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Nouvelle offensive à Alep : Assad craint-il la France et la Turquie ?

En dépit des intenses combats, Bachar al-Assad n'a aucune intention de reprendre Alep. Le prix politique serait trop élevé, et la France et la Turquie ne le permettront pas

Une recrudescence majeure de violence a lieu dans la ville d'Alep, ravagée par la guerre, et au nord dans les villes stratégiques détenues par les rebelles. Ceci découle d'une offensive « surprise » des forces du régime, soutenue par des groupes paramilitaires locaux et étrangers, tels que le Hezbollah.

Contrairement à l'opinion répandue, cette offensive n'a pas pour objectif d'assiéger complètement la partie orientale de la ville détenue par les rebelles, mais plutôt d'affaiblir ces derniers en coupant leur principale voie d'approvisionnement en direction de la campagne au nord et de la frontière turque. Si son but avait été d'établir un siège, l'offensive aurait eu lieu plus au sud, prenant pour cible la route de Castelo via les fermes de Mallah ; bien que cela puisse encore arriver dans l'attente (ou en l'absence) de nouveaux événements sur la scène politique.

Le second objectif de cette offensive était d'atteindre les villes loyalistes chiites assiégées de Nebbol et Zahra. Ces deux villes enclavées constituent des forteresses vitales pour le régime sur un champ de bataille par ailleurs entièrement hostile et rural, et disposent chacune d'un grand nombre de combattants locaux qui les défendent contre les assauts répétés menés principalement par des rebelles islamistes et la filiale d'al-Qaïda, Jabhat al-Nosra. Réussir à atteindre ces villes constitue une priorité absolue pour le régime et représenterait une victoire morale et stratégique salutaire pour stimuler ses forces et les loyalistes sous tension.

Un siège complet d'Alep serait problématique pour le régime. Il s'agit d'une affaire épineuse et délicate sur le plan politique car la France et la Turquie ont signalé qu'elles pourraient intervenir directement pour l'empêcher. En réalité, les médias pro-régime accusent la Turquie d'être directement impliquée dans ce dernier combat et d’avoir fourni des armes, un soutien logistique et même des agents sur le terrain aux forces de défense rebelles. Ce ne serait pas la première intervention militaire de la Turquie au nord de la Syrie, puisque des écoutes téléphoniques récentes présentées lors du procès de suspects membres de l'Etat islamique en Turquie dévoilent une coordination étroite et même un soutien de l'artillerie dans le cadre de l'assaut rebelle sur la ville arménienne de Kassab l'année dernière, auquel avaient participé, entre autres, des combattants du Front al-Nosra ayant attaqué depuis des territoires turcs.

C'est la raison pour laquelle un assaut total du régime a été reporté à plusieurs reprises. La dernière fois était en décembre 2014, alors que l'offensive semblait imminente mais a été retardée en raison de la pression exercée par la Russie pour permettre à l'envoyé spécial de l'ONU en Syrie, le diplomate Staffan Domingo de Mistura, de geler l'offensive contre Alep, et pour donner du temps à ses propres tentatives d'instauration du dialogue entre le gouvernement syrien et les représentants de différents groupes d'opposition à Moscou.

Cependant, pour les observateurs qui surveillent de près la scène d'Alep, cette dernière offensive n'est pas vraiment une surprise puisque l'on a rapporté la semaine dernière l'arrivée d'importants renforts du régime à Alep. L'objectif semble être une attaque éclair visant à modifier les conditions sur le champ de bataille avant d'éventuels trêves ou cessez-le-feu, consolidant ainsi ces avancées stratégiques.

Ceci permet d'expliquer en partie l'étrange nature de l'assaut qui semble presque avoir été bâclé puisqu'il s'est appuyé sur d'importants effectifs d'infanterie mais sur peu de blindés et aucune artillerie ou couverture aérienne en raison du mauvais temps. Il s'agit d'une tactique inhabituelle, étant donné que les précédentes avancées du régime étaient lentes, calculées, précédées de lourds bombardements et couvertes par des blindés et des frappes aériennes. Ceci a entraîné la chute et la prise rapides de plusieurs villes stratégiques, mais au prix d'un grand nombre de morts et de prisonniers de guerre, alors que les rebelles se sont défendus en se regroupant et en lançant une contre-attaque, reprenant ainsi une importante ville du front, Rityan.

Les forces de défense rebelles ont tout d'abord été prises au dépourvu car le régime a lancé des attaques de diversion sur différents fronts à l'intérieur et autour de la ville d'Alep qui ont engendré beaucoup de confusion et de désordre. Cependant, elles sont parvenues à appeler d'importants renforts en provenance de toute la province d'Alep ainsi que de la région d'Idleb, y compris des groupes djihadistes tels qu'al-Nosra et le Front Ansar Dine.

Il est important de noter que la plupart des rebelles sont originaires de la campagne située au nord d'Alep, théâtre de la bataille actuelle qui constitue donc leur fief stratégique. Ces groupes rebelles ne forment aucunement un tout cohérent et uniforme. Ils opèrent plutôt autour de leurs villes d'origine mais coopèrent parfois au sein de groupes de coordination ou de postes de commandement unifiés tels que le Front du Levant.

Les plus grandes factions sont islamiques, c'est-à-dire qu'elles prônent un Etat théologique basé sur la charia plutôt qu'une démocratie laïque. Les groupes soi-disant « modérés » tels que le mouvement Hazm, qui ont reçu une assistance militaire directe des Etats-Unis, sont relativement petits et ont été récemment détournés de la plupart de leurs bases et de leurs bastions par des groupes djihadistes tels que le Front al-Nosra.

D'autres petites formations rebelles « modérées » opérant à l'intérieur et autour d'Alep sont trop néfastes et ostensiblement criminelles pour coopérer avec quiconque. On compte parmi elles le célèbre Forqa 16, dirigé par Khaled Hayani, qui opère dans le quartier Bani Zied de la ville d'Alep et a été accusé par l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) lié à l’opposition d'avoir entraîné la mort de plus de trois cents civils lors de bombardements aveugles de quartiers situés dans les zones contrôlées par le régime.

La majeure partie des forces du régime à Alep se compose d'un mélange d'unités régulières de l'armée et de groupes paramilitaires composés de volontaires locaux comme les loyalistes du parti Baath (les Brigades Baath) ainsi que de groupes originaires de différentes villes au sud d'Alep (Forces de défense nationale et Ligan). Il existe même une milice à prédominance palestinienne, Liwa al-Qods, qui est issue du camp de réfugiés voisin d'Handarat, actuellement contrôlé par les rebelles.

Lors de la dernière offensive, ces formations majeures ont été rejointes par des forces étrangères supplémentaires, notamment le Hezbollah, le groupe militant chiite libanais, ainsi que des volontaires chiites originaires d'Irak et de certaines régions d'Asie centrale. L'opposition syrienne affirme également qu'un important contingent iranien comprenant des agents du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) supervise d’importantes opérations de combat.

La situation actuelle demeure fluide et les combats acharnés se poursuivent, chaque camp revendiquant la victoire et de nouvelles avancées, avec pour toile de fond la propagande habituelle des opérations médiatiques locales et régionales qui les soutiennent respectivement à l'aide d'images de combattants abattus et de prisonniers de guerre.

Il n'est jamais aisé de savoir avec certitude ce qui se passe sur les fronts d'Alep, et ce dernier exemple ne fait pas exception. Le brouillard de la guerre est particulièrement dense dans cette ville ruinée, et l'on ne pourra obtenir une vision claire de cette bataille importante que lorsque la poussière sera retombée. Il sera alors possible d'évaluer correctement quelles sont les initiatives diplomatiques restantes.

Pour l'instant, le principal groupe de coordination de l’opposition à Istanbul, la Coalition nationale syrienne (CNS), ainsi que l'organisation rebelle qui lui est affiliée, le Conseil de commandement de la révolution (CCR), se sont prononcés contre l'initiative, accusant M. de Mistura d'être partial après qu'il a déclaré que Bachar al-Assad devait faire partie de la solution. Il va sans dire que les groupes djihadistes, qui sont les plus puissants sur le terrain, rejettent catégoriquement la diplomatie et s'emploient activement à saborder tout accord politique, comme ce fut le cas dans la région de Damas.

Ce plan aurait été difficile à vendre dans tous les cas. Bien que le président syrien lui ait fait bon accueil, proposant même une trêve de six semaines des bombardements d'artillerie et aériens sur Alep, les deux camps continuent de redouter qu'un gel des combats ne finisse par bénéficier à l'adversaire. Les rebelles sont convaincus que le plan permettrait de libérer les moyens militaires du régime et de les déployer ailleurs, notamment sur le front décisif de Deraa au sud, nouvellement actif, tandis que le régime pense qu’il consoliderait de fait le règne des rebelles et de l'opposition sur la majeure partie d'Alep et donnerait l'impression qu’il a cédé ce territoire pour de bon.

Les habitants de cette ville brisée sont peu optimistes quant à un répit prochain dans leur souffrance et ce, quel que soit le résultat de cette dernière salve de combats ou des efforts diplomatiques actuels. Ils sont coincés dans cette impasse sanglante et mortelle depuis si longtemps qu'ils ont presque oublié à quoi ressemble la vie sans la peur et la guerre permanentes.

La partie orientale de la ville, détenue par les rebelles, est régulièrement bombardée par les forces aériennes du régime. Largement dévastée et vidée de ses habitants, elle est principalement contrôlée par des islamistes purs et durs ou des milices djihadistes, et est dépourvue de toute infrastructure civile vitale. La partie occidentale de la ville, aux mains du régime, survit tant bien que mal, croulant sous le poids écrasant de pénuries sévères touchant les services fondamentaux tels que l'électricité, l'eau, le carburant et d'autres nécessités, et endurant les bombardements quotidiens des rebelles qui entraînent un grand nombre de pertes humaines et de blessés. Pour bon nombre de personnes ici, l'espoir de voir tout cela se terminer dans un avenir proche n'est rien d'autre qu'une plaisanterie de mauvais goût.
 

- Edward Dark est le correspondant de MEE à Alep. Il écrit sous un pseudonyme.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : des hommes amènent à la morgue le corps d'un combattant pro-régime dans une zone détenue par les rebelles, au nord de la ville syrienne d'Alep, le 18 février (AFP)

Article traduit de l’anglais (original).

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