COP : l’Afrique du Nord pillée par le « colonialisme vert »
Les changements climatiques provoqués par l’activité humaine sont déjà une réalité au Maghreb, sapant les fondements écologiques et socio-économiques de la vie dans la région. Des pays comme l’Algérie, la Tunisie et le Maroc connaissent de fortes vagues de chaleur récurrentes et des sécheresses prolongées, ce qui a des effets catastrophiques sur l’agriculture et les petits agriculteurs.
L’été dernier, l’Algérie a été frappée par des incendies dévastateurs et d’une ampleur inédite ; la Tunisie a connu une canicule étouffante, avec des températures frôlant les 50 °C ; et le sud du Maroc a lutté contre de terribles sécheresses pour la troisième année consécutive. Selon les prévisions du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), la région méditerranéenne verra dans les années à venir une intensification des phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les feux de forêt et les inondations, ainsi qu’une aridité et des sécheresses accrues.
Ces types de grands projets d’énergie renouvelable, tout en proclamant leurs bonnes intentions, édulcorent au bout du compte une exploitation brutale
Pour faire face à cette crise climatique mondiale, il faut une réduction rapide et drastique des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, si une transition vers les énergies renouvelables est désormais inéluctable, ce n’est pas le cas de la justice. La transition écologique peut entretenir les mêmes pratiques de dépossession et d’exploitation, reproduisant les injustices et creusant l’exclusion socio-économique.
Le cas du Maroc donne un aperçu de « l’accaparement vert » et du « colonialisme vert » au Maghreb à travers la transition écologique. Si « l’accaparement vert » fait référence à certaines dynamiques d’accaparement des terres qui ont lieu dans le cadre d’un programme prétendument écologique, le « colonialisme vert » désigne la continuité des logiques coloniales de pillage et de dépossession à l’ère de l’écologie.
Au fond, c’est le même système oppressif mais avec une source d’énergie différente – des combustibles fossiles aux énergies renouvelables – alors que toutes les structures politiques, économiques et sociales qui génèrent les inégalités, l’appauvrissement et la dépossession restent intactes.
Le Maroc s’est fixé pour objectif d’augmenter sa part d’énergie renouvelable à plus de 50 % d’ici 2030. Mais la centrale solaire de Ouarzazate, inaugurée en 2016, n’a pas profité aux communautés locales appauvries : les Amazighs, dont les terres ont été utilisées sans leur consentement pour installer la centrale de 3 000 hectares, ont été particulièrement touchés.
Le projet nécessite en outre énormément d’eau pour le refroidissement et le nettoyage des panneaux solaires, ce qui met à rude épreuve la région semi-aride de Ouarzazate en détournant l’eau destinée à la consommation et à l’agriculture.
« Nous sommes opprimés »
Une autre phase du plan d’énergie solaire du Maroc, le projet Noor Midelt, consiste à développer des infrastructures dans le centre du Maroc. Là aussi, l’État a confisqué environ 4 000 hectares de terres – auparavant gérées par des communautés agraires appartenant à des minorités ethniques – par le biais de lois et de réglementations nationales qui autorisent l’expropriation afin de servir l’intérêt public.
Rappelant l’actuel discours environnemental colonial qui qualifie les terres convoitées de marginales et sous-utilisées, et donc disponibles pour des projets d’énergie verte, la Banque mondiale affirmait en 2018 : « Le terrain sablonneux et aride ne laisse pousser que de petits maquis et la terre n’est pas adaptée au développement agricole en raison du manque d’eau. » Le rapport poursuit en assurant que « l’acquisition de terres pour le projet n’aura aucun impact sur les moyens de subsistance des communautés locales ».
Les tribus de Sidi Ayad, qui font paître leurs animaux sur cette terre depuis des siècles, supplient de différer le projet, et un jeune berger explique : « Notre profession est le pastoralisme, et maintenant, ce projet occupe notre terre où nous faisons paître nos moutons. Ils ne nous emploient pas dans le projet, ils emploient des étrangers. La terre sur laquelle nous vivons est occupée. »
Les habitants de Sidi Ayad expriment leur mécontentement depuis des années, une manifestation ayant conduit en 2019 à l’arrestation et à l’emprisonnement de Said Oba Maimoun, activiste local connu et syndicaliste.
Approfondissement du contrôle
L’État marocain participe également au « colonialisme vert » sur le territoire contesté du Sahara occidental, où des projets d’énergies renouvelables se font au détriment des Sahraouis.
Il y a trois parcs éoliens opérationnels au Sahara occidental, un quatrième en construction à Boujdour et plusieurs autres au stade de projet. Selon l’organisation Western Sahara Resource Watch, 95 % de l’énergie dont la compagnie de phosphate publique marocaine OCP a besoin pour exploiter les réserves de phosphate non renouvelables du Sahara occidental à Bou Craa est générée par des éoliennes.
De tels projets servent clairement à approfondir le contrôle du Maroc sur le Sahara occidental.
Pendant ce temps, une série de projets qui visent à fournir de l’énergie à bas coût à l’Europe est en cours de développement au Maghreb. Une fois de plus, les mêmes relations d’extraction et d’accaparement des terres sont maintenues, alors que les Maghrébins ne sont même pas autosuffisants en énergie.
Ces types de grands projets d’énergie renouvelable, tout en proclamant leurs bonnes intentions, édulcorent au bout du compte une exploitation brutale. Un schéma colonial familier semble se dérouler sous nos yeux : le flux illimité de ressources naturelles bon marché, y compris l’énergie solaire, du Sud pauvre vers le Nord riche, tandis que la forteresse Europe bâtit des murs et des clôtures pour empêcher les réfugiés d’atteindre ses côtes.
Manque d’implication
L’hypothèse selon laquelle toute initiative en faveur des énergies renouvelables doit être saluée et tout abandon des combustibles fossiles – quelle que soit la façon dont cela se fait – en vaut la peine est erronée.
Le manque d’implication des communautés touchées peut être attribué au rôle dominant joué par les institutions et les groupes de réflexion néolibéraux dans les écrits sur le développement durable, les transitions énergétiques et les questions environnementales au Maghreb. Beaucoup ne réfléchissent pas adéquatement au sujet, ignorant les questions de classe, de race, de sexe, de pouvoir et d’histoire coloniale. Les habitants sont souvent dépeints comme incompétents et arriérés.
Une transition verte et juste doit fondamentalement transformer et décoloniser notre système économique mondial
Et pourtant, ce seront en fin de compte les petits agriculteurs, les pêcheurs, les éleveurs dont les terres sont affectées par les méga-centrales solaires et les parcs éoliens, les travailleurs des industries fossiles et extractives, les travailleurs informels et les classes paupérisées du Maghreb qui seront le plus impactés par la crise climatique et par les méthodes descendantes et injustes utilisées pour y faire face.
Ils sont activement mis à l’écart et empêchés de façonner leur propre avenir. Une transition verte et juste doit fondamentalement transformer et décoloniser notre système économique mondial.
Dans le contexte des discussions autour de la justice climatique à la COP26 à Glasgow, il faut toujours se demander : qui possède quoi ? Qui fait quoi ? Qui obtient quoi ? Qui gagne et qui perd ? Quels intérêts sont servis ? Parler de développement durable et de transitions vertes ne doit pas être une façade brillante pour les plans néocoloniaux de pillage et de domination.
- Hamza Hamouchene est le coordinateur du programme Afrique du Nord au Transnational Institute (TNI). Ses écrits ont été publié dans le Guardian, le Huffington Post, Counterpunch, Jadaliyya, New Internationalist et openDemocracy. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @bentoumert.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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