Soixante-sept ans après la Nabka : ils tiennent toujours fermement à leurs rêves
Il y a soixante-sept ans, les Palestiniens se sont réveillés face à une tragédie qui a ravagé leur cœur et a changé leur vie à jamais. Plus de 800 000 personnes, soit environ la moitié de la population de la Palestine sous mandat, ont été expulsées de leurs maisons et des terres de leurs ancêtres. L'horreur a été gravée sur tous les visages, un langage et une réalité qu'ils partagent depuis des décennies – et toujours à ce jour.
Dispersés dans tout le Moyen-Orient et empêchés par Israël de rentrer chez eux, de dignes propriétaires terriens, transformés en réfugiés en l’espace d’une nuit, n’avaient pas besoin de se demander ce qu’il était advenu de leur foyer. Les corps et les esprits brisés de centaines de milliers de Palestiniens contraints à l'exil ont répondu à leur question. La Palestine n’est plus.
Aujourd'hui, près de sept décennies après le nettoyage ethnique, certains de ces Palestiniens nés en Palestine sont encore en vie et se souviennent encore de l'horreur de 1948, de la dépossession et de ces jours misérables. Les générations qui sont nées après la perte de leur patrie - que ce soit sous occupation militaire israélienne ou en exil - et qui n'ont pas été témoins des expériences tragiques vécues par les parents et grands-parents, conservent encore leur histoire. Dans leurs cœurs et leurs esprits, la mémoire de la Nakba (catastrophe) est aussi forte, présente et fraîche que pour ceux qui en furent les témoins, leurs espoirs et leurs rêves refusent de disparaître malgré les vents féroces de la guerre et du temps.
Incapables de retourner dans leur foyer, qui est devenue l'Israël d'aujourd'hui, les réfugiés palestiniens ont été obligés de vivre dans une grande incertitude quant à leur avenir dans les cinquante-neuf camps de réfugiés établis par les Nations unies. Là, ils attendaient l'action de la communauté internationale pour faire pression sur Israël et mettre en œuvre le droit au retour. Assis dans leurs tentes, hiver après hiver, le seul espoir pour eux à l'époque était celui offert par l'article 11 de la résolution 194 de l'ONU de 1948, selon laquelle « les réfugiés qui souhaitent retourner dans leurs foyers et vivre en paix avec leurs voisins devraient être autorisés à le faire le plus tôt possible ». Soixante-sept ans après ce rendez-vous manqué, des millions de réfugiés palestiniens ne sont toujours pas autorisés à rentrer chez eux et vivent toujours une vie d’attente perpétuelle, endurant de nombreuses difficultés dans leur long exil.
Pour comprendre la situation des réfugiés palestiniens il suffit de jeter un coup d’œil au camps de réfugiés de Yarmouk en Syrie, aux réfugiés enfermés dans la prison de Gaza, à ceux qui vivent derrière le mur d'apartheid en Cisjordanie, aux Palestiniens qui sont actuellement en danger au Yémen et à ceux qui risquent leur vie en Méditerranée, tentant ces voyages de la mort pour échapper à l'insécurité et mettre leurs familles à l’abri. Ils racontent la même histoire, ancienne et nouvelle, de la poursuite de la Nakba, dans la souffrance constante et sans fin.
Ces images horribles et ces histoires catastrophiques de réfugiés palestiniens continuent à être médiatisées sous différentes formes, ajoutant de sombres chapitres à l’histoire de la catastrophe dévastatrice de 1948. Mohammed Maddi, 36 ans, originaire de la bande de Gaza, est la dernière victime de la Nakba palestinienne en cours. Le jeune père est décédé le 4 mai à l'hôpital Abou Youssef al-Najjar, dans le camp de réfugiés de Rafah. Il avait attendu en vain pendant plus de six mois que le seul poste-frontière de Gaza avec l'Egypte s’ouvre. Lorsqu’il a perdu espoir, il a demandé un permis de voyager à travers Israël pour recevoir un traitement disponible seulement en Cisjordanie ou dans les hôpitaux jordaniens. Ce morceau de papier appelé permis, qui accorde la vie ou la mort, l'espoir ou le désespoir, n'a jamais été octroyé, malgré la gravité de l'état de Mohammed et l'aggravation de son état de santé. Les médecins de Gaza ont fait tout ce qu'ils pouvaient compte tenu des minces ressources de l'hôpital, des graves pénuries de médicaments et de produits médicaux résultant du blocus inhumain imposé par l'occupation israélienne, la plus longue de l'histoire de l’humanité. A la fin d'une bataille de neuf mois contre le cancer, Mohammed a succombé à un destin qu'il aurait pu éviter s'il n'avait pas vécu dans la bande de Gaza.
Vivant dans le désespoir et avec la crainte constante de perdre son fils à Gaza - où tout est incertain et les produits les plus basiques tels que l'électricité, le carburant et même l'eau ne sont pas disponibles la plupart de la journée - le père de Mohammed a envoyé un appel au monde. Dans une interview avec Al-Watan Voice, quelques heures avant la mort de son fils, il a fondu en larmes en demandant à l'intervieweur : « Mon fils est en train de mourir une centaine de fois par jour, chaque jour. Je veux qu’il vive pour ses enfants. Dites-moi où aller, s'il vous plaît. Les frontières sont fermées, les portes de la vie sont fermées, tout est fermé. Quelqu'un peut-il me dire où aller? Le monde, les Arabes, c’est injuste. Où est l'humanité ? ».
L’histoire tragique de Mohammed et les paroles de son père fournissent un exemple de ce que le déni et l'oppression signifient pour les réfugiés palestiniens. L'histoire résume les soixante-sept années de plaies ouvertes. C’est une Nakba permanente pour les Palestiniens vivant sous l'entreprise coloniale israélienne, ainsi que pour les Palestiniens dispersés loin de leur maison, pris au piège dans les zones de guerre, avec un présent suspendu, sans avenir, sans nulle part où aller, sans papiers, sans documents, sans alternatives, sans espoir.
L'histoire de Mohammed et les paroles de son père expriment aussi l'histoire d'un grand pays, doté d’une histoire et d’une culture riches, qui a été abandonné par l'humanité. Elles jettent la lumière sur ces personnes déterminées par leurs aspirations et une croyance inébranlable en leurs droits et en leur cause. Ces réfugiés sont résilients et tenaces malgré les horreurs qu’ils ont subies. Ils sont encore capables de remettre en question, de rationaliser et de chercher des alternatives. Ils sont encore capables de secouer le silence et de faire reconnaître leurs exigences, leur amour pour la vie, et de faire entendre leur angoisse. Leur histoire est celle de ces héros palestiniens à l’intérieur et à l’extérieur des hôpitaux de bande de Gaza, travaillant jour et nuit avec un demi salaire ou pas de salaire du tout.
Le récit sur les réfugiés est toujours associé à l'empathie, la pauvreté, l'arriération, l'impuissance et la violence. L'histoire des réfugiés palestiniens, cependant, va bien au-delà des interprétations décontextualisées de ce récit trop connu. La pauvreté et la violence se sont imposées sur les réfugiés palestiniens qui, en dépit de la situation insupportable, sont toujours considérés parmi les mieux instruits et les plus travailleurs du Moyen-Orient. Ils tiennent encore fermement à leurs rêves et revendiquent leurs droits.
A l’heure du 67e anniversaire de la Nakba, les nouvelles générations sont mieux informées de leurs droits, et prêtes à se battre pour les regagner. En outre, les réfugiés ont commencé à aborder publiquement la réalité que beaucoup d'entre eux partagent en privé : les Palestiniens sont effacés non seulement par Israël mais aussi par les pouvoirs et les systèmes qui ont soutenu la tragédie de 1948, lui permettant de continuer, incontestée. Ils sont encore davantage lésés par le silence des gouvernements complices.
Quand j’ai retrouvé ma grand-mère après l’agression israélienne barbare de l'été dernier à Gaza, elle nous a répété à moi et mes enfants Tarek, 14 ans, et Aziz, 6 ans, les mêmes mots qu'elle avait prononcés en 2012. Elle a parlé de notre village, Beit Daras, dont elle avait été expulsée en 1948. Elle a parlé de sa beauté, de sa fraîcheur, de l'eau bien sûr, de la terre, des fermes et des sycomores qu'elle aimait tendrement. Elle nous a également répété une fois de plus qu'elle n’était plus inquiète pour l'avenir qu'elle attendait depuis si longtemps. En nous regardant, elle nous a dit : « Pendant de nombreuses années, j’ai eu l’impression de marcher toute seule. Comme vous le savez, marcher seul n’est pas la façon la plus agréable de voyager. Maintenant, à cause de mon âge, je ne peux plus marcher, mais je ne suis plus seule. Je peux maintenant reposer en paix même si je ne suis pas encore à Beit Daras. Je sais maintenant que Beit Daras est dans votre cœur, et je sais aussi que vous n'êtes pas seuls dans votre voyage ».
- Ghada Ageel est professeure invitée au département de science politique de l’université d’Alberta (Edmonton, Canada), chercheuse indépendante et militant à la Faculty4Palestine-Alberta. Son nouveau livre Apartheid in Palestine: Hard Laws and Harder Experiences sortira bientôt aux presses de l’université d’Alberta, Canada.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : une Palestinienne brandit une clé symbolisant le droit au retour en amont des commémorations de la Nakba le 6 mai (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par Margaux Pastor.
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