Aller au contenu principal

Pape François : trouver le salut dans des endroits inattendus

Le pape François et le Vatican ont fait ce qu’aucun président américain ni l’Amérique n’ont fait : reconnaître l’Etat palestinien

Le pape François a pris des mesures afin que le Vatican reconnaisse officiellement la Palestine comme un Etat dans « l’espoir d’une solution à la question palestinienne dans le cadre de la formule des deux Etats », ce qui pourrait pousser les Israéliens à faire des concessions à leurs rivaux.

La question de la Palestine concerne les principes fondamentaux de justice humaine et d’égalité sociale et le chef de l’Eglise catholique, vicaire du Christ sur terre, a parlé directement de la détresse des Palestiniens, majoritairement musulmans. En outre, c’est une décision qui pourrait finir par changer la donne du « processus de paix ».

Le pape nous rappelle que la justice sociale sur terre transcende le jugement dans l’au-delà. Il nous rappelle également que nos besoins terrestres les plus urgents prennent le dessus sur nos aspirations spirituelles. Donnez un poisson à un homme qui a faim, cet homme se souciera peu de savoir si le pêcheur est chrétien, musulman, juif ou athée.

Je suis athée, mais je suivrai tout pêcheur d’hommes qui nous conduit vers la Terre promise et, à cette fin, je suis un fervent admirateur de la foi religieuse du pape. Non pas de la doctrine du christianisme en soi, mais de tout Evangile qui a inspiré le pape à parler des défis sociaux et économiques de notre temps – y compris des injustices à l’encontre des Palestiniens.

Depuis qu’il a pris le relais de son prédécesseur, le pape Benoît XVI, François a défendu une thèse qui remet en cause les excès du capitalisme, de la mondialisation et de leur progéniture : les inégalités de revenus, la disparité des richesses, et l’inégalité sociale.

On pourrait aisément définir la lutte du pape François pour la justice, la transparence, l’équité et l’égalité comme ma religion laïque. De même, le christianisme du révérend Martin Luther King et de la Nation de l’islam de Malcolm X constituent le noyau de ma foi non religieuse. Il importe peu que je crois en la divinité de leur foi respective : ce qui importe, c’est qu’ils étaient en mesure d’utiliser leur divinité respective de manière constructive pour nous, pour nous tous, nous faisant avancer vers là où nous devons être. Louez Jésus. Louez Allah. Peu importe.

Justice, transparence, équité et égalité. Voilà ce que nous voulons tous. C’est ce à quoi aspire l’ensemble du Moyen-Orient. Les Occidentaux font l’erreur de croire que la religion est un obstacle infranchissable au Moyen-Orient. Ils ont tort. Exception faite des militants takfiris jusqu’au-boutistes, ce sont l’injustice, l’inégalité et le désespoir qui montent les voisins les uns contre les autres.

Les Arabes, les Perses, les Kurdes et les Turcs veulent tous les mêmes choses sur cette terre : de la nourriture, un toit, être en bonne santé et en sécurité. Tout comme moi, ils suivront tous ceux qui peuvent pourvoir à ces besoins même si cela signifie suivre un leader qui ne partage pas la même identité ethnique ou religieuse, même si cela signifie abandonner leurs idéaux plus nobles.

L’expansion de l’influence iranienne partout au Moyen-Orient, majoritairement arabe, en est le parfait exemple.

Habilement et de manière pragmatique, l’ayatollah Khamenei a cultivé l’image d’un Iran anticolonialiste, populiste et pluraliste au Moyen-Orient.

« Pendant cinquante ans, les communistes représentaient les mouvements de libération dans le monde entier. Ils étaient les champions des pauvres, des spoliés et des opprimés », note Robert Baer, un ancien agent de la CIA qui a passé plusieurs dizaines d’années au Moyen-Orient. « L’Iran a repris le flambeau. La révolution iranienne au Moyen-Orient a moins à voir avec la religion qu’avec la politique et l’économie. L’Iran a exploité le mécontentement chiite, mais il a également promis de remédier à l’inégalité économique mondiale, à l’impuissance politique du tiers monde, au colonialisme et à l’injustice. »

Un sondage réalisé par Pew Research en 2007 a révélé que 55 % des Palestiniens avaient une opinion positive de l’Iran – un résultat étonnant compte tenu des liens historiques de la Palestine avec les Etats sunnites du Golfe arabe et du fait que les Palestiniens ont soutenu Saddam Hussein pendant la guerre Iran-Irak et la guerre du Golfe en 1991. Qu’est-ce qui est à l’origine de cette soudaine volte-face en faveur de leurs adversaires perso-chiites ? Le Président iranien Mahmoud Ahmadinejad a menacé d’engager une action militaire contre l’occupant de la Palestine, Israël.

« L’Iran a surmonté les différences sectaires et ethniques en offrant aux Palestiniens un véritable plan de lutte contre Israël... l’acceptation de l’Iran chiite par les Palestiniens, c’est comme si l’Irlande se réveillait un matin et tournait le dos au pape pour adhérer à l’Eglise anglicane », écrit Robert Baer.

Lorsque le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a contraint Israël à se retirer du Liban en 2000, après vingt-deux ans d’occupation, puis a vaincu Israël dans la guerre de 2006, ce chiite soutenu par l’Iran est devenu une égérie à travers le monde arabe sunnite. « Nasrallah a conquis le cœur de millions de personnes dans le monde islamique. Son visage est apparu sur des panneaux publicitaires, des porte-clés et des économiseurs d’écran. Les gens restaient collés à leurs téléviseurs pendant des heures lorsqu’il tenait ses discours passionnés. Sa popularité était bien plus grande que celle de n’importe quel président ou roi de la région gouvernant leur pays depuis des années », observe The Fanack Chronicle.

La popularité de Nasrallah s’étendait aux territoires occupés. « Qui se souciait que Nasrallah fût un imam chiite ? Il savait comment se battre », explique Robert Baer. Alors que la popularité de Nasrallah a chuté dernièrement, principalement en raison de l’appui du Hezbollah au régime de Bachar el-Assad dans la guerre civile en Syrie, il n’en demeure pas moins que les opprimés suivront un leader qui peut apaiser leur souffrance, peu importe son identité religieuse ou ethnique.

Les Palestiniens acclameraient le pape François – peut-être même qu’un grand nombre se convertiraient au catholicisme dès demain – s’il pouvait leur offrir un Etat viable qui garantit l’accès à la nourriture, à la chaleur, à un abri, à la sécurité, à la justice et à l’égalité. Ce fait est totalement occulté dans toute discussion relative à la paix au Moyen-Orient.

Voilà pourquoi la reconnaissance de l’Etat palestinien par le pape est si importante. Le pape François et le Vatican ont fait ce qu’aucun président américain ni l’Amérique n’ont fait : reconnaître l’Etat palestinien. Ainsi, la popularité du pape au Moyen-Orient monte en flèche, tandis que celle des Etats-Unis reste à un niveau historiquement bas.

La question de la Palestine a une résonance profonde dans tout le Moyen-Orient en raison de l’identité arabe commune à ces pays. « Toutefois, sur un plan plus politique, les Arabes considèrent également la question palestinienne comme le plus grand obstacle à la paix et à la stabilité au Moyen-Orient », note James Zogby, le fondateur de l’Arab American Institute. « Dans chaque pays [du Moyen-Orient], les majorités interrogées voient la résolution du conflit israélo-arabe comme l’élément central d’un meilleur avenir politique. »

Si l’Occident est incapable de promettre aux Palestiniens et à l’ensemble du Moyen-Orient une alternative viable à l’intégrisme islamique, l’idée même de démocratie laïque sera perdue à jamais dans la région. En 2010, un sondage a révélé que 87 % des Palestiniens croient que les Etats-Unis ne sont pas sérieusement engagés dans le processus de paix. « La colère arabe sur la question palestinienne restreint la force et la profondeur des partenariats américains avec les gouvernements et les peuples... et affaiblit la légitimité des régimes modérés dans le monde arabe. Pendant ce temps, al-Qaïda et d’autres groupes militants exploitent cette colère pour obtenir du soutien », a témoigné le général américain David Petraeus à un comité des services armés du Sénat en 2010.

Les Palestiniens défendaient autrefois une démocratie laïque. Ils ont appuyé l’OLP laïque jusqu’à ce qu’il apparaisse clairement que Yasser Arafat et ses acolytes étaient prêts à abandonner l’idée d’un Etat palestinien en échange de leur enrichissement personnel. Arafat est mort avec des centaines de millions de dollars à son compte, alors que son peuple n’avait pas les moyens de se payer l’électricité. Lorsque la corruption égoïste de l’OLP et du Fatah a été exposée, les Palestiniens de Gaza se sont tournés vers leur preux chevalier : le Hamas.

Le mois dernier, le Hamas a remporté les élections étudiantes dans une université cisjordanienne, ce qui revêt une importance particulière puisque les élections étudiantes reflètent l’humeur politique d’un électorat qui n’a pratiquement pas pu s’exprimer depuis 2006 en raison de l’absence d’élection nationale depuis la victoire du Hamas cette année-là.

« Le Fatah n’a pas combattu à Gaza, contrairement au Hamas », a expliqué au New York Times Suhaila, une étudiante en littérature anglaise à l’université de Birzeit. « Personne ne croit en l’aboutissement des négociations », a déclaré une autre étudiante, qui a souhaité garder l’anonymat par crainte de représailles du gouvernement. « Le Président [Abbas] nous a abandonnés, ils prennent tout l’argent qui vient de l’étranger et ils se le partagent. »

En début d’année, Oum Adam, une Palestinienne de Gaza qui a perdu son fils pendant l’attaque de 2008-2009, a déclaré à un journaliste : « Gaza est un tombeau ; nous sommes morts de toute façon. Soit tu meurs lentement et inutilement, soit tu meurs rapidement avec un but. »

Les Palestiniens ne sont pas prédisposés au fondamentalisme religieux. Ils veulent juste le droit de vivre. Il y a longtemps que l’Occident laïc les a abandonnés, alors qui peut les blâmer de trouver l’espoir via le militantisme islamique du Hamas et du Hezbollah ?

Cela dit, on peut maintenant se poser une autre question : le pape François a-t-il offert aux Palestiniens une alternative au fondamentalisme islamique militant ? Il y a 1,2 milliard de catholiques romains et les catholiques occupent des postes importants dans presque tous les gouvernements occidentaux.

« Les Occidentaux ont tendance à imaginer le Moyen-Orient comme un lieu où les religions sont gravées dans le marbre », observe Robert Baer. « Cependant, les clivages sectaires s’effacent lorsque les circonstances sont favorables, comme face à un ennemi commun tel qu’Israël ou les Etats-Unis. »

Avec le temps, je suis persuadé qu’on reconnaîtra toute l’importance de l’accord du pape François avec les Palestiniens. Pour l’instant, on attend.

CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America, God Hates You. Hate Him Back et Koran Curious. Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object ». Suivez-le sur Twitter : @cjwerleman

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le pape François.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].