec l’islam. Les musulmans comprennent que l’islam définit la finalité humaine dans le cosmos et prodigue un mode de vie complet et cohérent qui est conçu pour mener au bonheur humain et à la justice ici-bas comme dans l’au-delà. Pour les musulmans, l’auteur du Coran, qui est également l’auteur de l’humanité, connaît l’homme mieux que quiconque et comprend comment les humains doivent être organisés et guidés : ainsi, les lois et solutions islamiques sont parfaitement équilibrées pour être mises en œuvre par l’humanité.
Le désir de réforme de l’islam tend ainsi généralement à prendre la forme d’une exigence formulée au monde musulman par des acteurs ou des influences externes, en général par des Occidentaux et par ceux qui sont influencés par la civilisation occidentale, ou les « réformistes laïcs ». Leur exigence de réforme est basée sur le faux postulat selon lequel la religion doit être séparée de l’État et l’islam est comparable aux problèmes rencontrés par le christianisme avec la politique. Cependant, ils formulent un certain nombre d’autres sophismes et postulats que l’on peut rapidement défaire par un simple examen.
Un gouvernement non libéral ne provoque pas un retard technologique
Le christianisme n’a jamais été à l’origine de l’âge des ténèbres, pas plus qu’il n’a entraîné de sous-développement. Cela pourrait être surprenant pour toute personne ayant peu de connaissances des faits historiques pertinents, mais l’âge des ténèbres s’est produit en raison de la chute de l’Empire romain d’Occident en 476, envahi par les migrations de barbares germaniques entrant dans l’empire. Pendant ce temps, l’Empire romain d’Orient (les Byzantins), profondément chrétien, n’a pas connu de chute ni d’âge des ténèbres, tandis que la philosophie grecque antique et le savoir-faire technologique romain ont continué d’être enseignés dans de nombreuses académies et écoles à travers l’Empire romain d’Orient.
En réalité, au contraire, c’est l’Église catholique qui a créé l’Occident moderne, étant donné qu’après avoir rencontré la civilisation islamique par le commerce ou la guerre, celle-ci a commencé à traduire des œuvres intellectuelles écrites en arabe et en grec et à créer des universités, ce qui a déclenché la renaissance européenne au XIIe siècle. L’église catholique romane était un mécène de la science et de l’enseignement, ce qui a permis à la science et à la technologie européennes de progresser pendant 600 ans sous des gouvernements chrétiens non laïcs. Les gouvernements libéraux laïcs modernes n’ont pas vu le jour avant les années 1780 environ.
La célèbre « révolution scientifique » de l’Europe a commencé aux alentours du XVIe siècle et serait parvenue à son terme au XVIIIe siècle, le tout sous des gouvernements chrétiens non laïcs. Au moment où le libéralisme laïc a vu le jour pour la première fois dans les systèmes étatiques, l’Europe avait déjà inventé la machine à vapeur, 80 ans plus tôt.
La révolution industrielle de 1760 à 1840 a commencé alors que la plupart de l’Europe n’avait toujours pas adopté le libéralisme laïc. Même les quelques régimes libéraux existant à l’époque n’avaient pas encore adopté la plupart des lois que nous associons aujourd’hui à un gouvernement libéral.
L’Europe n’a jamais progressé sur le plan technologique et économique grâce à la laïcité, mais plutôt grâce aux débuts de la curiosité, de la pensée et des recherches, initiées par des rencontres avec le degré d’avancement de la civilisation islamique. La création du libéralisme laïc (les « Lumières ») était en réalité un sous-produit non intentionnel de la Renaissance, et non la cause de celle-ci.
Les philosophes politiques chinois modernes ont déjà souligné que la démocratie libérale laïque n’est pas une condition préalable au développement technologique, économique et scientifique, pas plus qu’un bon gouvernement, et l’ascension fulgurante de la Chine démontre qu’il existe d’autres façons de progresser et d’atteindre la prospérité. En effet, la démocratie est un système plus ancien que l’islam mais est considérée comme « moderne ». Les lois islamiques ne sont donc pas obsolètes : elles nécessitent d’être une nouvelle fois mises en œuvre, accompagnées de la sagesse et de la miséricorde dont le Prophète Mohammed – que la paix soit avec lui – a fait preuve.
Le monde musulman est déjà le produit de précédentes tentatives de réforme coloniales
D’aucuns prétendent que le monde musulman est dans son embarras actuel parce que l’islam n’a pas été réformé, mais cela revient à ignorer le fait que le monde musulman a déjà été « réformé ». À travers le colonialisme, les puissances européennes avaient pour objectif de réformer l’islam et ont retiré l’islam de la vie politique dans les pays musulmans tout en altérant ou en abolissant l’enseignement islamique classique dans le droit et le gouvernement, pour le remplacer par une compréhension laïque et pragmatique pour le peuple, laissant les musulmans d’aujourd’hui dans l’ignorance des lois politiques islamiques. Cependant, le processus de modification des masses aurait pris beaucoup de temps : ainsi, dans le même temps, les occupants coloniaux ont sélectionné et éduqué une nouvelle élite laïque au sein des peuples autochtones pour qu’elle prenne le pouvoir après l’« indépendance » et préserve le nouveau statu quo.
Les activités publiques des érudits islamiques et de leurs institutions sont étroitement contrôlées par le gouvernement dans presque tous les pays musulmans. Aujourd’hui, la réalité est que les élites laïques retiennent l’islam en otage en censurant l’enseignement islamique pour le réduire aux aspects politiques de l’islam et en commandant des décisions juridiques factices à des érudits clients pour exhorter les gens à être passifs sur le plan politique, tout en se servant dans le même temps de ces mêmes érudits pour délivrer des décisions islamiques « justifiant » que l’on permette au gouvernement de perpétuer la répression, la torture et le massacre arbitraire de ses ennemis, en particulier des groupes islamiques politiques pacifiques, que l’Occident cautionne silencieusement.
La violence militante n’est pas causée par l’islam
Les réformistes laïcs aiment à prétendre que la violence terroriste est causée par l’islam ou par une interprétation de celui-ci (par exemple le salafisme), et non par des facteurs non politiques. Toutefois, leurs affirmations ont été réfutées par de nombreuses études universitaires occidentales et même par des philosophes laïcs classiques tels que John Locke.
La réalité que les réformistes tentent d’occulter est que le terrorisme n’est pas le fruit de l’enseignement traditionnel de l’islam. L’enseignement islamique politique est en grande partie censuré dans les pays musulmans laïcs et seul un enseignement « exclusivement spirituel » et étroitement contrôlé y est autorisé. Chaque État enseigne sa propre version contrôlée, du soufisme contrôlé par l’État en Ouzbékistan au « salafisme » contrôlé en Arabie saoudite. Chaque version est conçue pour garder les gens dans la passivité et se concentrer uniquement sur les différends théologiques ou sur le développement spirituel de soi.
Toutefois, le contrôle de l’enseignement islamique par les élites laïques ne permet pas toujours de garder le peuple dans la passivité politique et militaire.
L’oppression extrême continue et l’assujettissement de la dissidence politique pacifique par ces élites laïques ont finalement donné lieu à des mouvements révolutionnaires armés, et en réponse, à une répression brutale orchestrée par les élites. Cela a malheureusement poussé certains à réagir à l’extrémisme des élites laïques de manière réciproque, en copiant les tactiques horribles des élites qu’ils combattaient et, dans certains cas, en attaquant d’autres groupes soupçonnés d’être également utilisés par l’Occident contre le monde musulman, incluant tragiquement les minorités non musulmanes.
La croyance islamique en une solidarité musulmane universelle et la sympathie pour le sort de la communauté musulmane mondiale ont entraîné l’émergence d’autres groupes dans tout le monde musulman en réponse aux invasions et occupations militaires constantes des pays musulmans par l’Occident.
Malheureusement, cela a poussé une nouvelle fois certains à utiliser des stratégies copiant les tactiques horribles employées au cours de l’histoire par les armées occidentales contre les populations ennemies, telles que le « bombardement stratégique », utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale par les États-Unis et le Royaume-Uni pour cibler en premier lieu des civils, dans le cadre d’une « stratégie défensive » visant à démoraliser un ennemi agressif et faire en sorte qu’il mette un terme à ses actes de guerre. L’on devient alors curieux de savoir comment l’islam « réformé » selon le libéralisme laïc empêcherait cela, alors que les philosophes libéraux laïcs traditionnels justifient ces tactiques quand la défense du libéralisme est en jeu et que de nombreux groupes ont utilisé le terrorisme dans leur lutte au nom du système libéral de la démocratie laïque.
En réalité, l’argument principal des groupes terroristes pour l’emploi de leurs tactiques n’est pas une interprétation ou un texte islamique, ni le refus de l’interdiction par l’islam de cibler les civils. Ces groupes soutiennent que l’interdiction n’est « pas gravée dans le marbre » et que « dans le monde d’aujourd’hui », ils peuvent copier les tactiques occidentales modernes pour lutter contre l’Occident.
Le problème rencontré ici n’est pas une compréhension classique de l’islam (qui interdirait ces actes), mais le fait que ces groupes ont émergé de populations musulmanes postcoloniales qui ont été profondément affectées par la pensée occidentale, ce qui a clairement impliqué que les groupes militants ont été affectés par la même logique d’imitation de l’Occident que les populations desquelles ils ont émergé.
Bien qu’il soit connu que les dirigeants musulmans laïcs se servent de l’islam pour renforcer leur soutien lorsqu’ils se sentent menacés, des choses étranges ont commencé à se produire à cause de cette tactique. Les élites laïques, qui ont été destituées par l’Occident parce qu’elles ne lui étaient plus utiles, ont commencé cyniquement à se transformer en ces mêmes groupes islamiques qu’ils réprimaient violemment plus tôt, tout en conservant cependant les mêmes tactiques qu’ils ont autrefois employées contre leurs populations : le prétendu État islamique en est un exemple.
À l’époque contemporaine, le XXe siècle a été dominé par des attaques terroristes perpétrées par des groupes laïcs. Au Liban, dans les années 1970, la milice chrétienne connue sous le nom de « Phalanges » a massacré (en alliance avec Israël) plusieurs milliers de civils dans des camps de réfugiés palestiniens et a commis de nombreux crimes de guerre contre les populations musulmanes au Liban. Les groupes kurdes communistes ont mené une campagne terroriste et insurrectionnelle de plusieurs décennies contre la Turquie qui a tué des milliers de personnes. Récemment, les groupes kurdes communistes ont fait exploser des voitures piégées et des kamikazes dans des zones civiles bondées en Turquie (des événements qui n’ont visiblement pas retenu autant l’attention des médias occidentaux que les attentats terroristes « islamistes »).
Par conséquent, ce n’est pas l’idéologie qui provoque la violence terroriste, mais plutôt les circonstances politiques et sociales liées à l’oppression et à l’invasion qui ont surgi dans les mêmes conditions au cours de l’histoire, que ce soit en Amérique du Sud, en Afrique ou même en Europe.
Néanmoins, les réformistes laïcs aiment à tirer un avantage cynique de la propagande de l’État islamique et de la façade publique de l’« islam » pour étayer leur argumentaire en faveur de la « réforme islamique », donnant lieu à une entente scandaleusement étrange et impie entre des réformistes, des islamophobes et l’État islamique pour sa revendication (factice) d’appartenance à l’islam. On sait que ces réformistes ont même décrit l’État islamique comme une « bénédiction déguisée », tandis que les autres formulent des propos similaires, ce qui place ironiquement les réformistes parmi les principaux apologistes de l’État islamique.
Comme cela a été démontré ci-dessus, la loi islamique n’approuve pas les actes des groupes extrémistes malgré l’invocation de l’histoire et de la guerre islamiques par ces groupes. Ces derniers exploitent simplement les écritures islamiques dans le but de remporter un soutien dans une région où la religion a un certain poids. Ces groupes ont surgi d’une région où tout le monde agit de la même manière, même les dictateurs laïcs tels que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, qui se sert de la religion pour justifier son autorité et commander des justifications « religieuses » l’autorisant à perpétuer le massacre de dissidents, en dépit du fait que tous ces actes entrent en réalité en contradiction avec les détails et les conditions que renferment ces écritures.
La logique des groupes terroristes et des dictateurs laïcs dans le monde musulman n’est pas différente de celle des groupes terroristes d’extrême droite américains qui déforment les passages de la constitution et de la déclaration d’indépendance des États-Unis abordant le recours à la force pour justifier la révolution violente contre le gouvernement américain actuel (qui a selon eux outrepassé ses limites) et la violence contre les immigrés et les minorités (y compris les musulmans).
Bien entendu, les tribunaux américains (comme la plupart des laïcs américains) rejettent ces citations fallacieuses comme étant des arguments « juridiques » mensongers et ineptes. Cependant, dans le monde musulman, en l’absence des systèmes judiciaires islamiques autrefois largement établis sous un califat, les populations musulmanes postcoloniales peinent à discréditer les arguments juridiques fallacieux dans les aspects politiques d’une loi à laquelle ils n’ont tout simplement pas été familiarisés.
Quelle est la solution ? Moins d’enseignement islamique d’un islam holistique, ou plus ?
Le wahhabisme n’est pas la « racine de tous les maux »
Certains réformistes laïcs occidentaux soutiennent que la racine principale de la plupart des problèmes qui touchent le monde musulman est le « wahhabisme », ou l’« islam puritain ». Ils font alors référence au soulèvement wahhabite saoudien de 1744 à 1818 contre le califat ottoman et aux violences sectaires qui ont suivi.
Cependant, ce qu’ils oublient de mentionner, c’est que comme le déclin de l’Empire romain, le déclin militaire et intellectuel du califat ottoman au cours des XVIIIe et XIXe siècles a été marqué par l’émergence d’insurrections armées et de troubles civils à travers ses terres. Certaines de ces insurrections étaient dirigées par des mouvements religieux réformistes qui considéraient l’État ottoman comme étant corrompu à cause de ce qui devait être des défauts spirituels, tandis que d’autres combattaient au nom de la nouvelle idéologie du nationalisme, et d’autres pour le pouvoir. La violence sectaire concernait tous les citoyens, et non uniquement les « wahhabites ».
Le califat ottoman a connu un soulèvement religieux issu d’un mouvement soufi qui était beaucoup plus sectaire et meurtrier que les « wahhabites » : le mouvement mahdiste de l’ordre soufi des Samaniya au Soudan, dirigé par Mohammed Ahmad. Ahmad prétendait être le « Mahdi » (le sauveur) attendu et estimait que le califat ottoman était corrompu et collaborait avec les « infidèles ». Ahmad a qualifié tous les Turcs de mécréants et a ordonné qu’ils soient tués. Il s’est également avéré que son mouvement attaquait les fidèles et les sanctuaires des groupes soufis rivaux qui l’avaient rejeté, comme la Khatmiya, ce qui a forcé nombre d’entre eux à fuir pour leur survie. Comme les wahhabites, les mahdistes ont été condamnés par les érudits islamiques de leur région et ont trouvé principalement leur soutien auprès de combattants tribaux vivant dans les zones frontalières extérieures du monde musulman. Contrairement aux mahdistes soufis, les wahhabites n’ont jamais déclaré que les Turcs ottomans étaient des mécréants.
Cependant, la plupart des soulèvements armés qui ont émergé par la suite ont continué de provenir principalement d’insurrections dirigées par les soufis en réponse à l’occupation coloniale des terres musulmanes du XIXe siècle au début du XXe siècle.
Même les communautés non musulmanes au Moyen-Orient ont sombré dans un sectarisme qui s’est instauré entre elles. Par exemple, les communautés chrétienne et druze du Levant se sont combattues en 1860, entraînant la mort de plus de 60 000 personnes, dont de nombreux civils.
Certains laïcs occidentaux brandissent l’intolérance et la violence sectaires comme une preuve de l’effet de la religion fondamentaliste. Cependant, les problèmes qui affectent différentes parties du monde musulman ne sont pas dus à l’islam ou à une interprétation de l’islam, mais plutôt au déclin de la pensée au sein de la population et à des pratiques culturelles non islamiques qui ont émergé après le déclin intellectuel de la civilisation islamique et/ou après le colonialisme. Par conséquent, nous observons les mêmes phénomènes sociaux et intellectuels destructeurs non seulement parmi les musulmans, mais aussi parmi les laïcs et les non-musulmans dans le monde musulman et dans de nombreux autres pays extérieurs.
En Jordanie, on a rapporté qu’un père chrétien avait tué sa fille parce qu’elle s’était prétendument convertie à l’islam. En 2007, un père yézidi a réuni des membres de la communauté yézidie locale pour lapider à mort sa fille, coupable d’avoir voulu épouser un musulman. En dehors du monde musulman, au Royaume-Uni, un père indien sikh a tenté de tuer sa fille qui avait un petit ami juif. Un autre père sikh indien au Royaume-Uni a été accusé d’avoir tué sa fille coupable de s’être « occidentalisée » et de ne pas avoir suivi « le sikhisme ou les traditions indiennes ».
En Inde, pays laïc et majoritairement non-musulman, sévit une crise de viols avérée et hors de contrôle provoquée par le choc des valeurs laïques et traditionnelles. Cela se reflète en Égypte par des actes de harcèlement sexuel et des viols signalés au cours des protestations pro-laïques de 2013 sur la place Tahrir (il convient notamment de souligner qu’aucun de ces actes n’a été signalé lors des contre-protestations « islamistes » sur la place Rabaa al-Adawiya). En outre, il a été prouvé que le régime égyptien laïc de Sissi utilise le viol comme une arme contre les manifestantes.
Ces problèmes ont-ils été causés par des interprétations wahhabites de l’islam ? Est-ce que la réforme de l’islam affectera les Kurdes laïcs, les Égyptiens laïcs, les Indiens laïcs et les Yézidis dans ces exemples ? La réponse est non. Il est donc clair que le problème qui touche le monde musulman ne touche pas uniquement le monde musulman et est lié à des facteurs sociologiques qui affectent à la fois les musulmans, les musulmans laïcs et les non-musulmans dans la région, et non à une interprétation de l’islam. Même les colonialistes britanniques ont remarqué que les chrétiens égyptiens n’étaient pas différents des musulmans égyptiens et étaient tout aussi sectaires, voire plus.
Les réformistes laïcs exploitent les clivages sectaires dans le monde musulman et utilisent l’étiquette du « wahhabisme » pour diviser et conquérir la résistance musulmane à la réforme. Le wahhabisme était un mouvement et non une école de pensée. Si vous examinez les aspects de l’islam que les réformistes appellent « wahhabisme », comme par exemple les hudûd (lois pénales) prescrites par le Coran et les traditions du Prophète – que la paix soit avec lui –, l’interdiction de l’intérêt, etc., vous constaterez que ces aspects sont généralement partagés par tous les érudits classiques de l’islam, et non seulement par les quatre écoles de pensée sunnites, mais aussi par les trois écoles chiites, l’école zahirite (apparentiste) d’Ibn al-Hazm et l’école mutazilite. Les différences entre les écoles ne concernent que les détails de ces lois islamiques et non les concepts fondamentaux en eux-mêmes.
L’utilisation du terme « wahhabite » ou « puritain » (terme tiré de l’histoire européenne) est donc simplement une couverture utilisée par les réformistes pour attaquer toute la pensée islamique classique, à la fois sunnite, chiite et soufie.
La voie à suivre est une restauration de l’islam
Comme cela a été démontré ci-dessus, les arguments des réformistes laïcs manquent de précision sur la réalité du monde musulman et ses solutions. Leur exigence de réforme n’a donc pas pour but d’initier quelque chose d’original, mais simplement d’appeler à achever le processus de ré-endoctrinement du monde musulman amorcé il y a 150 ans par les prédécesseurs des réformistes laïcs : les colonialistes européens.
Les musulmans qui ont vécu après le Prophète Mohammed – que la paix soit avec lui – ont tenté de leur naissance à leur mort d’évoluer en permanence vers l’état d’obéissance parfaite de leur créateur tel que décrit dans le Coran, à la fois dans leur cœur, dans leur esprit et dans leurs actions. Ceci prend le nom d’« islah » et renvoie au fait de réformer l’individu pour qu’il soit meilleur que ce qu’il était avant ou dans une meilleure position.
Mais si le monde musulman n’est pas à la hauteur des valeurs et objectifs que prescrit l’islam, les musulmans comprennent généralement que c’est le fruit de la défaillance de la communauté musulmane en elle-même et non de l’islam. Lorsque de tels cas se produisent, l’islam appelle au « tajdid », c’est-à-dire à une renaissance sous la forme d’une restauration de quelque chose. Il s’agit dans ce cas de restaurer l’islam dans la communauté pour le ramener à l’état mental et comportemental dans lequel il se trouvait avant son déclin.
Ironiquement, l’affirmation selon laquelle les pays dont les politiques sont influencées par l’islam deviennent rétrogrades est réfutée par des exemples observables dans le monde musulman d’aujourd’hui. Étonnamment, la « République islamique » d’Iran, qui n’est pourtant qu’un régime hybride comprenant quelques politiques islamiques, est un des neuf seuls pays dans le monde à disposer d’un programme spatial complètement indépendant qui construit et met en orbite ses propres satellites de façon indépendante. De même, l’ancien dirigeant « islamiste » de la « République islamique » du Pakistan, le général Zia ul-Haq, a entrepris des travaux sur le premier satellite spatial pakistanais construit indépendamment, Badr 1, ainsi que sur le développement de réacteurs et d’armes nucléaires afin de répondre aux développements en Inde.
Il ne fait aucun doute que plus l’islam influence les politiques d’un gouvernement, plus celui-ci est susceptible d’investir dans une capacité scientifique et technologique indépendante, même si ces gouvernements ne mettent en œuvre actuellement que quelques politiques islamiques. Ces exemples soulèvent une question intéressante : si les musulmans établissaient un système politique complètement islamique, dans quelle mesure des progrès supplémentaires seraient-ils possibles ?
Les exemples ci-dessus montrent clairement que le monde islamique a un grand potentiel, mais que pour parvenir pleinement à cela, il doit s’efforcer de retourner à un éveil intellectuel complet, au renouveau des recherches, à la pensée créatrice et à l’ingéniosité, comme il y était parvenu au cours de son histoire. Cela ne peut pas être atteint à travers une réforme islamique, qui continue tout simplement de singer l’Occident et de transformer les musulmans en des imitateurs aveugles, sans pensée originale ni authenticité fondées sur la vision islamique du monde.
Ce dont le monde musulman a besoin, c’est d’une restauration islamique (tajdid) visant à rétablir le califat éclairé, pluriel et juste prescrit par l’islam. Cette restauration serait garante de l’industrie et de la recherche et défendrait les citoyens du monde musulman, à la fois musulmans et non musulmans, de l’oppression et des incursions. Ce n’est qu’alors que le monde musulman pourra progresser au-delà du militantisme, des dictateurs laïcs, des invasions et de l’oppression, et devenir un exemple de la justice et de l’islam pour toute l’humanité ; en effet, l’islam est apparu pour tenter de changer les torts du monde et non pour que ceux-ci le changent.
- Abdullah al-Andalusi est un maître de conférences, penseur, intervenant et débatteur international spécialiste des questions islamiques et musulmanes. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbdullaAndalusi
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un des plus anciens manuscrits du Coran au monde, estimé à l’époque du prophète Mohammed par datation au carbone 14, exposé à l’université de Birmingham (Royaume-Uni), le 22 juillet 2015 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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