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L'Occident est complice de la destruction d’Awamiya par l’Arabie saoudite

L’opération militaire en cours lancée par le gouvernement saoudien dans cette ville de la province de l’Est est soutenue par les ventes d’armes, l’entraînement militaire et le silence de certains gouvernements occidentaux, particulièrement les États-Unis

Les photos montrent une ville ravagée par le conflit, ses rues jonchées de décombres le long des coquilles vides de bâtiments en ruines, sur fond de ciel brouillé de fumée.

Nous sommes dans la ville saoudienne d’Awamiya, ville majoritairement chiite dans la province-Est du royaume. Depuis le 10 mai, Awamiya a été engloutie dans la violence alors que les forces de sécurité gouvernementales combattent des habitants chiites armés s’opposant à la démolition d'Almosara, quartier historique de grande valeur culturelle.

Depuis le 10 mai, Awamiya a été engloutie dans la violence alors que les forces de sécurité gouvernementales combattent des habitants chiites armés s’opposant à la démolition d'Almosara, quartier historique de grande valeur culturelle

En décembre 2016, le gouvernement de la province-Est a annoncé qu’il allait démolir le quartier d'Almosara, vieux de 400 ans. Cette région est l’une des plus anciennes d’Awamiya, riche de sa longue histoire de plaque tournante du commerce régional qui drainait tout le golfe d'Arabie. Rues étroites, bâtiments d’argile, maisons historiques ainsi que mosquées et centres religieux chiites : toute son architecture rappelle l'ère de la domination ottomane sur la région.

Pour faciliter la démolition, les autorités ont demandé aux habitants de quitter la région. Quand ils ont refusé, dénonçant le manque de compensation adéquate pour leur évacuation, le gouvernement a pris des mesures pour les expulser de force de leurs maisons. En janvier, le gouvernement de la province a coupé l’alimentation électrique du quartier, interdisant aussi aux fournisseurs d’énergie et aux organisations d’aide de prêter assistance, quelle qu’elle soit, aux habitants, malgré les températures torrides qui accablaient alors la région.

La situation difficile des habitants a retenu l’attention de trois experts de l’ONU, rapporteurs spéciaux sur la pauvreté, le logement et les droits culturels. Ils ont exprimé de graves inquiétudes devant les mesures autoritaires du gouvernement saoudien, dénoncé des violations des droits humains généralisées, dont l’augmentation de la pauvreté, le manque d’options de logement alternatifs et la destruction de patrimoine culturel.

En état de siège et sous le feu

Ignorant ces préoccupations, les forces de sécurité se sont, le 10 mai à 3 h 30, emparées d’Awamiya, pour se diriger ensuite vers Almosara, suivies de bulldozers et avec la ferme intention de détruire le quartier. Voitures incendiées et murs criblés d’impacts de balle : les photos et les enregistrements vidéo témoignent de la violence de l’invasion. Dans la confusion, les forces de sécurité ont tiré sur un homme, Ali Abdul Aziz Abu Abdullah, le tuant, et en ont blessé quatorze autres.

Puis, le 19 mai, neuf jours après l'invasion et en plein déchaînement des violences, le président Donald Trump s’est rendu à Riyad pour rencontrer le roi Salmane. Lors de cette entrevue, Trump a balayé d’un revers de main toute préoccupation au sujet des droits de l’homme : « Nous n’allons pas faire la morale ici – nous n’avons pas à dire ici à d’autres comment vivre ou ce qu’ils ont à faire ». Il a aussi annoncé une vente d’armes au royaume, qui pourrait atteindre plus de 100 milliards de dollars (84 milliards d’euros), pour un total de 350 milliards de dollars (297 milliards d’euros) sur dix ans.

Un homme passe devant des graffitis représentant le chef religieux exécuté, Nimr al-Nimr, dans la région d'Awamiya, dans la province-Est de l’Arabie saoudite, en 2016 (AFP)

Depuis, la violence n’a fait qu’augmenter, s'étendant non seulement au quartier d’Almosara mais à tout Awamiya.

Après trois semaines d’invasion, fin mai, les forces de sécurité avaient tué au moins cinq civils et expulsé de chez eux des centaines d’habitants. Les autorités ont fait un usage disproportionné de la force et tiré sans discernement sur la population. De plus, le blocus qu’elles imposent a placé tout Awamiya en état de siège, pénalisant gravement les presque 30 000 habitants restants.

La situation s'est nettement détériorée après le 11 juin, jour de la mort d’un officier des forces de sécurité. En représailles, les autorités se sont déchaînées et ont tiré sans distinction sur les civils, en blessant plus de 30, dont des femmes et des enfants. Des voitures et des maisons ont également été détruites. Parmi les blessés se trouve Mohammed al-Nimr, le frère du cheikh Nimr al-Nimr exécuté, et père d'Ali Mohammed al-Nimr, jeune activiste chiite non-violent, désormais dans le couloir de la mort pour avoir participé à une manifestation pacifique.

À LIRE : Arabie saoudite : des bulldozers détruisent la ville chiite d’Awamiya

Puis, le 26 juillet, l’escalade de la violence s’est brusquement amplifiée tandis que le siège prenait une nouvelle dimension. Ce jour-là, les résidents ont recensé plus de 100 explosions dans les quartiers résidentiels, suite aux tirs de l’artillerie gouvernementale. Dans une autre partie de ville, les forces de sécurité s’en sont pris à un immeuble résidentiel, défonçant les portes et enlevant des habitants, exclusivement des hommes, dont on n’a plus eu de nouvelles. Les responsables ont aussi abattu trois citoyens saoudiens et auraient également tué trois étrangers, des travailleurs migrants.

Les habitants ont aussi signalé que la Garde nationale saoudienne (SANG) s’était regroupée en masse autour des faubourgs d’Awamiya, dans la ville sportive d’Amir Nayef. Ce serait la première fois depuis 1949 que la SANG interviendrait dans les affaires intérieures. En 1979, elle avait violemment réprimé des manifestations à Qatif et Awamiya, faisant usage d’hélicoptères pour tirer aveuglément dans la foule de manifestants chiites.

Ventes d’armes et feu vert

L'opération militaire en cours lancée par le gouvernement saoudien à Awamiya est renforcée et soutenue par la complicité de certains gouvernements occidentaux, les États-Unis notamment.

Cela fait longtemps que les États-Unis fournissent armes et formations aux forces de sécurité d’Arabie saoudite, dont ses forces d’opérations spéciales et d’antiterrorisme, toutes deux engagées à Awamiya. Les États-Unis ont aussi vendu des armes au royaume pour une valeur de plusieurs milliards de dollars, aidant ainsi considérablement ses forces armées.

La visite de Trump s’est déroulée au beau milieu de la répression violente à Awamiya, et sa rhétorique a donné au gouvernement saoudien le feu vert pour continuer ses agissements dans le conflit avec la province de l’Est

Les ventes d'armes ont spectaculairement augmenté pendant le mandat du président Obama. Néanmoins, tout en étant le chef de l’administration ayant vendu le plus d’armes à l’Arabie saoudite, Obama s’était au moins fait le défenseur actif d’une politique étrangère respectueuse des droits de l’homme.

Trump n’a rien démontré de semblable, ne prenant même pas la peine de se prononcer du bout des lèvres en faveur des droits de l’homme. Bien au contraire : pendant sa visite en Arabie saoudite, il a ouvertement ignoré les inquiétudes au sujet des droits de l’homme, annonçant sans complexe l’augmentation des ventes d’armes au royaume. La visite de Trump s’est déroulée au beau milieu de la répression violente à Awamiya, et sa rhétorique a donné au gouvernement saoudien le feu vert pour continuer ses agissements dans le conflit avec la province de l’Est.

Mais les États-Unis ne sont pas les seuls à fournir des armes au royaume. Le 28 juillet, des vidéos ont révélé que les forces saoudiennes déployaient des Véhicules blindés légers (LAVs) canadiens à Awamiya. Ces véhicules, produits par la société Terradyne Armoured Vehicles, ont été vendus à l’Arabie saoudite au titre d’un contrat de vente d’armes, approuvé en 2016 atteignant quinze milliards de dollars (douze milliards d’euros).

Ces révélations autour de l’utilisation de LAVs canadiens par l’Arabie saoudite a poussé le gouvernement canadien à commanditer une enquête sur leur utilisation, et si nécessaire ordonner une remise en question des ventes d’armes à ce pays. L'Allemagne quant à elle a déjà réduit ses exportations d’armes, dont celles à l’Arabie saoudite, et certaines sociétés allemandes, Heckler & Koch entre autres, ont déjà interrompu toute vente d’armes à l’Arabie saoudite, au motif d’inquiétudes concernant les violations des droits humains.

Les États-Unis peuvent et doivent prendre des mesures semblables. Les membres du Congrès ont déjà exprimé leur opposition à une vente de blindés à l’Arabie saoudite, ainsi qu’à une vente de missiles téléguidés de précision, signes du mécontentement grandissant quant au soutien américain au gouvernement saoudien et à sa bienveillance devant les violations des droits humains commises par l'Arabie saoudite.

L’administration Trump doit cesser ses ventes d’armes et retirer son soutien militaire au royaume. Elle doit aussi exiger du gouvernement saoudien son retrait immédiat d’Awamiya. De plus, les États-Unis doivent conditionner toutes ventes d’armes futures au royaume à des réformes sérieuses et significatives des droits de l'homme, tout spécialement à l’égard du traitement de sa minorité chiite dans la province-Est.

Husain Abdulla est le directeur exécutif de l’organisation Américains pour la démocratie et les droits de l'homme à Bahreïn. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Awamiya dans la province-Est de l’Arabie saoudite (tweet @BH_14DETAINEES).

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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