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« À mon cher père » : la lettre du fils de Boudiaf, président algérien assassiné

Vingt-cinq ans après la mort du président algérien Mohamed Boudiaf, son fils lui rend hommage dans une lettre envoyée à Middle East Eye, et s’engage à relancer le projet de société conçu par son père, le Rassemblement national

Le 29 juin 1992, le président algérien Mohamed Boudiaf est assassiné par balles, lors d’un discours retransmis en direct à la télévision, par un membre de sa garde rapprochée.

Vingt-cinq ans plus tard, les raisons qui ont motivé cet assassinat politique le plus important dans l’histoire du pays – et qui a marqué dans l’inconscient collectif le début de la guerre civile qui durera une décennie – restent obscures.

Son fils, Nacer Boudiaf, qui a accusé d’anciens généraux comme l’ex-patron des services de renseignements algériens, Mohamed Médiène dit Toufik, Khaled Nezzar, Smaïn Lamari ou encore Larbi Belkheir, d’être responsables de la mort de son père, avait demandé l’an dernier au président Bouteflika la réouverture du procès de son assassinat.

Nacer Boudiaf, le fils du président assassiné, a aujourd'hui 62 ans (MEE/Nacer Boudiaf)

Cher père, il y a vingt-cinq ans, à Annaba les assassins de l’Algérie ont essayé d’éteindre la bougie d’espoir que tu avais allumé en six mois de présence à la tête de l’État algérien et je t’écris pour te dire, en toute simplicité, que malgré tout ce temps passé, tu as été le seul Président qui a marqué la plus grande partie du peuple et notamment sa jeunesse.

Je t’écris aussi pour te demander pardon d’avoir décidé de ne plus rechercher la vérité sur ton lâche assassinat, laissant le sort de tes lâches assassins entre les mains de la justice divine.

Ainsi, je vais aussi et surtout pouvoir me consacrer, à travers la relance de ton projet de société porté par la plateforme du Rassemblement national [projet lancé par l'ex-président le 8 juin 1992, deux semaines avant son assassinat], à rassembler tous ceux qui ont cru en toi et ta vision pour libérer l’Algérie des griffes des rapaces qui nous gouvernent, depuis 1962, sous le système de l’indépendance confisquée, comme l’a qualifiée feu Ferhat Abbas.

« Je t’écris aussi pour te demander pardon d’avoir décidé de ne plus rechercher la vérité sur ton lâche assassinat, laissant le sort de tes lâches assassins entre les mains de la justice divine »

Cher père, on se souvient des inquiétudes exprimées en son temps par le chahid [martyr] Larbi Ben M’hidi quand il t’avait dit : « Je n’ai pas peur de la France, mais j’ai peur de ceux qui vont gouverner l’Algérie après l’indépendance ». Sa prophétie est devenue réalité en ce sens qu’un traitement inhumain est infligé à notre actuel président de la République par son propre cercle, faisant de notre beau, grand et historique pays, une République gouvernée par procuration.

Cette lamentable situation ne peut plus me laisser indifférent car elle a généré un grand désespoir au sein du peuple et un sensible déclin de notre pays sur la scène internationale.

Ce déclin profondément ressenti par le peuple, a déjà commencé par produire une bonne et positive réaction du peuple qui, il y a quelques semaines, n’a pas cautionné la comédie d’élections qui a été organisée le 4 mai dernier.

À LIRE : Législatives en Algérie : une « récréation démocratique » qui n’intéresse que le pouvoir »

Moins de 10 % des votants se sont exprimés, en grande partie avec des bulletins nuls, exprimant, on ne peut mieux, la fin de ce système entaché par de nombreuses affaires de corruption, de scandales et une faillite sur tous les plans, et perdant ainsi la confiance du peuple et sans confiance du peuple le gouvernement ne fait qu’accumuler les échecs.

La jeunesse résiste 

Cher père, comme tu l’avais toujours dit, la relation avec la France ne s’améliorera qu’avec le changement de génération. En France, il y a maintenant un jeune président de 40 ans, auquel j’ai écrit une lettre ouverte pour lui signifier que la relation Algérie/France ne pourra pas continuer à être gérée comme elle l’a toujours été sous le système de l’indépendance confisquée.

Devant tous ces développements qui – j’en suis convaincu – ne plairont guère, ni à toi ni à tes compagnons comme Ben Boulaïd, Ben M’hidi, Didouche, Krim, et d’autres encore, j’ai décidé de reprendre ton flambeau et demander des élections présidentielles anticipées.

Comme l’a qualifié un célèbre romancier algérien, le système en Algérie est devenu une île à la dérive, en ce sens qu’il ne peut plus gouverner avec l’incompétence qui a atteint un niveau inacceptable, et n’a pas su ouvrir la scène politique à l’intelligence fraîche et disposée à relever les défis dictés par les temps modernes.   

Le président Boudiaf devant une allégorie du pouvoir algérien représenté par des loups, une œuvre de l’artiste El Moustach (Facebook)

Mais face à toutes ces difficultés, la jeunesse résiste ; elle s’exprime de différentes manières et m’a convaincu de reprendre ton flambeau notamment pour rendre espoir et pour neutraliser les menaces qui pèsent sur le pays, à travers des manipulations soutenues par l’ennemi d’hier en Kabylie, dans la région du M’zab et chez nos sœurs et frères touaregs.

Des jeunes de tous bords m’ont invité à visiter plusieurs villages de Kabylie où j’ai trouvé que l’espoir que tu as semé est resté intact. Ils n’attendent que le lancement du Rassemblement national pour s’organiser autour de moi afin de donner vie à ton projet de société, dans le but d’appliquer ta recommandation d’opérer à une rupture totale et définitive avec les pratiques des hommes du passé. Je vais continuer à sillonner notre beau pays où des milliers de jeunes et moins jeunes m’invitent et me sollicitent à reprendre le Rassemblement national pour remettre l’Algérie sur le podium, à une place qui doit être la sienne dans l’arène internationale.  

« L’Algérie avant tout » sera notre mot d’ordre pour pousser le système établi depuis 1962, à laisser sa place à des cadres, jeunes inconnus, intègres et très compétents pour relever tous les défis. 

- Nacer Boudiaf, 62 ans, est marié et père de trois enfants.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : après un exil de 27 ans au Maroc, Mohamed Boudiaf revient le 16 janvier 1992 en Algérie où il a été appelé, en pleine crise politique, à prendre la tête du Haut Comité d'État (AFP).

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