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Ramtane Lamamra pressenti comme émissaire de l’ONU en Libye : une idée folle

Pour remplacer Ghassan Salamé, officiellement démissionnaire pour raison de santé, le nom du diplomate algérien Ramtane Lamamra circule depuis quelques semaines. Ce choix arrange les affaires de puissances extérieures, pas celles des populations concernées
Depuis quelques semaines, le nom de Ramtane Lamamra, ex-ministre algérien des Affaires étrangères et ex-commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine circule comme favori pour remplace Ghassan Salamé (AFP)

L’universitaire libanais Ghassan Salamé était le sixième envoyé spécial des Nations unies depuis 2011. Au début du mois de mars, il a fini par démissionner à la fois pour préserver sa santé et à cause de la mauvaise volonté des acteurs internationaux.

Il ne s’agit pas d’un échec personnel de Salamé, mais d’un échec collectif et institutionnel : celui des Nations unies. Il est impossible d’imposer la paix à des belligérants déterminés – en l’occurrence notamment le Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj et l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Haftar – et, surtout, à leurs soutiens internationaux tout aussi déterminés.

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Rappelons que les deux principaux acteurs libyens qui s’affrontent – auxquels il faut ajouter plusieurs milices qui participent au conflit – sont soutenus par deux axes géopolitiques moyen-orientaux : le Gouvernement d’union nationale (GNA), reconnu internationalement, est notamment soutenu par l’axe Ankara-Doha, tandis que le maréchal Haftar est soutenu par l’axe Abou Dabi-Riyad-Le Caire. Il est plus discrètement soutenu par Paris et par Moscou.

La Libye est aujourd’hui le théâtre d’un conflit international où soldats, miliciens et mercenaires sont envoyés par des puissances extérieures : d’un côté, les mercenaires du groupe Wagner sont soupçonnés de combattre aux côtés de l’armée de Haftar ; de l’autre, la Turquie est accusée d’utiliser à la fois ses propres militaires et des combattants qu’elle parraine en Syrie.

Alors qu’une diplomate américaine assure l’intérim en attendant la nomination du successeur de Salamé (Stephanie William), la situation demeure belliqueuse en Libye.

Sur les fronts de Tripoli, les combats se poursuivent indépendamment de la pandémie qui secoue le monde actuellement et qui n’épargne pas la Libye. Haftar semble déterminé à poursuivre son offensive en Tripolitaine et Sarraj a décidé de lancer l’opération « tempête de la paix » contre les forces du maréchal.

La diplomatie onusienne n’a pas grand-chose à apporter

Sans vouloir minimiser l’importance des acteurs libyens, nous assistons à bien des égards à une guerre entre Ankara et Abou Dabi.

La Turquie n’hésite pas à promouvoir l’islam politique (Sarraj est accusé de complaisance à l’égard de milices islamistes), là où les Émirats arabes unis considèrent les Frères musulmans comme une menace prioritaire et misent sur des pouvoirs armés autoritaires (en Égypte comme en Libye) pour les évincer.

En Syrie aussi, la convergence tacite entre les deux pays au début du conflit (contre Bachar al-Assad) s’est peu à peu transformée en rivalité : Abou Dabi et Damas semblent désormais sur la même longueur d’onde.

Dans ces conditions, la diplomatie onusienne n’a pas grand-chose à apporter. Et il suffit de s’intéresser aux bilans des médiateurs en Syrie et au Yémen pour s’en convaincre. Seul un dialogue sérieux incluant les parrains des belligérants peut permettre d’obtenir quelques résultats, comme l’a montré le dialogue russo-turc en Syrie. Nous avons pu voir que sa répétition en Libye était délicate.

Le nom du septième médiateur en Libye n’est donc pas très important. Mais de tous les candidats possibles et imaginables, Ramtane Lamamra est assurément l’un des pires

Le nom du septième médiateur en Libye n’est donc pas très important. Mais de tous les candidats possibles et imaginables, Ramtane Lamamra est assurément l’un des pires. Depuis quelques semaines, son nom circule comme celui du favori, de l’homme de la situation.

En tant qu’ancien commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine (2008-2013), il correspond assez bien au profil souhaité par cette dernière. Concernant les éventuelles objections marocaines, elles pourraient être apaisées par le départ de l’Algérien Smaïl Chergui, justement commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine. Il s’agit pour l’instant d’une simple rumeur.

Lamamra jouit aussi d’un réseau international certain. Ses relations avec Paris sont connues pour être bonnes. Il a d’ailleurs rencontré Emmanuel Macron dès février 2017 (trois mois avant son élection) quand il était lui-même encore le ministre des Affaires étrangères d’Abdelaziz Bouteflika.

Un cadeau qu’il ne mérite pas

Plus généralement, on imagine mal la nomination de Lamamra à ce poste sans l’accord des puissances proches de Haftar, qu’il s’agisse du Caire, de Paris ou d’Abou Dabi, et ce malgré les tensions qui caractérisaient les relations entre Haftar et le pouvoir algérien. N’oublions pas que ce dernier demeure proche des Émirats.

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Cela dit, Lamamra reste l’homme du pouvoir algérien. Il a été pendant quatre ans le ministre d’un président sans vie sans broncher. On n’a pas pensé à un diplomate compétent et impartial, mais à un homme condamné à être plus malléable que Salamé. Il suffit de se souvenir de sa dernière mission « diplomatique » pour savoir à qui on a vraiment affaire.

Il y a un an, Lamamra – propulsé vice-Premier ministre pendant quelques jours – a effectué une tournée internationale pour défendre la pérennité d’un régime clandestin auprès des capitales européennes (à défaut de convaincre les Algériens). Et si Bouteflika a été écarté, le pouvoir algérien (plus clandestin que jamais) n’a pas changé. Choisir Lamamra, c’est lui faire un cadeau qu’il ne mérite pas.

Pour tenter de se légitimer, la cryptocratie algérienne mise méthodiquement sur tout ce qui n’est pas politique (des experts en ersatz de Constitution, des militaires, des diplomates) et l’illusion d’un rôle régional pourrait faire ses affaires.

Pendant qu’il condamne et emprisonne arbitrairement des opposants et des journalistes en pleine crise sanitaire (alors que l’ONU s’inquiète des risques de contamination dans les prisons), lui offrir un rôle en Libye – fût-il indirect et dérisoire – serait un message cruel adressé au peuple algérien.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Adlene Mohammedi est docteur en géopolitique et notamment spécialiste de la politique arabe de la Russie postsoviétique. Il dirige le centre d’études stratégiques AESMA, ainsi qu’Araprism, association et site dédiés au monde arabe
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