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Syrie : pourquoi Assad est-il toujours au pouvoir ?

Le régime n’aurait pas pu survivre sans le vaste soutien de sa propre population, et pas seulement parmi les minorités

Le conflit syrien est entré dans sa cinquième année et Bachar el-Assad est toujours au pouvoir, plus provocateur que jamais. En fait, il apparaît de plus en plus confiant après avoir essuyé le gros de la tempête. La perspective de son retrait ou de l’effondrement de son régime s’éloigne de plus en plus maintenant que la priorité des Etats-Unis est de vaincre le groupe Etat islamique (Daech), reléguant au second plan l’objectif d’un changement de régime en Syrie.

Alors, pourquoi tient-il si longtemps face à des obstacles apparemment insurmontables ? Pourquoi a-t-il été en mesure de résister aux grandes puissances mondiales, à des voisins hostiles à toutes les frontières et à des dizaines de milliers de combattants rebelles bien armés ? L’essor de Daech et de ses réseaux terroristes a certainement joué un rôle important en éloignant l’attention mondiale loin de son régime et en la concentrant sur la façon de contrer la grave menace que représente le groupe pour la sécurité mondiale.

La Russie, l’Iran et le Hezbollah

Le soutien politique, financier et militaire indéfectible des fervents alliés de Bachar el-Assad (la Russie, l’Iran et le Hezbollah) a également été un facteur important dans la stabilisation du contrôle de son régime sur le territoire. En fait, les forces du Hezbollah sur le terrain ont été décisives pour faire reculer les rebelles sur plusieurs fronts stratégiques et sécuriser les grands centres urbains qui sont tous encore entièrement ou partiellement sous le contrôle du régime. Cela, à l’exception de Raqqa qui est tombée aux mains de Daech après sa prise par les rebelles en 2013.

Outre ces deux facteurs importants, il en existe un troisième, crucial, qui est négligé ou minimisé la plupart du temps, car il ne correspond pas parfaitement à la rhétorique et au récit établis. Cela est particulièrement vrai chez les nations hostiles au régime syrien ou les grands organes de presse mondiaux. Le secret de la longévité du régime réside dans le soutien continu dont il jouit auprès de vastes pans de la population syrienne, bien que le soutien de nombreux Syriens soit motivé par la crainte que leur inspirent les alternatives.

La popularité d’Assad

Peu de gens savent qu’avant le soulèvement de 2011, Bachar el-Assad était un président véritablement populaire et jouissait d’un large soutien parmi la plupart des composantes de la société syrienne. Il pouvait même conduire lui-même sa voiture et se balader sur les marchés avec un minimum de sécurité visible, attirant souvent de grandes foules qui l’acclamaient. Contrairement à la plupart des autres dictatures, fabriquer ce genre de propagande n’était vraiment pas nécessaire en Syrie.

Mais l’opinion populaire s’est résolument retournée contre lui et son régime lorsque les premières manifestations inspirées du Printemps arabe ont commencé à se répandre à travers la Syrie et ont été violemment réprimées, engendrant la mort de manifestants abattus dans les rues. Le soutien au régime était alors au plus bas, seuls les loyalistes inconditionnels défendaient encore ce qui semblait être apparemment une cause perdue. Beaucoup de fonctionnaires et d’officiers de l’armée ont abandonné le navire en prévision de son naufrage imminent. Malgré ce qui a été claironné à l’époque par différentes capitales du monde entier et en dépit du torrent sans fin de spéculations des médias et des « experts » pour savoir si ce serait ce mois-ci ou le prochain, le navire n’a jamais coulé.

Avec le recul, ce n’était qu’un autre moyen de tromper et induire en erreur les Syriens et l’opinion publique mondiale. Le conflit s’est ancré plus solidement et a été « détourné », transformant ce qui était au départ un mouvement de protestation de masse en guerre civile, chaotique et destructrice. Il était absolument inconcevable que seules des manifestations, peu importe leur taille, puissent renverser un régime aussi puissant, omniprésent et brutalement astucieux sans intervention militaire extérieure. Tout spécialiste du Moyen-Orient digne de ce nom aurait pu vous le dire.

La répression du soulèvement pacifique

En effet, les manifestations de masse ont été écrasées à l’été 2011, et l’armée syrienne est entrée et a restauré l’autorité gouvernementale par la force dans toutes les villes agitées ; le soulèvement syrien en grande partie pacifique était alors effectivement terminé.

Bien sûr, les nations qui s’étaient beaucoup investies dans le renversement du régime pensaient autrement, alors la phase suivante a commencé : une insurrection armée, financée et soutenue par elles. Pendant ce temps, les récits officiels relayés par les médias n’ont jamais varié tandis que la violence en Syrie allait croissant et qu’un conflit civil (largement alimenté et soutenu par l’étranger) engloutissait le pays. Cependant, il était de plus en plus clair que l’extrémisme, le sectarisme et les groupes djihadistes prenaient leur essor et le contrôle de l’insurrection.

Tout cela a encore une fois été dissimulé en faveur du scénario « le régime contre son propre peuple », même si une grande partie des Syriens, aliénée par la violence, la destruction, le fanatisme et la compétition entre les chefs de guerre des nombreux groupes rebelles, s’est alors tournée vers le régime.

Ce revirement du soutien populaire en faveur du gouvernement était le résultat inévitable de l’échec et de l’impasse dans laquelle s’était engagée l’insurrection, qui engendrait désormais des groupes ultra-extrémistes comme Daech et d’autres groupes affiliés à al-Qaïda. Cela ne signifie évidemment pas que le régime syrien n’a pas tout fait pour assurer sa survie et que, dans sa lutte contre la guérilla urbaine avec des ressources humaines limitées, il a eu recours à la force massive et à la violence aveugle, causant de lourdes pertes civiles.

Ces crimes de guerre sont bien documentés. Il convient toutefois de faire une distinction importante ici : le régime syrien cible les zones géographiques sous contrôle rebelle, non des groupes spécifiques de personnes. On peut le constater lorsque les résidents de ces zones fuient les combats pour des zones, plus sûres, tenues par le régime. Dans de tels cas, on recense très peu d’incidents impliquant des représailles.

Un excellent exemple du revirement dans le soutien apporté au régime est la minorité ismaélienne, largement concentrée dans la ville de Salamieh à Hama. Salamieh était un foyer de protestation civile pacifique au début de l’insurrection, mais ce n’est plus le cas. En fait, Salamieh est maintenant un bastion majeur du régime et protège ses lignes d’approvisionnement vers le nord. La ville a fait l’objet de fréquentes et nombreuses attaques de la part des rebelles, y compris les plus aliénantes : le bombardement aléatoire de zones civiles.

Cette évolution de l’opinion parmi la communauté ismaélienne, passant d’adversaires passionnés du régime syrien à partisans indéfectibles, reflète des tendances similaires chez les autres minorités religieuses de la Syrie et chez une bonne partie de sa majorité sunnite, qui a peur de perdre son style de vie conservateur, mais modéré, en raison de la radicalisation.

Réciproquement, cela signifie que le contraire est vrai pour l’insurrection et l’opposition qui conservent encore un soutien assez important bien qu’inconséquent, principalement concentré dans les régions d’où viennent leurs combattants. Dans le cas des groupes djihadistes comme Daech et al-Nosra (qui comptent un contingent important de combattants étrangers et ont une idéologie ultra-extrémiste), le soutien populaire s’acquiert grâce aux prouesses sur le champ de bataille et à la capacité de fournir des services et une aide de base ainsi qu’un niveau minimum d’ordre public.

Voilà les exploits que l’opposition syrienne soutenue par l’Occident et les groupes de rebelles « modérés » qui lui sont vaguement affiliés ne sont jamais parvenus à réaliser, érodant encore un peu plus le soutien dont ils bénéficient en faveur des extrémistes plus compétents.

Le soutien d’Assad à Alep et Damas

Un régime qui n’a pas le soutien de sa propre population ne peut survivre à des années de guerre civile, peu importe sa puissance ou le soutien qu’il reçoit de l’étranger. Cela va à l’encontre de toute logique. Une grande partie de la population syrienne vivant toujours dans le pays soutient encore le régime. Beaucoup sont issus des nombreuses et diverses minorités religieuses de la Syrie, mais les populations sunnites dans les grandes villes cosmopolites de Damas et Alep soutiennent également en nombre le régime.

Après trois années de guerre civile, c’est une statistique étonnante que vous ne lirez probablement pas de sitôt dans les journaux. Pire encore si vous êtes au Moyen-Orient, où le conflit syrien est couvert par les réseaux d’information panarabes appartenant majoritairement aux pays du Golfe qui soutiennent fortement l’insurrection et la présentent comme un problème purement sectaire : chiites contre sunnites. Cela permet de galvaniser le soutien à la cause anti-régime (et même de recruter pour celle-ci) et de conserver l’appui de l’opinion publique arabe (majoritairement sunnite musulmane).

La division entre sunnites

La vérité, cependant, est beaucoup plus nuancée. Le conflit syrien possède sans conteste une dimension sectaire et la polarisation interne est importante dans ce sens. L’armée syrienne est composée en grande partie de conscrits sunnites, et les nombreux volontaires sunnites dans les groupes paramilitaires qui soutiennent les forces gouvernementales régulières se battent aux côtés des milices chiites étrangères, comme le Hezbollah, contre une pléthore de groupes rebelles qui sont tous composés exclusivement de musulmans sunnites plus ou moins extrêmes - à la fois locaux et étrangers. Cette division entre les sunnites en Syrie est peut-être le facteur le plus important, mais négligé, du conflit.

Une guerre civile prolongée favorise également l’acteur le plus puissant sur le terrain et celui qui peut assurer la stabilité, même relative, ou au moins la perspective de celle-ci. Dans le cas de la Syrie, il se trouve que c’est l’Etat centralisé qui, pour ainsi dire, est le régime au pouvoir. L’Etat centralisé et le régime sont inexorablement et organiquement liés entre eux, donc se débarrasser du régime détruirait également le gouvernement central. En l’absence d’alternatives viables crédibles, cela cimenterait pour les années à venir le statut d’Etat défaillant de la Syrie, en proie à un conflit interne constant.

Les périls de l’effondrement

Les groupes djihadistes viendraient très certainement combler le vide créé par un tel effondrement central, engendrant des mini-Etats extrémistes encore plus puissants : le terreau et la plate-forme d’exportation idéaux pour les fanatiques terroristes. Comme vous pouvez l’imaginer, cette perspective n’est pas très bien accueillie par la plupart des Syriens, ni d’ailleurs par l’un des soutiens les plus puissants de l’opposition et de l’insurrection, les Etats-Unis. C’est, au contraire, un résultat acceptable pour d’autres comme Israël, la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar, obsédés par un changement de régime à tout prix, malgré les conséquences catastrophiques et les profondes répercussions qu’un effondrement désordonné aurait sur la nation.

Ce scénario s’accorde bien avec leurs intérêts régionaux stratégiques de lutte contre l’influence et l’hégémonie iraniennes au Moyen-Orient, qui sont considérées par les pays du Golfe et Israël comme une menace existentielle imminente. Une Syrie fracturée priverait l’Iran d’un allié de taille et leur permettrait de conserver leurs sphères d’influence de manière permanente dans le nord et le sud de la Syrie par le biais de leurs milices rebelles alliées. Ces pays pourraient alors s’adapter aux groupes extrémistes ou traiter avec eux à l’avenir, du moins c’est là leur raisonnement erroné. Cet égoïsme intransigeant est l’un des principaux obstacles à un règlement politique durable du conflit.

Stabilité, services et sources de revenu

Au beau milieu de toute cette peur et de cette incertitude, nous ne pouvons pas sous-estimer l’attachement psychologique et pragmatique de nombreux Syriens à un gouvernement central qui continue de fournir au moins le strict minimum en matière de services publics, d’administration civile et d’institutions étatiques, notamment la police, la gratuité des soins de santé, l’éducation, ainsi que les salaires et pensions de centaines de milliers de fonctionnaires et d’employés du gouvernement. C’est aussi le cas de ceux qui vivent dans les territoires contrôlés par l’opposition ou Daech. Pour de nombreuses familles, il s’agit de leur seule source de revenu.

La Syrie est une nation scindée selon des critères géographiques et démographiques et ces clivages se creusent au fur et à mesure des combats interminables. La perspective d’une victoire militaire de n’importe quelle partie n’est pas réaliste à court terme. En attendant, le sort des Syriens ordinaires s’assombrit de plus en plus alors que des groupes extrémistes profitent du chaos pour semer la terreur à l’échelle industrielle.

La seule solution à ce conflit (comme cela a déjà été répété maintes et maintes fois) est la négociation d’un règlement politique. La seule façon d’y parvenir est de s’asseoir à la table des négociations et discuter avec le régime en place, peu importe que cela semble difficile ou controversé. En dépit de ses actes répréhensibles, le régime au pouvoir représente l’Etat central, l’armée syrienne et une part importante des Syriens et de leurs intérêts.

Ce serait de la folie d’ignorer cela et de continuer à ressasser les mêmes récits irréfléchis qui nous ont conduits nulle part, sauf à davantage de violence. En fin de compte, c’est avec votre ennemi que vous négociez pour mettre fin à la guerre, pas avec vos amis.

 

- Edward Dark est un chroniqueur de MEE basé à Alep. Il écrit sous un pseudonyme.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : Bachar el-Assad, le 28 Avril 2014 à Damas, Syrie (AFP).

Traduction de l’anglais (original).

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