Main tendue de Mohammed VI et niet algérien : un jeu de dupes sans enjeu
Ce n’est plus une image, c’est une caricature. Face à un Maroc supposé ouvert, dynamique, soucieux d’aller de l’avant et de construire le rêve maghrébin, l’Algérie reste un pays enfermé dans un nationalisme figé, sans imagination, incapable d’envisager l’avenir dans une relation autre que la confrontation et le rapport de forces.
Dans un discours prononcé à l’occasion du 43e anniversaire de la Marche verte, qui avait vu des centaines de milliers de Marocains reconquérir symboliquement le Sahara occidental, le roi Mohammed VI a « tendu la main » à l’Algérie pour établir de nouvelles relations.
Et l’Algérie a invariablement répondu par la négative, se contentant de rappeler les conditions émises pour la normalisation des frontières. Il n’y a même pas eu de réaction officielle algérienne. Une simple « source autorisée » a affirmé, dans l’anonymat, que l’offre de Mohammed VI était un « non-évènement » qui ne mérite même pas de « réponse formelle ».
Ce n’est qu’une dizaine de jours plus tard, à l’occasion de la fête de l’indépendance du Maroc, que le président Bouteflika a adressé au roi Mohammed VI, dimanche 18 novembre, un message protocolaire, d’une grande banalité, dans lequel il utilise un langage très convenu. Il y affirme sa « détermination à œuvrer de concert » avec le souverain marocain « pour consolider les relations de fraternité et de solidarité qui unissent [nos] deux pays et ancrer les relations bilatérales basées sur le respect mutuel, au mieux des aspirations de nos deux peuples au progrès, au développement et à la prospérité ».
Pourtant, l’offre du roi Mohammed VI, qui déplore une « situation inacceptable », faite « de division et de discorde », avec des relations bilatérales qui « échappent à la normalité » pouvait paraître alléchante.
Le roi du Maroc savait que son offre serait rejetée par l’Algérie. Il ne pouvait pas en être autrement. Ce serait lui faire injure, à lui et ses conseillers, de croire le contraire
Il affiche « sincérité et bonne foi », et appelle à un dialogue « direct et franc » entre l’Algérie le Maroc pour aller à « l’ouverture des frontières et à la normalisation des relations » entre les deux pays, en valorisant « ce qui unit nos peuples : des liens de fraternité, une identité de religion, de langue et d’histoire, un destin commun ».
L’Algérie a répondu par une formule lapidaire, n’appelant aucune suite : l’offre marocaine est « douteuse dans sa forme et suspecte de par son contenu ». Formulée à l’occasion de la commémoration de l’anniversaire de la Marche verte, l’appel de Mohammed VI est perçu, côté algérien, comme une volonté de requalifier le conflit du Sahara occidental en problème bilatéral algéro-marocain, alors que l’Algérie le considère comme une question de décolonisation, que l’ONU tente de résoudre.
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En fait, cette nouvelle escarmouche diplomatique révèle un profond malentendu.
Côté marocain d’abord : le roi Mohammed VI ne s’adressait pas aux Algériens, mais aux Occidentaux d’abord, à son opinion publique ensuite. Le roi du Maroc savait que son offre serait rejetée par l’Algérie. Il ne pouvait pas en être autrement. Ce serait lui faire injure, à lui et ses conseillers, de croire le contraire.
Son discours était une étape dans un agenda marocain, comprenant des rencontres avec les dirigeants des grands pays lors de la commémoration du 11 novembre à Paris, puis la rencontre sur le Sahara occidental prévue en décembre à Genève.
Un pari sans risque
Sur un autre terrain, l’Europe considère qu’une Afrique du Nord apaisée et prospère, du Maroc à l’Égypte, pourrait constituer une sphère qui absorberait une partie des migrations africaines et assurerait le contrôle de la côte sud de la Méditerranée. C’est aussi un moyen de mieux combattre le terrorisme au Sahel. Un tel projet ne peut se construire sans une coopération sans faille entre l’Algérie et le Maroc.
Dès lors, Rabat a beau jeu de montrer aux Européens la bonne volonté et la disponibilité du Maroc, à opposer à la rigidité d’une Algérie refusant toute ouverture. Pour le Maroc, c’est un pari sans risque. Il peut soigner son image de pays ouvert, et, par ricochet, écorner celle de l’Algérie, si tant est que l’Algérie se soucie de son image.
Côté algérien précisément, l’image n’a jamais été un sujet de préoccupation. On en parle comme d’une chose aussi exotique qu’inutile. Le quatrième mandat en a été l’illustration la plus aboutie
Côté algérien précisément, l’image n’a jamais été un sujet de préoccupation. On en parle comme d’une chose aussi exotique qu’inutile. Le quatrième mandat en a été l’illustration la plus aboutie. On n’en évalue même plus le manque à gagner politique et économique, ni les dégâts que peut causer le manque de prestige. On se contente de rappeler le fond, quitte à oublier que la forme peut atténuer un échec ou améliorer les chances d’aboutir à un projet difficile.
Dès lors, l’Algérie s’est bornée à rappeler les conditions émises depuis cinq ans déjà pour l’ouverture des frontières : respect de la position de l’Algérie sur le Sahara occidental, fin des attaques médiatiques contre l’Algérie, et arrêt du trafic de drogue à destination de l’Algérie, égratignant au passage l’image d’un Maroc vu d’Alger comme un narco-État.
Les arguments algériens, recevables ou non, permettent toutefois d’occulter une réalité bien triste, faite d’un double handicap : d’une part, l’Algérie n’est pas prête à la réouverture des frontières. D’autre part, elle ne dispose pas d’institutions capables de gérer une initiative aussi ambitieuse que le projet maghrébin.
L’Algérie serait perdante dans une normalisation à court terme. Son économie est importatrice nette, alors que l’économie marocaine a besoin de marchés. Les entreprises algériennes ne sont pas au niveau requis, et risquent d’être mises à mal par une concurrence des produits marocains, même si l’expérience tunisienne a montré que peu de produits des pays voisins sont susceptibles de trouver de sérieux débouchés en Algérie : la Tunisie a exporté moins de 200 millions de dollars vers l’Algérieen 2017, et en a importé pour 700 millions de dollars.
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Mais à l’échelle macro-économique, le Maroc tirerait un avantage certain, grâce à deux atouts : une plus grande souplesse et meilleure efficacité de son outil économique, et un important flux attendu de personnes et de marchandises subventionnées d’Algérie vers le Maroc.
En ce sens inverse, les produits susceptibles d’entrer en Algérie (textiles, artisanat, petite industrie, produits manufacturiers,) seraient en concurrence directe avec l’embryon d’industrie que le pays tente, à avec un grand effort financier, de mettre en place.
On peut donc jouer
Ceci est à comparer avec ce qu’une ouverture des marchés et des frontières avec le Maroc pourrait offrir comme opportunités : utiliser les disponibilités financières actuelles pour faire main basse sur des établissements touristiques ou financiers marocains, et entrer dans le capital de certaines entreprises florissantes. La partie marocaine acceptera-t-elle le deal ? Difficile à dire.
Mais surtout, l’Algérie a-t-elle les instruments nécessaires pour se lancer dans un projet aussi ambitieux ? Assurément non. Ce qui montre l’intérêt de l’attitude algérienne face au Maroc : c’est Rabat qui est demandeur de l’ouverture de la frontière, non Alger.
Il n’y a aucun risque, ni d’un côté, ni de l’autre. Même si le Maroc a le sentiment qu’il a marqué un point avec son opération de séduction dirigée d’abord vers l’Europe
Cette frontière fermée est perçue, côté algérien, à juste titre, comme une carte importante. Inutile de la gaspiller. Encore faut-il se préparer au moment où il faudra l’utiliser, en lançant une profonde réforme de l’économie, des finances et des institutions.
Mais ça, c’est une autre histoire, que le système algérien n’a ni la volonté politique, ni l’engineering nécessaire pour engager. D’où ce sentiment que provoque l’appel de Mohammed VI à de nouvelles relations, et la réponse algérienne à son appel : c’est un jeu de dupes.
Chacun sait ce que va faire l’autre partie. On peut donc jouer. Pour rien. Il n’y a aucun risque, ni d’un côté, ni de l’autre. Même si le Maroc a le sentiment qu’il a marqué un point avec son opération de séduction dirigée d’abord vers l’Europe.
- Abed Charef est un écrivain et chroniqueur algérien. Il a notamment dirigé l'hebdomadaire La Nation et écrit plusieurs essais, dont Algérie, le grand dérapage. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbedCharef
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Photo : le roi Mohammed VI lors de l’inauguration de la ligne à grande vitesse Tanger-Casablanca le 17 novembre 2018 (capture d'écran).
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