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Pourquoi le meurtre impitoyable de Jamal Khashoggi est un problème mondial

Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane est passé du statut d’opportunité pour les Américains à problème évident pour l’Occident

Je n’avais pas prévu d’écrire à propos du meurtre barbare de mon ami Jamal Khashoggi. Nous étions censés faire partie du même panel lors d’une conférence dans deux semaines.

Ce journaliste saoudien, qui a disparu il y a une semaine alors qu’il se trouvait à l’intérieur du consulat saoudien à Istanbul, a été exécuté par un commando saoudien à la barbarie proche de celle de l’État islamique.

D’aucuns pourraient penser qu’un meurtre commis au consulat saoudien, qui – selon les règles de la diplomatie – est considéré comme un territoire saoudien, est un problème purement saoudien. Toutefois, cet incident peut donner l’impression que toute mission diplomatique saoudienne pourrait constituer une potentielle scène de crime.

Le climat géopolitique

Les dictatures, les massacres israéliens, les interventions des États-Unis, le terrorisme et, plus récemment, les atrocités perpétrées par les Russes et les Iraniens en Syrie ne sont guère étrangers à la région du Moyen-Orient. L’assassinat de Khashoggi combine toutefois différents éléments de presque toutes ces atrocités réunies.

Le climat géopolitique dominant est à l’origine de la mentalité de l’État islamique (EI) et, par conséquent, des méthodes qui auraient été utilisées pour tuer Khashoggi au sein du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.

Ce n’est que si nous sommes en mesure de comprendre cet écosystème toxique dans son ensemble que nous pourrons saisir l’état d’esprit qui règne à Riyad, l’arrogance de Washington, l’obstination de Téhéran, l’insensibilité de Moscou, le racisme de Tel Aviv et la suffisance du Golfe.

Khashoggi a été massacré de la même manière que l’EI commet des meurtres pervers et arbitraires contre des innocents

Ceux qui sont au pouvoir à Riyad, qui, selon les propos tenus plus tôt ce mois-ci par le président Donald Trump, survivraient à peine deux semaines sans le soutien des États-Unis, ont suivi la même logique et ont accordé à Khashoggi une durée de vie similaire.

Ce faisant, un homme innocent et sans défense a été assassiné.

La question ne peut être simplement réduite au fait de faire taire Khashoggi, qui était un humble activiste et journaliste. Il ne constituait aucune menace réelle pour le régime saoudien. Khashoggi a été massacré de la même manière que l’EI commet des meurtres pervers et arbitraires contre des innocents.

La mentalité qui prévaut dans les capitales américaine et européennes ne peut être absoute de toute responsabilité. En ignorant les grands problèmes géopolitiques de la région et en étant obsédés par le simple problème de savoir « si les femmes peuvent ou non conduire des voitures en Arabie saoudite », elles ont contribué à nourrir ce climat géopolitique toxique.

Un prince irréfléchi

Pendant ce temps, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane agit de concert avec le président américain, semant le chaos dans la région, du Yémen et de la Palestine à la Syrie et au Liban. Ce sentiment d’insouciance s’est étendu au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul le 2 octobre, lorsque Khashoggi y a disparu.

Rien ne garantit que les conséquences d’un tel comportement irresponsable se limiteront à Istanbul ; elles peuvent facilement s’étendre à d’autres missions diplomatiques saoudiennes à travers le monde.

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan (à gauche) rencontre le roi saoudien Salmane ben Abdelaziz al-Saoud lors de la visite officielle d’Erdoğan à Djeddah, le 23 juillet 2017 (AFP)

Khashoggi était un citoyen saoudien et un résident américain, bien connu des cercles de l’élite politique et médiatique de Washington. Les conséquences de son meurtre impitoyable se répercuteront dans le monde entier.

Tout comme rien ne garantit que l’état d’esprit qui a présidé à la planification du meurtre de Khashoggi disparaîtra avec sa mort, rien ne laisse présager que l’Arabie saoudite, en tant qu’allié naturel de l’axe de la folie Trump-Netanyahou, commencera à agir de manière responsable. Cet incident est également susceptible d’annoncer la mort des relations entre la Turquie et l’Arabie saoudite, de la main de Riyad. Nous avons dépassé le point de non-retour à court terme et les provocations de Riyad en sont les seules responsables.

Mort des relations turco-saoudiennes ?

À partir de maintenant, les mesures prises par l’Arabie saoudite détermineront le sort des relations bilatérales. Cependant, il ne faut pas oublier que les conséquences de l’assassinat de Khashoggi s’étendent bien au-delà de l’axe Ankara-Riyad. Le monde doit assumer ses responsabilités et réagir en conséquence. Trump a donné son feu vert aux politiques du prince héritier au Moyen-Orient. Le reste du monde ne doit toutefois pas suivre le même chemin.

En ignorant les grands problèmes géopolitiques de la région et en étant obsédés par le simple problème de savoir « si les femmes peuvent ou non conduire des voitures en Arabie saoudite », les capitales américaine et européennes ont contribué à nourrir ce climat géopolitique toxique

Le prince héritier saoudien a fait son entrée sur la scène internationale peu de temps avant l’élection de Trump à la présidence. Mais contrairement à Mohammed ben Salmane, Trump était une personnalité connue dans le monde entier en raison de ses méga projets mondiaux. Le jeune prince héritier, dont le nom a été presque toujours mentionné conjointement avec la société Aramco, était un nouveau venu dans la politique mondiale, mais pas au Moyen-Orient.

En Occident, Mohammed ben Salmane était perçu comme un dirigeant durable, doté d’une poigne de fer qui convient à une région troublée comme le Moyen-Orient. Cependant, plus important encore, il était également perçu comme une opportunité d’introduction en bourse à court terme.

Le prince héritier avait l’intention de vendre environ 5 % d’Aramco, la compagnie pétrolière nationale saoudienne. L’introduction en bourse devait permettre de lever jusqu’à 100 milliards de dollars – mais les incertitudes entourant le sort de l’accord Aramco depuis le mois d’août étaient un signe certain du dysfonctionnement du gouvernement saoudien.

À LIRE ► Jamal Khashoggi : « Saoudien, mais différent »

L’année dernière, lorsque Mohammed ben Salmane a été désigné prince héritier, le chroniqueur du New York Times, Tom Friedman, a affirmé que le « Printemps arabe saoudien » avait débuté et que le prince avait « de grands projets pour sa société ».

Aujourd’hui, les « grands projets » du prince héritier se sont concrétisés sous la forme d’une introduction en bourse ratée pour Aramco, de la détention de nombreux membres de la famille royale et d’hommes d’affaires dans un hôtel de luxe et, plus récemment, de ce crime présumé commis à Istanbul.

Le monde doit montrer que la légitimité n’a pas de prix et devrait maintenant s’unir pour isoler M. Introduction en bourse

En fait, c’est Khashoggi qui faisait exception à l’état d’esprit qui régnait à Riyad, empêchant l’expression « journaliste saoudien » de devenir un oxymore. Khashoggi rêvait d’un avenir meilleur, non seulement pour l’Arabie saoudite, mais pour l’ensemble du Moyen-Orient.   

Le monde doit montrer que la légitimité n’a pas de prix et devrait maintenant s’unir pour isoler M. Introduction en bourse.

Note de la rédaction : des responsables saoudiens ont insisté sur le fait que Jamal Khashoggi avait quitté le consulat peu après son arrivée et qu’ils s’inquiétaient de son sort. Ils n'ont toutefois présenté aucune preuve corroborant leurs dires et affirment que les caméras du consulat n’enregistraient pas à ce moment-là.

- Taha Özhan est un universitaire et écrivain titulaire d’un doctorat en politique et relations internationales. Ancien président de la commission des affaires étrangères du Parlement turc, il a également officié en tant que conseiller principal du Premier ministre. Il commente et écrit fréquemment pour les médias internationaux. Son dernier livre s’intitule Turkey and the Crisis of the Sykes-Picot Order (2015).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un panneau de la police devant le consulat d’Arabie saoudite, le 10 octobre 2018 à Istanbul. Jamal Khashoggi, un journaliste saoudien qui écrivait pour le Washington Post, a disparu le 2 octobre après avoir pénétré dans le consulat pour obtenir des documents officiels en vue de son mariage avec sa fiancée turque (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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