Aller au contenu principal

Un nouveau rôle de pacificateur potentiel pour l’Iran en Syrie

Sans un rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran, il est difficile d’imaginer que le nouvel engagement dans le conflit syrien puisse aboutir à des progrès concrets

De toute évidence, la rencontre internationale sur la Syrie organisée le 30 octobre à Vienne devrait être considérée comme un plus indéniable pour la diplomatie régionale de l’Iran, dans la mesure où elle a permis de refléter l’influence régionale croissante de l’Iran et son rôle de pacificateur en Syrie.

Selon le vice-ministre iranien des Affaires étrangères chargé des affaires africaines et arabes, Hossein Amir-Abdollahian, en dépit des « écarts de points de vue importants entre les participants », le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a pu faire en sorte que les points de vue iraniens soient pris en compte dans la déclaration conjointe en neuf points publiée à la fin de la réunion, qui a duré huit heures. La déclaration a appelé à préserver l’indépendance et l’intégrité territoriale de la Syrie, à maintenir les institutions de l’État syrien, à garantir l’accès humanitaire, à vaincre les terroristes de l’État islamique, à établir un dialogue politique entre Damas et l’opposition syrienne avec la médiation de l’ONU dans le but de mettre en place des élections inclusives et ouvertes, et à explorer les modalités d’un cessez-le feu.

Comme prévu, l’épineuse question de l’avenir du président syrien Bachar al-Assad a formé le « nœud » de la rencontre de Vienne et la délégation iranienne s’est targuée d’avoir contré les efforts (menés par l’Arabie saoudite) visant à inclure une déclaration sur l’éviction de Bachar al-Assad dans le communiqué final.

Insistant pour que l’Iran et la Russie conviennent d’un calendrier en vue de l’éviction d’Assad, l’Arabie saoudite a apparemment tracé une « ligne rouge » que Téhéran et Moscou ne peuvent vraisemblablement pas respecter tant qu’ils n’ont pas la pleine garantie qu’un régime post-Assad ne dégénérera pas en un nouveau scénario libyen ou ne provoquera pas un nouveau réalignement au détriment de leurs intérêts particuliers.

L’annonce en grande pompe par les États-Unis du déploiement de forces d’opérations spéciales en Syrie, coïncidant avec les pourparlers de Vienne, est un indice de la complexité du théâtre du conflit syrien ; cette démarche a été immédiatement dénoncée par la Russie, qui insiste sur le fait que le consentement du gouvernement syrien est nécessaire et qu’il s’agirait autrement d’une violation de la souveraineté syrienne.

La démarche de Washington peut avoir été calculée dans le but de renforcer son influence diplomatique sur la table des négociations au vu de la décision prise par les dix-neuf nations participant à la rencontre de se réunir à nouveau dans deux semaines, signe clair que la diplomatie avance lentement mais sûrement. La Russie, les États-Unis et l’Iran ont appelé à un cessez-le-feu, ce qui est un nouveau signe d’évolution positive, étant donnée la facilité avec laquelle le théâtre syrien peut prendre quasiment du jour au lendemain la dimension d’une « nouvelle guerre froide » entre Moscou et Washington.

Le sort de la Syrie est maintenant tributaire des variations des relations glaciales entre Russes et Américains, tandis que l’Iran, depuis l’accord sur le nucléaire, dispose tout à coup du potentiel pour agir en tant que médiateur entre les deux superpuissances militaires qui détiennent aujourd’hui le ciel syrien avec leurs campagnes aériennes respectives.

Du point de vue de l’Iran, le défi à relever est de forger un objectif commun contre l’État islamique tout en délimitant les principaux contours d’une transition politique viable en Syrie qui pourrait nécessiter la démission d’Assad.

Lors de sa récente visite à Londres, Abdollahian a fait allusion à la volonté de l’Iran de « penser l’impensable », à savoir le départ d’Assad dans le cadre d’un projet ferme ayant fait l’objet d’un accord mutuel. Dans le même temps, l’Iran insiste sur un processus politique contrôlé par la Syrie et cherche à éviter de donner l’impression de se considérer comme un intervenant direct dans de futures élections nationales syriennes.

Néanmoins, mis à part les subtilités diplomatiques, les réalités géostratégiques sur le terrain dictent la poursuite de l’approche iranienne pro-Damas qui a abouti à une importante aide financière, matérielle et militaire apportée par l’Iran à la Syrie depuis le début de ce conflit sanglant il y a quatre ans, mise en évidence par la mort de plusieurs commandants militaires iraniens de haut rang au cours des derniers mois. De toute évidence, le conflit sanglant en Syrie a coûté cher à l’Iran sur tous les fronts et Téhéran a un intérêt intrinsèque à maintenir la paix et la stabilité en Syrie, qui est considérée comme un pont important vers le Liban et par ailleurs vers l’ensemble du monde arabe.

Alors que la Syrie est fragmentée en plusieurs zones d’influence partagées entre le gouvernement, les rebelles et l’État islamique, une condition importante pour la politique iranienne en Syrie est de tisser des liens avec l’opposition syrienne, y compris l’Armée syrienne libre, qui sera probablement invitée à la rencontre de réconciliation politique proposée par l’ONU évoquée précédemment.

Au cours des dernières années, Téhéran a entrepris un certain nombre d’initiatives pour tendre la main à l’opposition syrienne modérée, qui doivent maintenant se poursuivre et s’amplifier en vue d’instaurer des mesures de rétablissement de la confiance. À ce stade, il est difficile de savoir si les rebelles armés opposés à Assad, qui ne cessent de reprocher à l’Iran et à la Russie de soutenir le président syrien, peuvent finir par comprendre qu’ils ont besoin d’ouvrir leurs voies de dialogue avec Téhéran.

Il est cependant clair qu’avec la nouvelle cause commune des Iraniens et des Russes en Syrie, tous les espoirs de disparition du régime syrien nourris par les rebelles soutenus par les Saoudiens et les Turcs ont été effectivement dissipés dans un avenir prévisible, renforçant ainsi la position de l’Iran selon laquelle il n’y a pas de solution militaire en Syrie, mais uniquement une solution politique. À cette fin, Zarif a récemment dévoilé un plan de paix en quatre étapes pour la Syrie, qui met l’accent sur la volonté politique, la mise en place d’un cessez-le-feu, le retour des réfugiés et une transition politique dirigée par l’ONU. L’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, a salué l’initiative pacificatrice de l’Iran et a été en réalité le premier à adresser une invitation à l’Iran pour participer aux pourparlers sur la Syrie en avril.

Pourtant, du côté iranien, il n’y a aucune illusion quant à la possibilité de résoudre parfaitement le conflit complexe qui sévit en Syrie à la suite d’une poignée de rencontres internationales. Il s’agit plutôt d’une lourde tâche qui exige des efforts sérieux et soutenus sur le plan diplomatique et politique, au vu des dimensions régionales et extrarégionales du conflit syrien, qui nécessite entre autres une amélioration constante des relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Ces deux puissances régionales se sont engagées l’une contre l’autre dans des guerres par procuration et doivent exploiter la possibilité offerte par les pourparlers sur la Syrie afin d’explorer les options en vue d’un nouveau dégel de leurs relations hostiles. Sans cela, le conflit syrien est voué à rester profondément embourbé en conséquence des rivalités interrégionales.

- Kaveh Afrasiabi, titulaire d’un doctorat, est un ancien professeur de sciences politiques à l’université de Téhéran et est l’auteur de plusieurs livres sur la politique étrangère de l’Iran. Ses écrits ont paru dans plusieurs publications en ligne et sur papier dont, entre autres, UN Chronicle, le New York Times, Der Tagesspiegel, le Middle East Journal, la Harvard International Review et The Guardian.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le ministre turc des Affaires étrangères Feridun Sinirlioğlu (deuxième en partant de la droite), le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius (quatrième en partant de la droite) et le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier (huitième en partant de la gauche) rencontrent d’autres ministres des Affaires étrangères lors de pourparlers sur la Syrie, à Vienne (Autriche), le 30 octobre 2015 (AA).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].