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Que va-t-il arriver aux enfants d’Alep et de Syrie ?

Après quatre années de guerre à Alep, les dégâts psychologiques subis par les plus fragiles sont indescriptibles

L’Aïd al-Fitr, la fête religieuse qui marque la fin du mois de jeûne du Ramadan, est censée être une occasion joyeuse, surtout pour les enfants qui reçoivent habituellement de nouveaux vêtements, des jouets, des jeux et de l’argent de poche.

Mais pas pour les enfants d’Alep, dont un grand nombre ont déjà vécu quatre Aïds en temps de guerre et ont passé celle-ci à transporter des bidons d’eau depuis des puits jusqu’à leur maison. L’approvisionnement en eau et en électricité dans la ville est interrompu depuis trois semaines, et la seule façon d’obtenir de l’eau est de faire la queue devant les puits communs dans la chaleur écrasante de l’été – un travail qui incombe généralement aux plus jeunes, les adultes étant exténués par leur jeûne rituel. Au lieu de profiter des vacances scolaires pour jouer et s’amuser, c’est ainsi que de nombreux enfants d’Alep ont jusqu’à présent passé leur été. Mais ces enfants-là ont de la chance ; eux, au moins, ont encore des maisons et des écoles où aller. Ce n’est pas le cas de beaucoup d’autres.

Les enfants démunis qui vivent dans les rues d’Alep offrent un spectacle bouleversant. Beaucoup d’entre eux sont orphelins, certains sont si jeunes qu’ils ne savent pas encore parler, la plupart n’ont aucun document d’identité. Crasseux, nu-pieds et vêtus de guenilles, on peut les voir en train de dormir sur le trottoir, dans les parcs ou près des conduits d’aération des générateurs lorsque les nuits sont froides. Avant la guerre, un tel phénomène était inconnu ; maintenant, il s’agit simplement d’une autre facette de la tragédie qui frappe les habitants de cette ville dévastée, comme les bombardements constants et la mort qui fauche au hasard.

Ces enfants offrent l’une des images les plus frappantes de ce que fait la guerre à une société, de la manière dont elle lui vole peu à peu son humanité, jusqu’à ce qu’en disparaissent les derniers vestiges. Ici, la crise humanitaire semble aller seulement de mal en pis. Il n’y a aucune accalmie et les associations humanitaires fonctionnent aux limites de leur capacité, s’en sortant difficilement.

Les orphelins de l’est

Gregory est bénévole pour une église d’Azizeieh qui se trouve près d’un petit parc où tentent de survivre certains de ces enfants. Il explique à MEE : « Nous leur donnons de la nourriture et des habits, mais nous ne pouvons les héberger. Il ne nous reste plus de place, tout ce qui est disponible est pris par les familles déplacées fuyant les quartiers proches de la ligne de front. Ces enfants sont tout seuls et n’ont aucun document. Nous ignorons qui ils sont. Certains ne savent même pas parler, et d’autres ont seulement de vagues souvenirs de l’endroit d’où ils viennent. Nous supposons que beaucoup d’entre eux sont des orphelins originaires de l’est de la ville, dont les parents ont été tués dans les bombardements et dont les proches n’ont pas pu s’occuper. On nous a rapporté de nombreux cas d’orphelins mis dans un bus avec juste les vêtements qu’ils portaient sur eux et un jouet, puis envoyés dans d’autres villes plus sûres avec la consigne d’aller dans un parc, d’y rester et de demander de l’aide. »

Ce qui est lamentable, c’est que c’est aux habitants, aux associations caritatives et aux ONG humanitaires d’aider ces enfants. Le gouvernement ne fait pratiquement rien, sauf pour ceux dont les parents sont morts en servant l’armée. Toutes les infrastructures existantes, y compris les orphelinats et les hôpitaux pédiatriques, ont été soit détruits, soit gravement endommagés, soit convertis pour accueillir des familles déplacées. Il ne reste rien pour s’occuper du problème des jeunes orphelins de Syrie.

De toutes les horreurs et les tragédies indicibles de la guerre, la souffrance des enfants est la plus poignante. Ce sont des êtres véritablement innocents qui paient pour les péchés des autres. Ce sont les victimes de quelque chose qui dépasse de loin leur entendement ou leur imagination. Désormais, les premiers mots des tout-petits, outre « maman » et « papa », sont « boom boom ».

Pire encore est l’usage des enfants pour les combats directs ou dans des rôles d’aide aux combats, une pratique assez répandue parmi les différents groupes rebelles.

Les enfants soldats de l’EI

Le pire des coupables est l’État islamique (EI), qui recrute activement et entraîne au combat des centaines d’enfants, se servant même de certains d’entre eux pour des attentats-suicides ou des décapitations. On apprend à ces enfants la violence aveugle ; ils deviennent des drones humains utilisés à des fins militaires dans ce qui est sûrement le crime le plus répréhensible que l’homme ait jamais commis en temps de guerre. On estime que cinquante enfants de moins de 16 ans ont été tués cette année en combattant pour l’EI en Syrie.

Mais la cause principale de décès parmi les enfants syriens est la campagne de bombardements des villes et villages rebelles menée par les forces gouvernementales à l’aide de ce qu’on appelle les bombes barils, de lourdes charges de munitions larguées sans guidage depuis très haut par hélicoptère. Ces frappes sont aveugles par nature et tuent beaucoup plus de civils que de rebelles dans les quartiers résidentiels souvent densément peuplés où elles atterrissent. Ne serait-ce qu’à l’est de la ville d’Alep, des milliers de personnes ont été tuées de cette manière, dont une proportion significative d’enfants, certains alors qu’ils étaient chez eux en train de dormir.

Les enfants, qui forment la frange la plus vulnérable de la population, souffrent encore plus de la dévastation qui a détruit de nombreuses parties de la ville et contraint des millions d’habitants à fuir. Nombre d’entre eux n’ont plus accès à l’éducation dans les camps de réfugiés misérables où ils sont parqués, alors qu’avant le conflit, l’éducation était gratuite et obligatoire. Au lieu de ça, ils sont maintenant obligés de travailler – ou de mendier – pour aider leurs familles à survivre.

On estime à 4 millions le nombre de réfugiés syriens vivant dans les pays limitrophes et les ressources sont tout simplement insuffisantes pour faire face à leurs besoins. Pire encore, dans de nombreux cas, l’aide est en train d’être réduite. Coincés dans les limbes, sans espoir ni futur, ils attendent la fin de la guerre qui ne semble pourtant pas s’annoncer, du moins pas à temps pour sauver le peu qu’il reste de leur enfance et de leur innocence.

Le futur de la Syrie – ses enfants – est brisé. Même si la guerre devait prendre fin demain, l’étendue et la permanence des cicatrices et des traumatismes psychologiques subis par la population la plus fragile sont indescriptibles. Comment réhabilite-t-on un enfant qui n’a connu que la tuerie et la guerre ? Comment lui apprend-on à s’armer d’un livre plutôt que d’un fusil ? Ou de ne pas craindre la mort à chaque bruit sourd ? Comment lui apprend-on qu’il y a autre chose dans la vie que le mal et la haine ? Qu’il y a l’espoir, et l’amour aussi ? Voici sans conteste les défis les plus grands qu’il faudra affronter à la fin de la guerre en Syrie.

- Edward Dark est le journaliste de MEE basé à Alep et écrit sous un pseudonyme.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un garçon prélève de l’eau d’un camion-citerne dans le quartier de Mashhad, à Alep, le 16 juillet 2015. Alors que les zones d’Alep contrôlées par l’opposition souffrent de coupures d’électricité, le quartier de Mashhad connaît en outre une coupure d’eau depuis au moins quinze jours (AA).

Traduction de l’anglais (original).

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