Qatar Ban : le pyromane Trump / le pompier Macron
Mercredi 14 juin, au cours de sa visite au Maroc, l'Élysée a indiqué que le président Emmanuel Macron recevrait séparément l'émir du Qatar et le prince héritier d'Abou Dabi, en vue de faire baisser les tensions dans la région.
L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn ont effectivement décrété un blocus à l'égard de l'émirat du Qatar, lui reprochant de soutenir le terrorisme. Les tensions sont très fortes et une dégradation de la situation dans la région serait extrêmement négative, non seulement pour les pays concernés mais également pour le reste du monde, du fait de l'importance des liens entretenus avec ces pays.
Le blocus est une décision très lourde, bien plus importante encore que la rupture des relations diplomatiques, et cela faisait très longtemps qu'une telle sentence n'avait pas été prononcée en relations internationales.
Ce que cachent les accusations de soutien au terrorisme
Quelle est l'origine du conflit entre l'Arabie saoudite et le Qatar ? Paradoxalement, ce qui les oppose est le fait qu’ils soient tous deux des pays sunnites et wahhabites. Le petit émirat a toujours voulu se distinguer de son voisin plus grand et plus puissant, il a donc cultivé une politique différente pour exister sur la scène internationale. Ainsi, depuis plus de vingt ans, l’émirat multiplie les initiatives pour exister face aux Saoudiens, qui le vivent comme un défi puisqu’ils considèrent parfois le Qatar comme une simple extension de leur royaume.
Depuis plus de vingt ans, l’émirat multiplie les initiatives pour exister face aux Saoudiens, qui le vivent comme un défi puisqu’ils considèrent parfois le Qatar comme une simple extension de leur royaume
Dans cet esprit, le Qatar a lancé la chaîne Al Jazeera, qui agace les monarchies du golfe. L’émirat a également soutenu les Printemps arabes, alors que les monarchies du Golfe y étaient opposées. Le Qatar soutient aussi les Frères musulmans, tandis qu’aux yeux du royaume saoudien, l'islam politique est une aberration, voire une menace à combattre. Enfin, les Saoudiens reprochent aux Qataris d'entretenir de bonnes relations avec l’Iran, alors qu’eux voient dans Téhéran une menace existentielle. Le Qatar a effectivement de bonnes relations de voisinage, entre autres raisons parce qu'il partage un gigantesque champ de gaz naturel avec l’Iran ; mais c'est également là aussi une façon de se distinguer de l’Arabie saoudite.
Les accusations de soutien au terrorisme sont très graves et très largement exagérées. Les Frères musulmans sont un mouvement politique que l'on peut éventuellement combattre politiquement mais ce n'est en aucun cas un mouvement terroriste. Quant à l’Iran, bien que l’on puisse avoir des différends sur la nature du régime, il est faux de dire que Téhéran soutient le terrorisme. En réalité, ces accusations de terrorisme ont pour but de disqualifier les Qataris.
Donald Trump, l’incendiaire
Pour expliquer cette crise, l’élément le plus récent reste la visite de Donald Trump en Arabie saoudite. Les Saoudiens étaient très critiques à l'égard du président Barack Obama pour trois raisons majeures. Tout d’abord, ils reprochaient à Obama d'avoir lâché très rapidement Hosni Moubarak en Égypte, sapant de la sorte la confiance des Saoudiens dans la garantie de sécurité américaine. La monarchie estimait notamment que le pacte du Quincy de 1945 – selon lequel les Américains, en échange de l'accès au pétrole saoudien abondant et bon marché, garantissaient la sécurité du régime – était remis en cause par le fait qu'un allié aussi solide et docile que Moubarak ait été abandonné si rapidement par Washington.
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Deuxième point, la découverte importante de gisements de gaz de schiste et de pétrole aux États-Unis rendait ces derniers moins dépendants des matières premières énergétiques saoudiennes, remettant donc encore en question le pacte du Quincy.
Troisième raison, et non des moindres, l'accord sur le nucléaire iranien et la réconciliation qu'Obama a entamé avec l’Iran était insupportable pour les Saoudiens.
Les Saoudiens ont été suffisamment rassurés et confortés par Donald Trump pour se lancer dans cette politique relativement agressive à l'égard du Qatar
Dès lors, les Saoudiens s'étaient réjouis de l’arrivée de Donald Trump car ils connaissaient l'aversion du nouveau président à l'égard de l’Iran. Trump a effectué sa première visite bilatérale en Arabie saoudite, ce qui peut paraître curieux car ordinairement, la première visite bilatérale d'un président américain a lieu soit au Canada, soit au Mexique. À cette occasion, Trump a signé d'importants contrats, dont 110 milliards de contrats d'armements, relançant ainsi les tensions et la course aux armements dans la région. Les Saoudiens ont été suffisamment rassurés et confortés pour se lancer dans cette politique relativement agressive à l'égard du Qatar, ainsi que pour décider ce blocus.
Le rapprochement qatari-iranien : une prophétie auto-réalisatrice
Le problème est que cette politique ne peut produire que des perdants, pas de gagnants. Il est en effet peu probable que le Qatar change complètement de position et cède aux injonctions saoudiennes, car il perdrait alors son indépendance. Le risque serait plutôt de pousser davantage les Qataris dans les bras iraniens. En agissant de la sorte, les Saoudiens créent donc une prophétie auto-réalisatrice : craignant les liens entre le Qatar et l’Iran, ils poussent un peu plus l’émirat, s'il veut continuer à exister, à se rapprocher de Téhéran.
Entre parenthèses, ces événements montrent que la thèse souvent répandue selon laquelle le clivage majeur dans la région résiderait dans l’opposition sunnites versus chiites n'est pas aussi exacte. Le Qatar et l'Arabie saoudite sont en effet tous deux non seulement sunnites mais également wahhabites. L’émirat a de bonnes relations avec Téhéran et est soutenu non seulement par le Koweït et Oman, mais également par la Turquie. On voit donc deux blocs pouvant éventuellement se constituer, ce qui serait très dangereux. Une fois encore, ces profondes divisions montrent bien que l'unité arabe si souvent évoquée n’est qu’un mythe.
Une fois encore, ces profondes divisions montrent bien que l'unité arabe si souvent évoquée n’est qu’un mythe
Il est d'une importance capitale, non seulement pour les pays de la région mais pour l'ensemble du monde, que les tensions n’escaladent pas et, surtout, qu’elles diminuent. Pour cela, le blocus doit être suspendu et un accord doit voir le jour entre les Saoudiens, les Émiratis et les Qataris, afin que chacun puisse sortir la tête haute.
En ce sens, l'initiative du président Macron de servir d'intermédiaire est excellente – Oman pourrait également jouer ce rôle, de même que le secrétaire général de l'ONU – car au final, lorsqu’une telle opposition existe entre des pays, ils ne sont plus en mesure de se parler directement. Ce serait donc plus qu’honorable pour la France que de tenter de jouer les messieurs de bon office, certes sans avoir la certitude d'y parvenir, mais faisant au moins tous les efforts possibles. On voit là encore une différence dans cette affaire : Donald Trump a été l'incendiaire, tandis qu'Emmanuel Macron se propose à jouer le pompier.
- Pascal Boniface est directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et enseignant à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8, France. Il a écrit ou dirigé la publication d’une cinquantaine d’ouvrages ayant pour thème les relations internationales, les questions nucléaires et de désarmement, les rapports de force entre les puissances, la politique étrangère française, l’impact du sport dans les relations internationales, le conflit du Proche-Orient et ses répercussions en France.
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Photo : (de droite à gauche) le roi Abdallah II de Jordanie, le roi Salmane d’Arabie saoudite, le président américain Donald Trump, le prince héritier d'Abou Dabi Mohammed ben Zayed al-Nahyane et l’émir du Qatar Cheikh Tamim ben Hamad al-Thani posent pour une photo lors du Sommet arabo-islamo-américain à Riyad, Arabie saoudite, le 21 mai 2017 (Reuters).
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