Quand les Saoudiens apprendront-ils que Trump est toxique ?
Si on ne l’a toujours pas compris, c’est à désespérer : Donald Trump présente un plus grand danger pour ses alliés que pour ses ennemis. Et il risque de faire perdre à l'Amérique son statut de puissance mondiale.
En 48 heures riches en événements, il a menacé de se retirer de l’OTAN (en menaçant les dirigeants de l’organisation, s’ils n’atteignaient pas leurs objectifs de dépenses de 2 % d’ici à janvier, de « prendre les mesures qui s’imposent »), il a dit à la chancelière allemande Angela Merkel, qui a grandi en Allemagne de l’Est, qu’elle était « captive de la Russie » (en réalité, le gaz russe ne couvre que 9 % des besoins de l'Allemagne), et il a poignardé dans le dos le Premier ministre britannique, Theresa May, en prédisant dans The Sun que l’accord sur le Brexit, qui divise son cabinet et son parti, est voué à l’échec, et que son ennemi juré, Boris Johnson, ferait un bon Premier ministre.
À lui tout seul, Trump fait un excellent travail pour saboter l’Amérique
Quelques heures plus tard, lors d’une conférence de presse, il a taxé de « fake news » ce qui a été écrit dans le journal, tout en affirmant que les relations entre les États-Unis et le Royaume-Uni sont « de haut niveau et uniques ».
Avec Trump aux manettes, nul besoin d’une démonstration.
Ne vous méprenez pas. Je ne suis pas fan des institutions dont dépend l’Amérique. Je ne soutiens pas l’OTAN, dont l’expansion orientale constitue le principal facteur à l’origine de l’émergence d’une Russie agressive et nationaliste. Je suis encore moins favorable à une zone euro dominée par l’Allemagne, dont la réaction par l’austérité à la crise bancaire de 2008 a dévasté des pans importants des économies du sud de l’Europe.
Les dirigeants du Golfe ont parié qu’ils pourraient acheter les services d’un tel homme. Leurs efforts pour s’immiscer, avec leurs plans, dans la tête de Trump et de son gendre, Jared Kushner, en essayant d’influencer qui il embauche et qui il licencie, sont désormais de notoriété publique.
Grâce aux reportages successifs de Middle East Eye, du New York Times, du New Yorker, de la BBC, du Washington Post et d’Associated Press, nous savons maintenant que Tom Barrack, l’ami milliardaire de Trump, a proposé d’échanger avec l’ambassadeur des Émiratis à Washington, Yousef al-Otaiba, des informations internes sur les nominations aux plus hauts postes du cabinet à Washington ; que les Émiratis ont réussi à faire pression pour obtenir le limogeage de Rex Tillerson de son poste de secrétaire d’État ; et que les responsables israéliens, saoudiens et émiratis ont poussé Trump à conclure un marché avec Poutine : négocier la présence de l’Iran en Syrie en échange de la levée des sanctions imposées à la Russie par rapport à l’Ukraine.
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Toutes ces transactions ont été facilitées par de substantielles sommes d’argent, principalement par des contrats d’armement. Toutefois, Trump en veut toujours plus. Insatiable, il en a toujours redemandé : au sujet de la Syrie, et lors de sa dernière requête humiliante à l’Arabie saoudite d’augmenter sa production pétrolière.
Trump n’a que mépris envers ses donateurs. « Sans les États-Unis, ils ne seraient rien. Ils ne tiendraient pas une semaine. C’est nous qui les protégeons. Ils doivent maintenant mettre la main à la poche pour payer la facture des récents développements », a-t-il déclaré au président français Emmanuel Macron, au sujet de l’Arabie saoudite.
Objectifs communs
Il n’est pas homme à récompenser la loyauté, mais plutôt du genre à pousser ses plus proches alliés sous les roues d’un autobus : d’abord, son ancien conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn ; maintenant son ancien avocat, Michael Cohen, qui fait l'objet d’une enquête criminelle pour fraude bancaire et fiscale présumée, et violation des règles sur le financement des campagnes électorales. M. Cohen a conclu une entente de non-divulgation avec Stormy Daniels, en lui octroyant un paiement de 130 000 dollars pour couvrir sa présumée affaire avec Trump. La Maison-Blanche a nié l’existence de cette liaison.
Cohen, en revanche, a enfin compris qui était Trump, lui qui a déclaré : « Je me refuse à jouer le rôle du punching-ball pour faciliter la stratégie de défense de qui que ce soit. Je ne suis pas l’un des méchants dans cette histoire, et je ne laisserai personne oser me faire jouer ce rôle ».
Il est clair que toutes les puissances étrangères qui ont misé sur Trump défendaient des intérêts dont le président américain était la clé
Il est clair comme de l’eau de roche, par ailleurs, que toutes les puissances étrangères qui ont misé sur Trump, que ce soit pendant sa campagne électorale ou par la suite, défendaient des intérêts dont le président américain était la clé.
Estimant, à juste titre, que l’Amérique était une puissance en repli, ils ont saisi l’occasion de combler le vide et tenter de devenir eux-mêmes la puissance régionale dominante.
La guerre au Yémen, le siège du Qatar, « l’accord du siècle » qui imposera un règlement aux Palestiniens au mépris de certains de leurs droits fondamentaux internationalement reconnus, et enfin une guerre contre l’Iran : tout cela s’inscrit dans la même stratégie, conçue et mise en œuvre par le même groupe de personnalités – en Arabie saoudite, aux Émirats et en Israël.
Quand j’ai écrit il y a quatre ans que l’attaque d’Israël sur Gaza était commanditée par le roi saoudien, l’ambassadeur saoudien au Royaume-Uni, le prince Mohammed ben Nawaf, a répondu en personne sur Al-Arabiya :
« On peine à croire que de tels mensonges sans fondement puissent être proférés par quelqu’un qui se prétend rédacteur en chef, quel qu’il soit », a écrit le prince.
Aujourd’hui, les Saoudiens ne tentent même pas de nier leur relation sécuritaire avec Israël, ou leur implication dans un plan qui nie clairement et explicitement la légitimité même des Palestiniens, de Jérusalem-Est comme capitale d’un État palestinien, et de l’exercice, même symbolique, du droit au retour des réfugiés – deux exigences internationalement pourtant reconnues.
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« Soyez confiants », écrivait l’ambassadeur en 2014. « Nous, le peuple et le gouvernement du royaume d’Arabie saoudite, ne les abandonnerons jamais au grand jamais ; jamais nous n’agirons pour leur nuire ; nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider à faire aboutir leurs revendications légitimes d’avoir une patrie bien à eux et de voir les terres dont ils ont été illégalement spoliés leur être restituées ».
Eh bien, c’est exactement la promesse que le roi Salmane et son fils, Mohammed, sont en train de trahir.
Après avoir ébranlé l’OTAN, insulté Merkel et mis des bâtons dans les roues du plan Brexit de May, Trump s’est rendu à Helsinki pour rencontrer Vladimir Poutine.
Cette rencontre a placé Poutine dans une situation délicieusement ironique. Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, le président de la Fédération de Russie a dû se faire violence pour serrer la main du président des États-Unis d’égal à égal, sans y voir un interlocuteur à tancer ou à qui faire la morale.
La roue de la fortune a tourné. Après tout, il doit exister au ciel un dieu orthodoxe russe, a dû se réjouir Poutine.
Pour le Moyen-Orient, la leçon à tirer à l’égard de Trump est évidente. Vous aurez beau le payer avec tout l’or du monde, il vous pressera comme un citron pour parvenir à ses fins et vous jettera à la première occasion. Merkel l’a compris. May aussi : avec un allié pareil, mieux vaut rester sur ses gardes.
- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, il était correspondant pour l’éducation au sein du journal The Scotsman.
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Photo : Londres, Parliament Square, le 13 juillet 2018 : des militants gonflent un ballon géant représentant le président américain Donald Trump, lors d’une manifestation contre la visite de Trump au Royaume-Uni (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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