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Sommets de La Mecque : l’Arabie saoudite exploite les lieux saints à des fins politiques

La précipitation avec laquelle le royaume a convoqué les musulmans à La Mecque pour discuter de questions hautement politiques expose la contradiction inhérente à sa récente campagne visant à interdire et criminaliser l’islamisme
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane visite la Grande Mosquée de La Mecque, en Arabie saoudite, le 12 février (AFP)

L’Arabie saoudite organise ces jours-ci trois conférences à La Mecque. Le roi Salmane présidera la 14e réunion ordinaire de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), un forum musulman créé sous le haut patronage du roi Fayçal dans les années 1960, tandis que deux réunions d’urgence auront lieu au Conseil de coopération du Golfe (CCG) et à la Ligue arabe, également à La Mecque.

Les discussions porteront sur les récentes attaques dans le Golfe, la question palestinienne, la solidarité islamique, les minorités musulmanes et d’autres questions brûlantes.

Les islamistes interdits

La précipitation avec laquelle le roi Salmane a convoqué les musulmans à la fin du Ramadan à La Mecque pour discuter de questions hautement politiques expose la contradiction inhérente à la récente campagne des autorités saoudiennes visant à interdire et criminaliser l’islamisme.

Les trois sommets ne visent pas à discuter de questions théologiques, mais à obtenir un soutien pour le roi d’Arabie saoudite au sujet de crises politiques graves, controversées et clivantes.

La volonté d’utiliser la signification religieuse de La Mecque pour marquer des buts politiques demeure une stratégie très appréciée des dirigeants saoudiens.

Le régime saoudien veut l’islamisme sans les islamistes, la plupart d’entre eux étant actuellement en prison. Le roi est le seul islamiste à avoir la liberté d’instrumentaliser La Mecque à des fins politiques

L’insertion de la politique à La Mecque et dans ses environs n’est rien d’autre qu’un islamisme total, le mouvement que le régime interdit mais qu’il est heureux de pratiquer à proximité d’un symbole si important pour tous les musulmans.

Cela suggère que le régime saoudien veut l’islamisme sans les islamistes, la plupart d’entre eux étant actuellement en prison. Le roi est le seul islamiste à avoir la liberté d’instrumentaliser La Mecque à des fins politiques.

Il va sans dire que La Mecque est non seulement un lieu de culte et de pèlerinage de premier plan, mais également un centre symbolique de très haute importance. Le contrôle saoudien sur ce lieu saint date de 1925, lorsque la région tomba entre les mains des troupes conquérantes saoudiennes et wahhabites.

Depuis, le régime saoudien a tenté tant bien que mal de bâtir sa légitimité sur les services essentiels qu’il offre aux pèlerins à La Mecque. Mais les musulmans de par le monde s’inquiètent à juste titre de savoir qui contrôle La Mecque, le site étant tributaire du pouvoir politique qui en gère l’accès à un moment donné.

L’importance de La Mecque

Malgré l’importance de La Mecque dans la légitimation du pouvoir saoudien – le roi est le Serviteur des Deux Saintes Mosquées depuis 1986, année de l’adoption du titre par le roi Fahd –, le régime insiste sur le fait que La Mecque est un lieu de culte et doit rester apolitique.

Des musulmans prient autour de la Kaaba, dans la Grande Mosquée de La Mecque, pendant le Ramadan, le 26 mai (Reuters)
Des musulmans prient autour de la Kaaba, dans la Grande Mosquée de La Mecque, pendant le Ramadan, le 26 mai (Reuters)

La politique y est complètement interdite et toute tentative d’utiliser cet espace ou l’occasion du pèlerinage pour diffuser un message politique est non seulement bannie, mais sévèrement punie.

Officiellement, l’Arabie saoudite considère qu’un tel comportement relèverait de l’islamisme, un mélange de religion et de politique désormais criminalisé et tenu responsable de tous les maux qui ont affligé le royaume au cours des quarante dernières années.

Le régime saoudien insiste sur le fait que La Mecque est un espace réservé à la religion. La Mecque devrait rester ouverte à la pratique d’un type d’islam axé sur le culte et les rituels qu’observent les musulmans qui se rendent à la Grande Mosquée pour l’Oumra (visite mineure) et le Hajj (pèlerinage).

Hélas, le régime saoudien ne respecte pas ce qu’il proscrit pour ses propres citoyens et les musulmans du monde entier. Personne n’utilise mieux La Mecque à des fins politiques que le régime saoudien et ses érudits religieux qui contrôlent le minbar, la chaire de La Mecque.

Les trois conférences qui ont lieu actuellement ne sont que la continuation de ces pratiques mêlant religion et politique dans l’enceinte même de la ville sainte.

Propagande saoudienne

Les imams successifs de la mosquée de La Mecque n’épargnent aucune occasion de louer, implorer et encenser les monarques saoudiens.

Ainsi, faire l’éloge du roi saoudien et s’attendre à ce que les autres musulmans disent « amen » n’est rien d’autre que de la propagande politique imposée aux musulmans, dont la majorité ne vient pas à La Mecque pour être bombardés de propagande saoudienne.

Faire l’éloge du roi saoudien et s’attendre à ce que les autres musulmans disent « amen » n’est rien d’autre que de la propagande politique imposée aux musulmans

Depuis la chaire, les imams de La Mecque sont également connus pour mettre en garde les Saoudiens et les autres musulmans contre toute activité définie comme de la politique en Arabie saoudite.

Cela peut aller d’une discussion politique parmi les pèlerins à des chants dénonçant des pays ou des dirigeants qui ont infligé des injustices aux musulmans, parmi lesquelles la question palestinienne, que le roi saoudien invite maintenant ses hôtes à discuter lors de ces conférences.

À La Mecque, toute personne qui soutient les Palestiniens ou les Ouïghours en Chine ou qui dénonce l’islamophobie et condamne les dirigeants qui contribuent à sa propagation est sévèrement punie. Il convient de ne discuter de ces questions qu’à huis clos avec le roi.

Les musulmans n’ont pas le droit d’exprimer leurs points de vue, où qu’ils se trouvent et certainement pas à La Mecque. Cela serait qualifié de dangereux islamisme, punissable d’un séjour prolongé en prison ou, pire, de la décapitation.

Des Iraniens manifestent contre le déploiement de navires de la marine américaine dans le golfe Persique le 2 août 1987 à La Mecque (AFP)
Des Iraniens manifestent contre le déploiement de navires de la marine américaine dans le golfe Persique le 2 août 1987 à La Mecque (AFP)

Ainsi, conformément aux discours religieux officiels du royaume, le dirigeant est au-dessus de toutes ces restrictions et peut mettre en pratique ce qu’il n’autorise pas les autres à faire.

Exclusion

Alors que le régime saoudien contrôle les personnes qui se rendent à la Mecque, les exilés et réfugiés saoudiens, en nombre croissant, ne figurent certainement pas sur la liste des visiteurs à venir. Dans le passé, le régime a refusé l’accès du lieu saint à certains pèlerins, les privant ainsi du droit de réaliser un pilier fondamental de l’islam, sans la réalisation duquel la foi d’un musulman ne saurait être complète.

Le régime a refusé l’accès du lieu saint à certains pèlerins, les privant ainsi du droit de réaliser un pilier fondamental de l’islam

Tout détracteur musulman du régime saoudien est jugé indésirable à La Mecque. Le cheikh tunisien Rached Ghannouchi, dirigeant du parti islamiste al-Nahda, en a fait les frais. En 2007-2008, l’ambassade saoudienne en Grande-Bretagne, où Ghannouchi vivait en exil, a refusé de lui accorder un visa pour effectuer le pèlerinage dans le royaume.

Un autre exemple est l’animosité historique envers les pèlerins iraniens qui ont refusé d’accepter l’interdiction de faire de la politique à La Mecque et ont fait l’objet de déportations et de traitements sévères lorsqu’ils ont scandé « Mort à l’Amérique » dans les années 1980.

Les pèlerins qataris, pour leur part, ont craint de se rendre à La Mecque après 2014 – ainsi qu’en 2017 suite au blocus imposé par les Saoudiens à l’émirat –, lorsque les relations entre leur pays et l’Arabie saoudite étaient au plus bas. Aujourd’hui, l’émir du Qatar, Hamad ben Khalifa al-Thani, a été invité par le roi, mais il a refusé de participer en personne aux sommets.

Le directeur général du Département iranien des affaires relatives à la paix et à la sécurité internationales, Mohammad-Reza Najafi, lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères islamiques et arabes, à Djeddah, le 30 mai (AFP)
Le directeur général du Département iranien des affaires relatives à la paix et à la sécurité internationales, Mohammad-Reza Najafi, lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères islamiques

Ces pratiques d’exclusion injustes ont poussé de nombreux dirigeants et activistes musulmans à ne pas exprimer publiquement leurs critiques vis-à-vis de la politique du régime saoudien de peur d’être placés sur la liste des personnes interdites à La Mecque. Leur refuser l’accès n’est rien d’autre qu’un acte politique injuste et empreint d’arrogance, pratiqué dans le lieu le plus saint de l’islam.

Constance dans l'échec

Ceux qui s’attendent à des résolutions sérieuses lors des trois sommets de La Mecque pourraient être déçus, car l’historique de ces réunions atteste d’une incapacité persistante à obtenir une once d’unité islamique sur des questions politiques graves.

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Bien entendu, il y aura des déclarations communes réitérant l’unité et la solidarité de l’oumma musulmane lors du sommet de l’OCI, et plus encore lors des réunions d’urgence.

Toute cette rhétorique sera dirigée contre l’Iran, considéré par l’Arabie saoudite comme le commanditaire de deux récentes attaques dans le Golfe.

Si l’on considère ces sommets comme une nouvelle tentative de l’Arabie saoudite visant à solliciter les musulmans du monde entier pour obtenir leur solidarité quant à son projet, limité mais persistant, de vaincre l’Iran, alors le résultat risque d’être un échec. Le monde musulman est – et a toujours été – en proie à des préoccupations internes et nationales et ne se précipitera pas pour soutenir les guerres saoudiennes.

Si l’objectif est de rechercher un soutien au mystérieux « accord du siècle » censé mettre fin à la cause palestinienne, cela pourrait également s’avérer difficile à un moment où les musulmans refusent de plus en plus de tels projets visant à éliminer l’une de leurs causes les plus importantes, une cause qui les occupe depuis plus d’un demi-siècle.

Personne pour remplacer les États-Unis

Tandis que la Ligue arabe est désormais moribonde, accablée par des dissensions internes, il faudrait un miracle pour réparer le fossé causé au sein du CCG par l’ostracisation du Qatar et les sanctions à son encontre, malgré l’invitation de l’émir à participer aux sommets à La Mecque.

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Ces trois conférences sont une grande fête de fin du Ramadan, peut-être une fête pré-Aïd pour des dirigeants dont le dernier souhait est d’être entraînés dans une guerre improbable dans le Golfe.

L’Arabie saoudite a peut-être été déçue par la récente déclaration de son patron Donald Trump, dans laquelle le président des États-Unis a exprimé son respect pour le peuple iranien et confirmé qu’il ne souhaitait pas un changement de régime en Iran, mais l’engagement de Téhéran à mettre fin aux programmes d’armes nucléaires.

Cela contraste nettement avec ses déclarations habituelles sur l’Arabie saoudite, qui rabaissent le roi et lui rappellent sans cesse que sans les États-Unis, le régime de Riyad s’effondrerait. L’appel adressé par l’Arabie saoudite à ses partenaires musulmans, arabes et du Golfe ne remplacera jamais un engagement des États-Unis à se tenir à ses côtés contre l’Iran.

- Madawi Al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

Madawi al-Rasheed is visiting professor at the Middle East Institute of the London School of Economics. She has written extensively on the Arabian Peninsula, Arab migration, globalisation, religious transnationalism and gender issues. You can follow her on Twitter: @MadawiDr
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