Un haut responsable de la famille royale saoudienne avec un projet de postérité pour Donald Trump
Récemment, lors d’une réception privée au prestigieux Traveller’s Club de Londres, le prince saoudien Turki al-Faisal a offert au président élu Donald Trump une perspective alléchante.
Est-il possible que l’argument du prince Turki, lorsqu’il fait allusion à l’héritage laissé par Donald Trump, ait du poids auprès du président élu ?
Le prince a dirigé les services de renseignement saoudiens al-Moukhabarat pendant plus de vingt ans avant de briguer une carrière d’ambassadeur au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Lors de cet événement londonien, c’est en qualité de citoyen privé et non au nom du gouvernement saoudien que le prince Turki s’est exprimé. Il a constaté que le président élu « avait tenu des propos contradictoires » sur le rôle que jouent actuellement les États-Unis au Moyen-Orient.
Et d’ajouter avec un sourire : « Faire des pronostics dès à présent sur la façon dont il va conduire sa politique reviendrait à prédire l’avenir avec une boule de cristal ». Pourtant, Donald Trump est revenu sur certaines de ses déclarations les plus inquiétantes ».
Et bien qu’il soit encore beaucoup trop tôt pour que Donald Trump pense à son avenir en termes d’héritage, cela n’a pas empêché le prince de lui en construire un, en l’incitant à ne pas torpiller l’accord nucléaire conclu avec l’Iran.
Un Moyen-Orient dépourvu de l’arme nucléaire
Selon le prince, Donal Trump devrait plutôt utiliser cet argument dissuasif non seulement auprès des Iraniens mais également auprès d’Israël. L’objectif final étant d’établir une zone dénucléarisée au Moyen-Orient.
Mais torpiller cette entente reviendrait à remettre l’Iran sur le chemin de l’arme nucléaire, et - vue l’anxiété des Saoudiens face à ce pays qu’ils considèrent en position d’hégémonie sur la région - ne ferait que conduire à la prolifération de l’arme nucléaire.
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Le prince voit en Donald Trump un homme qui s’empare et préconise des solutions simples (qu’elles fonctionnent ou non) pour résoudre des questions complexes, une vision somme toute assez avisée. La solution que propose le prince Turki est d’une simplicité qui ne manque pas d’élégance. On pourrait la résumer ainsi :
Le président Trump veille à ce que l’Iran ne renforce pas sa production d’armes nucléaires. Israël, les Saoudiens et le reste du Moyen-Orient soupirent de soulagement.
Puis en signe de bonne foi, Israël accepte l'initiative de paix arabe amorcée en 2002 et menée depuis par l’Arabie saoudite. Réduite à sa plus simple expression, cette initiative propose que le monde arabe accepte de normaliser les relations avec Israël si ce dernier consent en retour à revenir aux frontières de 1967. La coexistence de deux États devrait avoir un avenir possible.
Ensuite les Israéliens, désormais en paix avec leurs voisins arabes, pourront cesser de produire des armes nucléaires. Un pays qui n’a jamais officiellement reconnu qu’il était doté de l’arme nucléaire, même ce n’est un secret pour personne.
Puis, le regard malicieux, le prince fit remarquer : « Donald Trump laisserait ainsi un héritage considérable à la postérité ».
Lynchage de Barack Obama
Bien entendu, quelques minutes auparavant Turki al-Faisal avait dénigré le président sortant, Barack Obama, qui cherchait à s’attribuer le mérite de l’accord nucléaire iranien.
« La présidence de M. Obama a suscité des espoirs considérables qui ont impitoyablement volé en éclats », observe-t-il, en soulignant que le président s’était limité à demander aux Israéliens de mettre fin et de renoncer à leur stratégie de colonisation dans la bande de Gaza, et n’avait rien fait de plus. Et d’ajouter : « Il s’est avéré qu’il n’a jamais vraiment eu l’intention de pousser les Israéliens à accepter un compromis ».
Lorsque le prince a abordé la gestion de la crise syrienne par Barack Obama, le ton s’est fait encore plus cynique, insinuant que le président n’avait pas réagi lorsque Bachar el-Assad avait osé franchir la ligne rouge en utilisant des armes chimiques sous prétexte que cela aurait pu fragiliser l’accord nucléaire.
« On ne peut que le féliciter d’avoir fait preuve d’autant de zèle pour conclure cet accord. Il est même allé jusqu’à laisser Bachar el-Assad utiliser des armes chimiques en toute impunité afin que l’Iran ne quitte pas la table des négociations ».
Après avoir fustigé Barack Obama, le prince a fait brièvement allusion aux relations entre le Royaume-Uni et l’Arabie saoudite au moment où le Brexit était éminent : « [La Grande-Bretagne] se rendra compte que le Royaume d’Arabie saoudite est un véritable ami sur qui elle peut compter ».
Ces propos devaient rassurer Theresa May et ses acolytes partisans du Brexit. Dieu sait combien il était crucial qu’ils réunissent autant d’amis que possible.
La vision économique de l’Arabie saoudite
Puis le prince a évoqué, en ses termes, la vision du pays pour 2030, une révolution économique désormais en marche en Arabie saoudite :
« Les pseudo-observateurs et experts ont déjà prédit son échec. Je vous signale que la vision du roi Salmane va à l’encontre de l’avis de ces derniers. Elle ne constitue pas une révélation divine et elle est assez souple pour répondre à des besoins de révision et de modification ».
On pourrait croire, à l’entendre, que le prince Turki ne fait pas partie de ceux qui se sont ralliés à Mohammed bin Salmane
Il a reconnu avec humour que ces prévisions ne concernaient pas les barbes blanches et les « vieux croûtons » comme lui, mais plutôt le reste de la population saoudienne dont 70 % a moins de 35 ans, et qui fera « germer les graines de la renaissance ».
Le fils du roi Salman, le vice-prince héritier Mohammed bin Salman, âgé d’une trentaine d’années, est à l’origine de cette vision à l’horizon 2030. C’est à peine si le prince Turki évoqua cette personnalité, connue sous le nom de MbS, pourtant la plus puissante du royaume.
Puis il déclara que le vice-prince héritier : « assure que toute erreur sera corrigée, car la transparence et la définition des responsabilités sont inscrites dans notre projet ».
D’autre part, un peu plus tard dans son allocution, il n’a tarit pas d’éloge sur le prince héritier et concurrent au trône, le ministre de l’Intérieur Mohammed bin Nayef, pour « avoir chassé al-Qaïda en dehors des frontières de l’Arabie saoudite » et pour « avoir éloigné ses mécréants du royaume ».
On pourrait croire, à l’entendre, que le prince Turki ne fait pas partie de ceux qui se sont ralliés à Mohammed bin Salmane.
Les ONG « brouillent les cartes » au Yémen
Cependant la question sur laquelle le prince Turki s’est le plus étendu était la guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen, pays le plus pauvre du monde arabe, qu’il a défendu avec ferveur.
Il affirma que les Saoudiens soutenaient le gouvernement légitime du Yémen sous l’égide de la résolution 2216 du Conseil de sécurité des Nations unies. Et qu’ont-ils reçu en contrepartie ?
« Vos médias et ONG ont tellement brouillé les cartes à grand renfort de propagande et de fausses informations, que pour certains, c’est le royaume qui est en cause et non les Houthis et leur allié diabolique, l’ancien président (Ali Abdallah Saleh) ».
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En faisant référence à l’univers des ONG, le prince avait forcément à l’esprit Human Rights Watch (HRW). Le jour suivant l’allocution du prince, l’organisation HRW ne s’est pas découragée et a appelé les États-Unis à cesser immédiatement toute vente d'armes à l'Arabie saoudite.
Il s’ensuivit que HRW remarqua que les frappes aériennes de la coalition menée par l’Arabie saoudite étaient à l’origine de la majorité des civils tués ou blessés au Yémen. Le nombre de victimes qui s’élève aujourd’hui à plus de 11 000 est répertorié dans le rapport du Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations unies. Bien évidemment, les Saoudiens ont rejeté le rapport.
L’organisation HRW a mis l’accent sur deux incidents qui sont survenus lors des « attaques apparemment illégales de la coalition », selon leurs termes : le bombardement d’un marché qui a tué 97 civils, le 15 mars et les frappes qui ont fait plus de 100 victimes et en ont blessées plus de 500, lors d’un enterrement à Sanaa le 8 octobre. Selon HRW, les deux événements pourraient constituer des crimes de guerre ».
Sans faire allusion à ces attaques, le prince Turki, a fait la remarque suivante :
« Dans un conflit de cette nature, il y a inévitablement des civils parmi les victimes. Le royaume a tout fait pour éviter de blesser les civils. Cependant lorsque ça a été le cas, il s’agissait d’une erreur qui a tout de suite été admise et les familles des victimes ont été indemnisées. »
Le prince a rétorqué que les médias ont ignoré les atrocités commises par l’autre camp, notamment le siège de la troisième plus grande ville du Yémen, Taïz : « Avez-vous vu, Messieurs-dames, un seul reportage sur le sujet dans le Guardian ou The Independent ? »
En réalité, l’incident de Taïz a été amplement relayé par le Guardian et d’autres organes de presse, c’est notamment le cas d’Amnesty International ainsi que d’autres ONG.
Pourquoi le prince Turki et Donald Trump ne se suivraient-ils pas mutuellement sur Twitter au service d’un objectif véritablement louable : rétablir la paix au Moyen-Orient ?
Et pour rendre justice à HRW, dans sa déclaration l’ONG s’est efforcée de souligner que les Houthis et leurs alliés, notamment les forces fidèles au président déchu, « avaient également été impliqués dans de nombreuses violations graves ».
Dans mon reportage, j’ai évoqué la souffrance des yéménites qui subissent des attaques perpétrées par les Houthis et Ali Abdallah Saleh au sol, d’une part, et sont pilonnés depuis le ciel par les bombardements de la coalition, d’autre part.
Mais pour en revenir à la question de la postérité de Donald Trump, en cette période de folie et d’instabilité, est-il possible que l’argument du prince Turki, lorsqu’il fait allusion à l’héritage laissé par Donald Trump, ait du poids auprès du président élu ?
Toutefois, pour y parvenir ce haut responsable saoudien de la famille royale devra se mettre à Twitter. Car c’est sur ce média que Donald Trump se plait à pousser des coups de gueule, à s’amuser et à surfer. Pourquoi tous deux ne se suivraient-ils pas mutuellement sur Twitter au service d’un objectif véritablement louable : rétablir la paix au Moyen-Orient ?
- Bill Law est un analyste du Moyen-Orient et un spécialiste des pays du Golfe. Vous pouvez le suivre sur Twitter à l’adresse : @BillLaw49
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Le prince Turki al-Faisal à la Conférence sur la sécurité qui a eu lieu à Munich en février 2014 (AFP)
Traduction de l’anglais (original) par Julie Ghibaudo.
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