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Séismes : les victimes syriennes sont-elles oubliées ?

Dans le contexte d’une guerre prolongée et d’une politisation de l’aide humanitaire, les Syriens pourraient une nouvelle fois être laissés pour compte 
Des Casques blancs syriens sont assis sur une excavatrice, le 6 février 2023, dans la ville de Sarmada, dans la province d’Idleb, tenue par les rebelles (AFP/Aaref Watad)
Des Casques blancs syriens sont assis sur une excavatrice, le 6 février 2023, dans la ville de Sarmada, dans la province d’Idleb, tenue par les rebelles (AFP/Aaref Watad)

À précisément 1 h 25, heure du Royaume-Uni, j’ai reçu un message de mon frère vivant à Antioche, en Turquie, sur notre groupe WhatsApp familial : « Ma maison est s’est effondrée. » Ce message a été rapidement suivi d’un autre, de notre mère, qui réside dans la même ville : « Tous les murs de notre appartement ont été détruits. » 

J’ai rapidement été inondé de communications en provenance de Turquie et du nord-ouest de la Syrie au sujet d’un séisme qui avait emporté des milliers de vies et d’habitations.

C’est un miracle que mes parents et mon frère aient pu échapper au chaos qui s’est abattu sur Antioche, où des bâtiments se sont effondrés comme des châteaux de cartes.

Au début, je pensais que ce n’était qu’un cauchemar. Il m’a fallu plusieurs heures pour comprendre l’ampleur du désastre. J’ai eu du mal à me faire à l’idée qu’en Syrie, ces mêmes personnes vulnérables qui ont déjà enduré douze ans de conflit étaient désormais touchées par une catastrophe naturelle d’une ampleur inégalée depuis des décennies.

Le séisme de magnitude 7,8 a débuté à 4 h 17, heure locale en Turquie et a été suivi de centaines de répliques. L’épicentre se trouvait à une vingtaine de kilomètres de profondeur et une large bande allant du sud de la Turquie au nord-ouest de la Syrie a été touchée, notamment Hatay, Gaziantep, Kilis, Alep et Idleb, entre autres régions.

Des Casques blancs aux ressources limitées

Le bilan humain grimpe d’heure en heure et a déjà dépassé les 11 200 morts. Ce chiffre devrait selon continuer d’augmenter de manière significative, car de nombreuses personnes sont toujours portées disparues. Rien qu’en Turquie, plus de 5 600 bâtiments ont été détruits. 

Alors que les missions de sauvetage en Turquie ont commencé lundi, des habitants de Hatay m’ont indiqué que les équipements lourds ne sont arrivés que mardi matin.

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Si les missions de sauvetage en cours ont certainement permis de sauver de nombreuses vies, puisque des milliers de personnes ont été extraites des décombres, beaucoup d’autres sont toujours prises au piège sous les bâtiments effondrés et attendent d’être secourues.  

En Syrie, les Casques blancs participent activement à des missions de sauvetage dans les zones contrôlées par l’opposition, mais leurs ressources sont très limitées.

De nombreuses ONG ont lancé des campagnes de collecte de fonds à grande échelle, notamment l’Union des organisations de secours et soins médicaux, l’association Molham et la Syrian American Medical Society

Cette réponse est cependant menacée par le statut du poste frontalier de Bab al-Hawa à la frontière turque, point de passage vital vers la Syrie, qui a été fermé en raison de dégâts importants, ce à quoi s’ajoutent d’autres difficultés. Dans les zones contrôlées par le régime syrien, comme Alep et Hama, le gouvernement syrien dirige la réponse. Dans les zones tenues par l’opposition, la situation est plus compliquée. 

Bien que l’épicentre se trouve dans le sud de la Turquie, les séismes ont eu des effets dévastateurs dans tout le nord-ouest de la Syrie, où les infrastructures ont été gravement affaiblies depuis le début de la guerre en 2011, les zones contrôlées par l’opposition ayant été les principales cibles des atrocités. 

Cette situation, conjuguée aux tactiques de guerre du gouvernement syrien – notamment la destruction d’infrastructures civiles dans les régions tenues par l’opposition –, a rendu ces zones extrêmement vulnérables. Confrontés à un vide de gouvernance, les habitants de ces régions s’appuient largement sur l’aide transfrontalière venant de Turquie alors que la guerre s’éternise.

La situation pour la population des zones contrôlées par le gouvernement dans le nord-ouest de la Syrie n’est toutefois guère meilleure.

Isolé sur la scène internationale

Le pays tout entier a été dévasté par le conflit, tandis que le gouvernement syrien est isolé sur la scène internationale en raison d’allégations de crimes de guerre, notamment pour usage d’armes chimiques, ce qui a donné lieu à des sanctions économiques et politiques de grande envergure.

Celles-ci ont des effets dramatiques sur le statut socio-économique des citoyens ordinaires, toujours plus nombreux à tomber dans la pauvreté. Les séismes, qui ont dévasté des habitations fragiles, ne feront qu’exacerber ces difficultés.

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À l’heure actuelle, les besoins les plus urgents pour la population touchée dans le nord-ouest de la Syrie sont un soutien aux missions de sauvetage, des abris d’urgence et une aide alimentaire, des fournitures médicales et un approvisionnement en gasoil pour permettre aux groupes électrogènes de fonctionner et d’assurer l’électricité de base pour les hôpitaux. 

Si les capacités du gouvernement turc et l’afflux d’aide internationale sont appelés à soutenir les opérations de sauvetage en Turquie, il est peu probable que ce scénario se produise également dans le nord-ouest de la Syrie dans un avenir proche.

Cela s’explique par la longévité du conflit, le vide de gouvernance dans les zones contrôlées par l’opposition, ainsi que par la politisation et la manipulation de l’aide humanitaire par le gouvernement syrien dans les zones qu’il contrôle.

Cependant, rien de tout cela ne doit servir d’excuse pour ignorer la situation critique des Syriens touchés par les séismes.

La communauté internationale doit trouver des moyens d’apporter son soutien à toutes les régions touchées dans le nord-ouest de la Syrie, par exemple en s’engageant auprès des ONG très expérimentées qui y opèrent depuis douze ans. Malheureusement, certains donateurs hésitent encore à agir en ce sens.

Les Syriens ont déjà enduré plus d’une décennie de conflit et sont désormais confrontés à une nouvelle tragédie. De nombreux Syriens ont déjà beaucoup souffert et s’efforcent de reconstruire leur vie dans le nord-ouest de la Syrie ou en Turquie. Aujourd’hui, ils sont durement touchés par cette catastrophe. Pourtant, leur souffrance pourrait être oubliée en raison de la chronicité du conflit et de l’ampleur des séismes. 

Je ne peux qu’espérer que le monde ne fermera pas à nouveau les yeux sur les victimes en Syrie et leur apportera le même soutien qu’aux victimes en Turquie. 

- Abdulkarim Ekzayez est médecin et expert en systèmes de santé. Associé de recherche principal au King’s College de Londres, ce Syrien dirige un projet de grande envergure consacré au renforcement du système de santé en Syrie. Il est également secrétaire général de la Syrian British Medical Society, membre du Syria Resource Group et membre du conseil d’administration de l’organisation Amna.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Dr Abdulkarim Ekzayez is a Syrian medical doctor and health system expert. He serves as a senior research associate with King’s College London, where he leads a large project on strengthening the health system in Syria. He is also the general secretary of the Syrian British Medical Society, a member of the Syria Resource Group, and a trustee of the Amna organisation.
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