Pourquoi Tony Blair parle au Hamas de Khaled Mechaal
La révélation que Tony Blair et ses fonctionnaires sont en négociation active avec Khaled Mechaal, le chef du Hamas, pour mettre un terme au siège de huit ans de Gaza pourrait être une surprise pour ceux qui connaissent le dossier de l'ancien émissaire du Moyen-Orient.
Tony Blair a fourni une couverture internationale inestimable pour les actions d'Israël ; il reste un fervent partisan du coup d'Etat militaire en Egypte ; et il se positionne idéologiquement comme l'ennemi des islamistes de toutes les couleurs.
Peu de politiciens auraient pu assister à l'enterrement d'Ariel Sharon et dire ensuite de l'ancien commandant de l'unité 101 responsable du massacre de quarante-deux villageois dans Qibya, ou du ministre de la Défense qui a invité les forces phalangistes dans les camps de Sabra et Chatila à Beyrouth : « L'Etat, pour l’existence duquel il a lutté à partir l'âge de 14 ans, devait être protégé pour les générations futures. Lorsque cela signifiait combattre, il a combattu. Lorsque cela signifiait faire la paix, il a cherché la paix ».
Même récemment, Tony Blair a gardé peu secrète son ambition de renverser le Hamas. En rejetant l'option militaire, il a suggéré que les mêmes buts pourraient être atteints par d'autres moyens : « Il n'y aura pas une destruction du Hamas ... vous ne pourrez pas détruire le Hamas comme en tant qu’entité politique ... ce que je sais, c’est que cela se produira seulement si cela a lieu dans le contexte d'une voie à suivre, en particulier pour les habitants de Gaza, qui leur donnerait un peu d'espoir pour l'avenir, parce qu’à la fin un tel mouvement politique a le soutien sur le terrain, et vous avez besoin de changer ... de retirer ce soutien ».
Alors pourquoi ces pourparlers se déroulent-ils enfin, et pourquoi maintenant ?
Le premier endroit pour chercher des preuves d'un changement d’idée au sujet du long siège de huit ans de Gaza est l'establishment de la sécurité d'Israël. Il a combattu dans trois guerres au cours de cette période, sans compter de petites incursions, des bombardements et des assassinats ciblés.
L’équivalent d'Hiroshima en TNT
Les forces israéliennes ont lâché sur Gaza une quantité non déclarée de TNT depuis la mer, la terre et l'air au cours des cinquante jours de la dernière guerre. Le tonnage utilisé en un point de Rafah était si grand que même le Pentagone a reculé et refusé temporairement d’ouvrir son arsenal de bombes guidées pour reconstituer le stock d'Israël. Le chef de la brigade de déminage palestinienne a affirmé, avant d’être tué, que la quantité totale d'explosif utilisé sur la bande de Gaza se situait entre 18 000 et 20 000 tonnes, soit l'équivalent de la bombe d'Hiroshima. La force aérienne israélienne a reconnu elle-même avoir lâché 400 tonnes en deux jours seulement.
Cette guerre-éclair n'a fait que renforcer la capacité militaire du Hamas au cours des années. Il a développé et continue à tester des roquettes dont la portée couvre grande partie d'Israël. Cela laisse les planificateurs militaires israéliens avec une seule option : une occupation complète de la bande de Gaza. Mais ce ne serait pas simple.
Cela entraînerait de lourdes pertes civiles et militaires israéliennes dans la guerre urbaine. Cela signifierait reprendre la responsabilité de la population dévastée de Gaza et le résultat d'une telle guerre serait imprévisible.
Le Hamas reste, avec le Hezbollah, l'ennemi le plus actif d'Israël. Il ne peut pas contester les moyens militaires israéliens, mais il a réussi à créer une armée rudimentaire sur la terre de Palestine elle-même, et il continue d'être un camp solide à l'intérieur d'Israël, alors qu’Avigdor Lieberman met la pression pour son élimination complète.
Mais il existe un autre camp en Israël et il voit le chaos comme un plus grand ennemi.
Ses sympathisants font valoir qu'il est préférable pour Israël d'avoir le Hamas sous contrôle dans la bande de Gaza plutôt que Daech ou ses filiales. Cette idée n'a rien de nouveau. Il y a deux ans, le chef du Commandement de l'armée israélienne de Gaza, le brigadier-général Miki Edelstien, a déclaré que le Hamas a agi en tant que policier de Gaza : « Les dirigeants du Hamas, à la fois militaires et politiques, font tout pour faire preuve de retenue. Une de leurs plus importantes brigades agit maintenant comme « police des frontières », avec 800 combattants, en montant la garde pour éviter que toutes sortes de petites organisations tirent des roquettes ou placent des bombes en bordure de route [à la frontière] ».
La même idée a refait surface dans une rubrique de l'ancien chef du Mossad, Efraim Halevy, qui a appelé « frères ennemis » le Hamas et Israël : « Le Hamas, par exemple, est en guerre avec Israël, alors que sa bataille contre d'autres organisations dans la bande de Gaza, qui rejettent son autorité, sert les besoins de sécurité d'Israël ».
« Si les récents pourparlers se transforment en un accord entre Israël et le Hamas pour une période limitée de temps, il sera nécessaire d'en faire la première étape pour une nouvelle voie. La tactique doit conduire à une stratégie de dialogue permanent. La force de chaque accord dépendra toujours des relations entre les citoyens d'Israël sur ce côté de la frontière et les Arabes sur son autre côté. D’après une source officielle récemment citée, nous avons le calme, même sans donner aux Palestiniens à Gaza un port et un aéroport. Sans aborder ces deux ambitions, les pourparlers récents prouvent que le « calme pour le calme » est une formule obsolète. Une telle approche garantit une autre série de combats ».
Baril de poudre
Le troisième ingrédient est la perspective que si rien ne se passe pour changer le statu quo actuel, Gaza pourrait être l'épicentre d'une explosion incontrôlable.
C’est ce que Frank-Walter Steinmeier, le ministre allemand des Affaires étrangères, voulait dire quand il a récemment déclaré que Gaza était une poudrière : « Je suis sorti de toutes mes discussions d'hier à Jérusalem et à Ramallah avec l'espoir que toutes les parties sont conscientes que nous sommes assis sur une poudrière ici et que nous devons veiller à ce que la mèche ne s’allume pas », a déclaré M. Steinmeier le 1er juin.
La perspective d'un effondrement de la sécurité dans la bande de Gaza, si le Hamas perdait sa capacité de retenir d'autres groupes armés sur son territoire, n’est pas attrayante. Avec la proximité de groupes djihadistes dans le Sinaï jurant allégeance à Daech, et la bataille ayant lieu autour de Damas à la frontière nord d'Israël, la perspective que la bande de Gaza se désintègre en groupes de militants certes petits et indisciplinés, mais lourdement armés présente un risque majeur pour la sécurité d'Israël.
Pour l'UE, qui a récemment été contrainte de réviser ses mesures pour recueillir les migrants qui tentent de traverser la Méditerranée en provenance de Libye, une explosion majeure à Gaza pourrait forcer un exode de centaines de milliers de civils. Ni Israël ni l'Egypte ne les accepteraient. Ils seraient littéralement poussés à la mer.
Un quatrième élément dans ces évaluations pourrait être la possibilité que le Hamas détienne toujours des prisonniers militaires israéliens. Il y a l'histoire du citoyen israélo-éthiopien qui a traversé la bande de Gaza après la guerre et y a été détenu. Comme Richard Silverstein l’a rapporté, le Hamas a mis en place une affiche représentant des photos d’Oron Shaul, un soldat israélien, dont Israël affirme qu’il a été tué pendant la guerre. Oron Shaul est derrière les barreaux sur cette affiche, et le Hamas affirme qu'il est vivant. Steinmeyer lui-même a été pressenti pour négocier le retour des restes d’Oron Shaul et Hadar Goldin en Israël.
Aucun accord pour mettre fin au siège n’est encore sur la table ou même près d'être signé. Les négociations entre Tony Blair et Khaled Mechaal ont pris du temps pour deux raisons : il y a beaucoup de suspicion sur les motivations de Tony Blair en tant qu’intermédiaire. Son implication avec les Emiratis et les autorités égyptiennes n’est pas passée inaperçue dans la ville de Gaza.
Eviter le piège du Fatah
Plus concrètement, le Hamas ne veut pas être considéré comme marchant sur les traces du Fatah qui a reconnu l'Etat d'Israël. Le Hamas n'a pas à reconnaître Israël ni même à démanteler ses forces armées, afin de garantir une ouverture des frontières. Il doit simplement accepter et maintenir un cessez-le feu, ce qu'il fait déjà.
Mais il ne peut pas vendre la résistance à l'occupation israélienne pour des cargaisons de palettes de bananes et de pâtes. C’est à dire une vente à découvert. Les Palestiniens ont une mémoire collective douloureuse de deux décennies de négociations de paix, qui ont permis à 600 000 colons de s’installer sur le terrain en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
Cette fois, un cessez-le feu doit conduire à des progrès tangibles tant au niveau politique que physique pour les Palestiniens de Cisjordanie et également de la bande de Gaza. Si ce que nous voyons sont les premières étapes de la sortie de la clandestinité du Hamas, son enjeu stratégique est de parvenir à la libération de l'occupation pour tous les Palestiniens sans compromettre les principes fondateurs de ce conflit comme l'établissement du droit au retour. Ce n’est pas seulement un principe ou un lointain souvenir. Rappelez-vous juste d’où est venue la population de Gaza. C’est une population de réfugiés.
L'implication britannique dans les négociations de Doha pourrait encore se retourner contre David Cameron. Il est assis sur un rapport de Sir John Jenkins, qui conclut que les Frères musulmans ne sont pas une organisation terroriste. Cela n'a pas empêché les ministres du gouvernement de tenter de prendre ce rapport comme base pour déclarer que la Fraternité est une organisation extrémiste qui met en danger le tissu social de la Grande-Bretagne. Ils ont, après tout, des liens avec le Hamas.
David Cameron aura du mal à rendre publique une proposition qui fait valoir que l'influence des Frères musulmans en Grande-Bretagne doit être surveillée et réduite, si un ancien Premier ministre britannique parle - avec la complète connaissance et l’autorité de David Cameron - avec le leader du Hamas. La publication du rapport Jenkins pourrait avoir un impact négatif sur le dialogue que David Cameron essaie, par l’intermédiaire de Tony Blair, de favoriser avec le Hamas.
- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il était précédemment journaliste au Guardian, où il a occupé les positions de rédacteur en chef adjoint et contributeur principal de la rubrique Actualités internationales, éditeur de la rubrique Affaires européennes, chef du bureau de Moscou, correspondant en Europe et correspondant en Irlande. Avant The Guardian, David Hearst était correspondant pour la rubrique Education au journal The Scotsman.
Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : L’émissaire du Quartet pour le Proche-Orient Tony Blair (2ème à partir de la droite) rend visite à une école des Nations unies abritant des Palestiniens dont les maisons ont été détruites par ce qu'ils disent être un bombardement israélien pendant la guerre de cinquante jours de l'été dernier, dans la ville de Gaza, le 15 février 2015 (AFP)
Traduction de l’anglais (original) par Emmanuelle Boulangé.
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