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Un prince saoudien en Israël ? Une alliance née d’un échec

La rumeur court qu’un prince saoudien – peut-être même Mohammed ben Salmane – se serait rendu en Israël la semaine dernière. Cette visite a plus d’implications pour la Syrie, l’Iran et le Hezbollah que pour tout futur processus de paix

Les médias israéliens sont inondés de rumeurs selon lesquelles un prince saoudien se serait rendu en Israël la semaine dernière et se serait entretenu avec des responsables israéliens haut placés. Quelques médias et journalistes ont allégué que le prince en question n’était autre que le prince héritier Mohammed ben Salmane, la personnalité la plus puissante d’Arabie saoudite.

Une source israélienne m’a confirmé la présence d’un visiteur saoudien de haut rang et a affirmé qu’il était possible que le prince ait rencontré le Premier ministre Benyamin Netanyahou, bien que la source n’ait pu le confirmer de façon catégorique, pas plus que le fait qu’il s’agissait bel et bien de Mohammed ben Salmane.

Si le futur roi saoudien s’est effectivement rendu en Israël, ce serait là un développement monumental dans les relations entre Israël et le monde arabe – en particulier sunnite. Bien que de telles visites secrètes aient eu lieu par le passé (dont une en 2013, par exemple), il était question de chefs du renseignement ou de responsables militaires. Mais jamais d’un futur chef d’État.

Une bromance naissante

Cette visite a des implications plus ou moins évidentes. Ce qui est évident, c’est qu’elle marque une intensification de la bromance saoudo-israélienne, alors que les deux pays ont connu une confluence croissante d’intérêts dans leur campagne conjointe visant à isoler l’Iran et d’autres forces chiites telles qu’Assad en Syrie et le Hezbollah.

Si Netanyahou s’est montré prompt à annoncer en grande pompe la percée recherchée par Israël dans les relations israélo-arabes depuis la fondation de l’État en 1948, il s’agit là d’une grosse exagération. Cette entente commune concerne seulement une question plutôt étroite, l’Iran principalement.

Cela n’a pas nécessairement d’implications plus larges, comme Israël et l’administration Trump l’ont suggéré. Par exemple, les deux pays ont fait grand cas d’une solution saoudienne au conflit israélo-palestinien.

À LIRE : Le secret le plus mal gardé de la guerre syrienne qui pourrait devenir le cauchemar d’Israël

Dans ce scénario, les Saoudiens pousseraient d’une manière ou d’une autre (par la corruption, la persuasion ou pire) les Palestiniens à accepter un accord de paix au rabais avec Israël qui accorderait à ce dernier pratiquement tout ce qu’il veut, laissant aux Palestiniens des bantoustans territoriaux non contigus là où leur État devrait se trouver.

L’idée que les Saoudiens manipuleront les Palestiniens pour les forcer à accepter un tel accord – ou même qu’ils le pourront – est une chimère. Mais la politique israélienne vis-à-vis des Arabes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur d’Israël est en grande partie construite sur des formes similaires de sables mouvants.

Les écueils saoudo-israéliens

L’une des implications moins évidentes de cette rencontre au sommet est qu’elle marque le désespoir de l’alliance entre les sunnites et Israël à propos de la Syrie.

Les six années de soutien apporté à des groupes rebelles, notamment al-Qaïda et l’État islamique, dans leur lutte pour renverser Bachar al-Assad ont été réduites à néant. La contre-alliance Russie-Hezbollah-Iran-Assad a vaincu tous les efforts. Les rêves saoudiens d’un État à gouvernance majoritairement sunnite en Syrie se sont envolés.

La vision d’Israël d’une Syrie balkanisée où il allait pouvoir dominer le sud du pays et assurer un calme permanent dans le Golan s’est également évaporée. Tout comme ses espoirs de voir Assad être vaincu et, par la même occasion, de voir la Syrie renoncer pour toujours à ses revendications sur le Golan, qu’Israël a conquis et occupe depuis 1967 en violation du droit international. Aujourd’hui, les revendications d’Assad sont plus fortes que jamais.

Il y a d’autres échecs à prendre en compte : la décision personnelle du prince héritier saoudien d’attaquer le Yémen a fait 12 000 victimes, provoqué une famine massive et causé la pire épidémie de choléra sévissant actuellement dans le monde. Pour un investissement relativement faible, les Iraniens et leurs alliés houthis ont résisté aux bombardements saoudiens.

Le prince héritier saoudien s’est lancé dans une énième aventure en manigançant une rupture majeure avec le Qatar. Tous les autres États sunnites de la région se sont docilement rangés derrière leur patron saoudien et ont soutenu cette mission perdue d’avance consistant à forcer les Qataris « entêtés » à retourner dans le droit chemin. Le reste du monde n’a pu que se creuser la tête pour essayer de comprendre ce qui est passé par la tête du prince héritier pour qu’il fomente une dispute pour si peu.

Les ministres des Affaires étrangères bahreïni, égyptien, émirati et saoudien se rencontrent au Caire pour discuter de la crise qatarie, le 5 juillet 2017 (AFP)

La consternation a atteint un paroxysme lorsque les médias ont rapporté avec optimisme que les dirigeants saoudien et qatari avaient eu une conversation téléphonique pour tenter de trouver une solution à l’impasse actuelle, jusqu’à ce que l’on découvre un peu plus tard que les deux interlocuteurs avaient eu un échange acrimonieux, à l’issue duquel les Saoudiens avaient rompu tout contact avec le Qatar (même si de toute façon il n’en existait plus aucun).

Plus tard, nous avons appris que cette idée lumineuse était venue de l’administration Trump elle-même, qui avait négocié l’appel. Malheureusement, le négociateur en personne n’était pas là pour tenir les mains des deux parties et l’affaire a explosé en mille morceaux. Voilà pour « l’art de la négociation ».

Il est révélateur de constater que la réponse de l’Arabie saoudite à l’affirmation selon laquelle l’un des siens s’est rendu en Israël a été de riposter en affirmant que le visiteur n’était pas un Saoudien, mais un prince qatari

Par ailleurs, il est révélateur de constater que la réponse de l’Arabie saoudite à l’affirmation selon laquelle l’un des siens s’est rendu en Israël a été de riposter en affirmant que le visiteur n’était pas un Saoudien, mais un prince qatari. À notre connaissance, les deux récits pourraient être vrais puisque l’on a rapporté par le passé qu’un prince qatari s’était rendu en Israël. Les Qataris sont disposés à entretenir des relations avec quasiment quiconque peut faire progresser leurs intérêts, ce qui agace tant le prince héritier Mohammed ben Salmane.

Mais compte tenu de la propension des Saoudiens pour les canulars médiatiques (comme le faux reportage médiatique qui a amorcé le conflit actuel), il est plus que probable que la contre-affirmation saoudienne soit fausse et destinée à détourner la désapprobation dans tout le monde arabe.

Une alliance alimentée par la frustration

Sous l’administration Obama, il était clair qu’Israël et l’Arabie saoudite étaient mis dans le même panier – du moins en partie – en raison de leur colère contre la politique américaine à l’égard de l’Iran. Ils voulaient montrer les dents et attaquer, tandis qu’Obama souhaitait négocier.

Mais avec la nouvelle administration Trump, on ne sait pas comment Washington réagira aux propositions de mesures contre l’Iran avancées par l’Arabie saoudite et Israël. Israël a toujours voulu que les États-Unis attaquent les installations nucléaires iraniennes. À ce stade, je ne vois pas comment Trump pourrait accepter un tel plan. Le président américain a du pain sur la planche avec la Corée du Nord, tandis que son ancien assistant, Steve Bannon, a prédit une guerre avec la Chine dans un avenir proche.

Compte tenu de cette focalisation sur l’Asie, je ne vois pas comment Trump pourrait apprécier une nouvelle aventure militaire au Moyen-Orient. Cela aura pour effet de frustrer Israël et les Saoudiens et de les pousser encore plus dans les bras les uns des autres.

Mais comme pour tout ce qui concerne Trump, il convient de reconnaître que certaines mises en garde s’imposent. Facilement distrait, il pourrait faire volte-face et se détourner de l’Asie pour porter de nouveau son regard sur le Moyen-Orient. Notre prochain ennemi pourrait être l’Iran. Mais comme je l’ai dit, j’en doute.

Cette situation laisse Israël et ses amis saoudiens en plan. Sans l’oncle Sam dans le rôle de Big Brother, il est difficile de manigancer une aventure militaire majeure contre l’Iran. Mais cela ne signifie pas qu’ils ne travailleront pas à des projets de plus petite envergure pour tourmenter et harceler l’Iran et son allié, le Hezbollah.

Des soldats israéliens dorment dans des véhicules lors d’un exercice militaire de simulation d’un conflit avec le Hezbollah, sur le plateau du Golan occupé par l’armée israélienne, plus tôt ce mois-ci (AFP)

En effet, plus tôt ce mois-ci, l’armée israélienne a organisé son plus grand exercice depuis vingt ans en simulant une attaque du Hezbollah contre Israël. Il ne fait aucun doute que l’armée israélienne, frustrée de voir le Hezbollah jouer un rôle clé dans le renforcement du régime d’Assad par le biais de victoires militaires majeures contre les forces insurgées sunnites, désire remettre à sa place la milice islamiste.

Bien que je n’aie pas l’habitude de faire des paris, en ce qui concerne le Moyen-Orient, il n’est pas imprudent d’affirmer qu’une guerre couve pour ces deux parties dans un avenir proche. C’est probablement ce sur quoi la rencontre de la semaine dernière a porté : comment causer un maximum de ravages à l’Iran et compagnie compte tenu des circonstances difficiles dans lesquelles Israël et ses alliés sunnites se trouvent.

À LIRE : Après Ersal : le nouveau triangle d’influence du Hezbollah

Un des éléments clés de leur programme doit être la destruction de l’accord sur le nucléaire « P5+1 ». Trump a pratiquement signalé qu’il le jetterait par-dessus bord à la première occasion. Si cela se produit, alors tout l’enfer pourrait se déchaîner. Les Iraniens ont menacé de reprendre l’enrichissement d’uranium et les programmes de recherche qu’ils avaient suspendus en vertu de l’accord.

Cela accorderait une certaine liberté aux faucons de la région et à Washington pour planifier et espérer le pire. Les think tanks de Washington ont déjà jeté leur dévolu sur l’idée de refaire de l’Iran la bête noire de la politique étrangère américaine. Ces efforts représentent les pires aspects de la pensée de groupe et le véritable caractère politicard de l’« intelligentsia » d’analystes à Washington, mais ainsi va l’époque des étranges partenaires et des chimères de la politique étrangère.

Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne. Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006, A Time to speak out (Verso) et est l’auteur d’un autre essai dans une collection à venir, Israel and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane assiste à un défilé militaire des forces de sécurité saoudiennes en prévision du pèlerinage annuel du hadj à la Mecque, en août 2017 (AFP/palais royal d’Arabie saoudite).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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