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Oui, le choix de porter un hijab est aussi un droit de la femme

Les Tunisiennes devraient avoir le droit de travailler, d’aller dans les bars, d’épouser le partenaire de leur choix – et de porter un hijab. La notion de libération de la femme imposée par l’État est contraignante et restrictive

Lors de la Journée nationale des femmes en Tunisie le 13 août dernier, le président Béji Caïd Essebsi a appelé à l’établissement de l’égalité des droits en matière d’héritage et à l’abolition du décret interdisant aux Tunisiennes de se marier avec des non-musulmans.

Ironiquement, Essebsi, qui veut passer à la postérité comme libérateur de la femme tout en lorgnant sur les prochaines élections, n’est pas étranger aux comportements misogynes.

En octobre 2014, Béji Caïd Essebsi avait été interrogé sur les remarques de Meherzia Labidi, alors vice-présidente de l’Assemblée nationale constituante, concernant son mandat de Premier ministre pendant la période de transition après la révolution de 2011. Sans faire la moindre référence au contenu de ses remarques, il avait répondu : « Que puis-je dire ? Elle n’est qu’une femme. »

L’émancipation des femmes n’est certainement pas à attribuer à Essebsi, mais l’égalité des droits en matière d’héritage et le choix de se marier avec qui l’on veut constituent deux étapes majeures vers cette fin et ne devraient pas être ignorés.

Cependant, plutôt que de se concentrer uniquement sur la législation sur le statut personnel, qui est souvent instrumentalisée à des fins politiques, l’attention devrait également porter sur des questions qui ne sont pas nécessairement aussi attrayantes pour les Tunisiens impliqués dans ces campagnes ou pour les journaux et gouvernements occidentaux qui ont fait l’éloge d’Essebsi.

Le président tunisien Béji Caïd Essebsi plus tôt en août 2017 (AFP)

La discrimination de longue date contre les femmes qui portent le hijab est certainement l’une de ces questions. Alors que l’ascendance coloniale – rappelez-vous les campagnes de la France en Algérie colonisée essayant de persuader les femmes d’enlever leur voile « N’êtes-vous donc pas jolie ? Dévoilez-vous » – a perduré sous les deux présidents post-coloniaux, beaucoup estiment que cette discrimination est enracinée dans un colonialisme intériorisé.

L’humiliation du hijab

« Cela marquera la fin de ta vie. » C’est ce que les gens m’ont dit lorsque j’ai décidé de porter le hijab il y a quatorze ans. En 2003, la circulaire 108, décision présidentielle d’interdire le hijab en public, était pleinement en vigueur et la fin du régime de Ben Ali, soutenu par l’Occident, ne se profilait pas à l’horizon. Les résultats extrêmes de la mise en œuvre de la circulaire 108 incluaient l’emprisonnement, la perte de son emploi et la maltraitance physique par la police.

Pour les lycéennes, aller en cours était un défi en soi et nécessitait la mise en œuvre de certaines stratégies : arriver tard lorsque l’entrée n’était pas gardée, se faufiler par les portes de derrière, sauter par-dessus les clôtures ou porter des casquettes et des bérets

Les effets moins connus de cette politique n’étaient en aucun cas moins extrêmes. Les filles qui portaient le hijab étaient arrêtées dans les rues, humiliées et traînées dans les commissariats. Pour les lycéennes, aller en cours était un défi en soi et nécessitait la mise en œuvre de certaines stratégies : arriver tard lorsque l’entrée n’était pas gardée, se faufiler par les portes de derrière, sauter par-dessus les clôtures ou porter des casquettes et des bérets.

Au cours de mes années de lycée, le proviseur était connu pour ses politiques rigoureuses anti-hijab. Employer des insultes comme « vache », « porteuse de carpette » et « régressive » pour se référer aux élèves moutahajibat (qui portent le hijab) était une pratique normale. Il décida même de laisser des chiens en liberté près des clôtures pour prévenir les « intruses ». Les quelques élèves qui portaient le hijab furent contraintes de l’enlever complètement à l’intérieur de l’établissement.

L’humiliation de marcher à côté de vos camarades de classe, puis d’enlever ce que vous considérez comme un morceau de vous devant tout le monde ne disparaît pas vraiment. Être repérée avec un hijab en dehors de l’école était également un motif pour enlever votre hijab, d’expulsion et de convocation des parents.

Être une moutahajiba définissait toute votre expérience au lycée. Si assister aux cours de base était un défi, les activités extrascolaires étaient hors de question. Lors de ma dernière année, j’ai été invitée à la cérémonie de remise des prix. Mon nom a été appelé et je suis montée sur le podium pour recevoir le prix récompensant ma réussite scolaire. Je me suis tenue devant des centaines de personnes et j’ai attendu.

Au lieu de me remettre le prix, un responsable de l’école a détourné la tête et a refusé de reconnaître même ma présence.

Lorsque je me remémore mes années de lycée, je devrais me souvenir de la vie étudiante, de mes amis et des enseignants. Au lieu de cela, tout ce à quoi je pense, c’est ce moment, ce sentiment d’exclusion, de ne pas être acceptée.

À l’université, les choses étaient différentes, mais pas mieux. Dans la majorité des universités au cours des dernières années du régime, le port du hijab était autorisé. Cependant, les insultes des professeurs et les refus d’admission à des programmes et bourses d’études étaient fréquents, et contester cela était tout simplement impossible.

Les lois changent, l’intolérance demeure

En 2011, la révolution tunisienne a ranimé l’espoir que les choses pouvaient être différentes. Le 31 mars 2011, le port du hijab sur la photo de votre carte d’identité nationale a été déclaré légal. La circulaire 108 a été révoquée et les femmes portant le hijab ont enfin pu poursuivre leurs carrières universitaires et professionnelles sans se faire harceler.

Il qualifiait le hijab de « régressif », « disgracieux », « non chic » et de « boulet », et déclarait qu’il exprimait des idées arriérées

Mais cela ne signifie pas que les choses ont changé. Une amie proche, Amira, ingénieure de 29 ans, m’a récemment raconté comment plusieurs postes lui avaient été refusés à cause du hijab. Elle affirme que, lors des entretiens, certains recruteurs ne cachent même pas leurs réactions lorsqu’ils constatent qu’elle est voilée. Dans les cercles informatiques, il existe des entreprises qui ne nient même pas ces politiques devant les candidates. Aujourd’hui, des histoires comme celle d’Amira sont perçues avec scepticisme. On dit à ces femmes qu’elles sont paranoïaques et qu’elles devraient oublier tout cela.

En 2013, je me suis inscrite à un programme de relations internationales dans une université tunisienne. Le but principal du programme était de préparer les étudiants à une carrière dans les ONG ou au ministère des Affaires étrangères – enfin, sauf si vous portez le hijab. L’intolérance de certains professeurs à l’égard du hijab était tristement familière.

Dans l’un des cours, un enseignant s’en prenait régulièrement aux étudiantes moutahajibat, rappelant à plusieurs reprises que nous ne réussirions jamais dans le monde avec « cette chose » sur nos têtes. Il qualifiait le hijab de « régressif », « disgracieux », « non chic » et de « boulet », et déclarait qu’il exprimait des idées arriérées. Cette attitude n’était pas étrangère aux universités tunisiennes et, malheureusement, elle n’était guère surprenante pour les étudiantes ciblées.

Le moment le plus frappant était quand il nous a explicitement dit de ne pas perdre notre temps à passer l’examen des diplomates, prétendant que même si une moutahajiba réussissait l’examen écrit, elle serait recalée délibérément à l’oral. Lorsque je lui ai demandé d’expliquer pourquoi, il a répondu que le comité du jury ne choisirait jamais les candidates portant le hijab, même celles qui étaient bonnes – voire meilleures que leurs camarades de classe.

« Vous ne deviendrez jamais diplomate parce que vous ne représentez pas les Tunisiennes et que vous ne pouvez pas représenter la Tunisie. Le seul poste pour vous serait un travail de bureau quelque part au ministère », avait-il déclaré.

Ce fut un choc pour plusieurs étudiantes qui envisageaient une carrière diplomatique. Autre coup d’éclat, en préparant une simulation de l’ONU en classe, il a demandé aux moutahajibat qui représentaient des pays étrangers d’ôter leur hijab pour la journée pour plus de crédibilité. Il a ensuite utilisé l’agitation et l’horreur qui ont suivi comme « preuve » démontrant que nous étions incapables de nous intégrer dans la société de manière saine car nous ne pouvions même pas participer à un simple jeu de rôle.

« Une question d’hygiène »

Lorsque j’ai terminé le programme, j’ai pensé que je laissais tout cela derrière moi, que la sensation d’être entravée que j’éprouvais allait finir par disparaître. Après tout, la Tunisie réalisait tellement de progrès en matière de droits des femmes. En juillet, j’ai été invitée par des amis à déjeuner et à passer du temps à la piscine dans un hôtel de Gammarth, une station balnéaire bordant la Méditerranée.

À l’entrée, le personnel m’a informée que les moutahajibat n’étaient pas autorisées dans la piscine. Il m’a fallu quelques instants pour comprendre. J’ai posé la question à l’intérieur et on m’a expliqué que la politique interdisant aux moutahajibat de nager avait été mise en œuvre l’an dernier en raison de plaintes de touristes.

Néanmoins, après avoir posé plus de questions, nous avons compris qu’en réalité, un ancien directeur de l’hôtel avait mis en œuvre cette politique parce qu’il pensait que les maillots de bain des moutahajibat étaient sales et pleins de sueur et ne devaient pas être autorisés dans la piscine. On m’a affirmé que cette politique était basée sur un décret du ministère du Tourisme.

J’ai appelé l’hôtel et j’ai demandé à parler au responsable actuel, mais la directrice générale de l’hôtel n’a pas transmis mon appel. Je lui ai indiqué que je souhaitais me renseigner sur le prétendu décret et son contexte juridique. Sa réponse, qui rappelait les justifications racistes employées pour les piscines séparées à l’époque de la ségrégation aux États-Unis, était la suivante : « La loi ? Nous pouvons faire tout ce que nous voulons. » « C’est une question d’hygiène », a-t-elle ajouté.

Des femmes nagent dans une piscine dans la ville côtière tunisienne de Mahdia, en 2012 (AFP)

J’ai demandé si cela signifiait que le hijab était sale, ce à quoi elle a répondu : « Non, nous ne ciblons personne et nous n’accusons personne d’être sale, mais c’est une question d’hygiène. » Je ne savais pas si elle s’était rendu compte à quel point ses propos étaient contradictoires. Lorsque je lui ai rappelé que les maillots de bain des moutahajibat étaient fabriqués à partir du même tissu que les autres maillots de bain, voici ce qu’elle a répliqué : « Eh bien, c’est notre politique et nous sommes libres de faire ce que nous voulons. »

J’ai décidé de consulter Sana Haddad, une avocate, qui m’a expliqué que ces institutions se servaient de leur propre interprétation de la réglementation en matière d’hygiène dans les piscines pour interdire le maillot de bain hijab. Elle estime qu’il est possible de combattre cette discrimination en tant que violation des droits civils dans les tribunaux, mais bien évidemment, il faut disposer des moyens financiers pour suivre toute la procédure.

Les hôtels ne sont pas les seuls endroits où les moutahajibat ne sont pas autorisées. Certaines boîtes de nuit et certains bars, principalement à Tunis et à Hammamet, une autre ville côtière, appliquent des politiques anti-hijab similaires. Lorsque nous évoquons l’idée de contester ces politiques sur le terrain social ou juridique, nous devons garder à l’esprit qu’une femme, moutahajiba ou non, peut ne pas toujours se sentir suffisamment émancipée pour apparaître en public en raison de pressions familiales ou sociales.

Aux yeux de qui ?

Justifiant la nouvelle initiative, Essebsi prétend préserver quelque chose d’unique qui caractérise la Tunisie : c’est le pays musulman arabe le plus avancé en matière de droits des femmes. Pourtant, tout comme pour Ben Ali et Bourguiba avant lui, tous ces droits sont définis par des hommes au crépuscule de leur existence.

Son initiative, annoncée lors de la journée des femmes, est l’équivalent verbal de la photographie la plus emblématique de Bourguiba, où il est représenté en train de retirer lui-même le couvre-chef traditionnel (sefseri) d’une femme. À travers ces deux initiatives, ces hommes ont ignoré et marginalisé le rôle des femmes et les luttes féminines populaires contre le patriarcat, se présentant à la place comme les « sauveurs » des femmes.

Tout comme pour Ben Ali et Bourguiba avant lui, tous ces droits sont définis par des hommes au crépuscule de leur existence

Les dirigeants tunisiens et l’élite tunisienne pourraient estimer que la promulgation de cette loi apaiserait un Occident qui se dit préoccupé par les droits des femmes dans la région malgré les nombreux exemples qui démontrent comment cette préoccupation a été exploitée pour servir ses propres intérêts. Si un pays est considéré comme un allié, l’Occident est tout à fait disposé à ignorer les violations des droits de l’homme, notamment des droits des femmes. Il suffit de penser à l’Arabie saoudite.

Leur peur des tenues liées à l’islam est une manifestation du colonialisme intériorisé qui est soutenu et encouragé par le silence des puissances occidentales – avant et après la révolution. Il convient de mentionner que les maillots de bain hijab sont également interdits dans certaines régions de France, et même dans des pays prétendument libéraux comme l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche.

Le fait qu’ils sont appelés « burkinis » n’aide pas, les reliant automatiquement à la controverse sur la burqa, même si ce sont des choses complètement différentes.

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Depuis quatorze ans, mon port du hijab a peut-être restreint mes opportunités académiques et sociales, au moins dans une certaine mesure. Mais cela a libéré mon esprit et a fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Cela m’a ouvert les yeux sur la nature hypocrite de la « libération des femmes » en Tunisie et sur le regard limité de l’Occident. Cela m’a appris qu’être véritablement libre signifie ne pas attendre qu’un dirigeant dicte mes droits ou que le monde me définisse.

La notion de libération des femmes qui a toujours été imposée par l’État est contraignante et restrictive. Il s’agit de s’assurer que ce soit ceci ou cela. Mais peut-être il y a des femmes qui veulent tout cela, pas seulement une version modifiée d’une fausse liberté. Peut-être y a-t-il des femmes qui veulent avoir le droit de porter le hijab, de travailler, d’aller dans les bars, de se marier avec le partenaire de leur choix et d’obtenir la reconnaissance financière et sociale qu’elles méritent.

Le hijab est un choix. Il est donc peut-être temps pour les gens de se rendre compte que nous n’avons pas toutes besoin d’être « sauvées » du hijab ; ce que nous exigeons, c’est le respect, l’égalité et la justice.

- Safa Belghith travaille comme journaliste et chercheuse sur les questions liées à la politique, aux droits des femmes et à la réforme des médias en Tunisie.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des étudiantes tunisiennes écoutent leur professeur de français à l’Université de Tunis en janvier 2012 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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