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Une mission des États-Unis au Liban d’un milliard de dollars

L’ambassadeur des États-Unis au Liban, David Hale, a déclaré que « la nouvelle ambassade nous donnera plus d’espace pour faire progresser nos intérêts communs et reflétera l’approfondissement des relations entre nos deux pays »

Comme je l’ai écrit à des nombreuses reprises, l’impression d’empiètement de l’Iran dans l’arrière-cour des États-Unis a été une paranoïa américaine constante ces dernières années.

Déjà en 2008, Michael Rubin, du néoconservateur American Enterprise Institute, avait signalé que l’ambassade iranienne à Managua (Nicaragua) était devenue la « plus grande mission diplomatique de la ville ». Ces efforts iraniens déployés dans la région, entre autres, auraient supposément indiqué que l’ancien président, Mahmoud Ahmadinejad, « pourrait considérer l’Amérique latine comme une tête de pont pour mener une stratégie offensive contre les États-Unis et ses alliés ».

Comme le journaliste Charles Davis l’a fait remarqué, Hillary Clinton, alors secrétaire d’État américaine, lui avait emboîté le pas avec la déclaration suivante : « les Iraniens sont en train de construire une très grande ambassade à Managua…et il suffit d’imaginer pour quoi faire ».

Il s’est avéré que c’était, en effet, juste le fruit de leur imagination.

En juillet 2009, le Washington Post a annoncé depuis Managua que là-bas, à Managua, on ne trouve aucune ambassade de grande envergure. Selon le journal, les responsables du gouvernement du Nicaragua « affirment que le complexe de l’ambassade des États-Unis est la seule méga-ambassade au Nicaragua ».

La récente révélation des projets des États-Unis pour établir une nouvelle ambassade gigantesque au Liban, juste à côté de l’énorme ambassade des États-Unis déjà existante au village d’Aoukar, au nord de Beyrouth, souligne davantage l’hypocrisie des États-Unis lorsqu’ils dénoncent les présumées intrusions de l’Iran dans leur propre arrière-cour, alors qu’ils s’installent dans celle de l’Iran.

Lors de remarques pendant la conférence de presse du 27 mai au ministère libanais des Affaires étrangères, l’ambassadeur des États-Unis au Liban, David Hale, a fait l’éloge des « installations écologiques et durables » qui seront bientôt érigées, en maintenant la végétation indigène, ce qui permettra des économies d’eau, et en incluant des œuvres d’art des États-Unis et du Liban ».

Pour reprendre les propos de David Hale, « ce projet représente un investissement de presqu’un milliard de dollars de la part des États-Unis pour le partenariat entre les États-Unis et le Liban. Il nous donnera plus d’espace pour faire progresser nos intérêts communs et reflétera l’approfondissement des relations entre les deux pays ».

Nous pourrions indubitablement trouver de meilleures utilisations pour cette énorme somme d’argent, ici et ailleurs. Les plus démunis aux États Unis, ainsi qu’au Liban, pourraient vraisemblablement trouver toute une liste de choses qui pourraient soulager les difficultés quotidiennes plus que le renforcement de la présence impérialiste aux environs de Beyrouth, sous le label écologique.

En voyant cette entité impérialiste telle qu’elle est, c’est-à-dire responsable de l’inondation d’Israël avec des armes sophistiquées qui sont régulièrement utilisées contre le Liban, il ne nous sera pas difficile de comprendre pourquoi beaucoup de Libanais ne voient pas comment ils pourraient avoir des intérêts communs avec les États-Unis. Et nous comprendrons encore mieux si nous pensons au rôle des États-Unis dans la création de l’État islamique qui vise actuellement à terroriser la région.

Par ailleurs, le fait que le Liban ne peut pas être considéré comme un État, mais plutôt comme un mélange schizophrénique de chefs de guerre sectaires qui se battent pour leur part de gâteau, signifie qu’il n’est même pas possible de dire en premier lieu quels sont les intérêts du pays. L’élite politique a certainement l’intérêt commun de conserver la mainmise sur le pouvoir. C’est peut-être la raison pour laquelle l’élite des États-Unis a trouvé un dénominateur commun.

Le journal libanais Daily Star décrit les images montrant la conception technique de la nouvelle ambassade améliorée comme des images « d’une structure vaste et imposante avec de grands blocs rectangulaires [sic] ».C’est un indice qui pourrait nous indiquer que les œuvres d’art internationales pourraient bien ne pas contribuer à changer l’aspect de forteresse offert par l’ambassade actuelle.

C’est la deuxième relocalisation de l’ambassade des États-Unis au Liban, après celle qui a suivi les attentats suicides du mois d’avril de 1983 au site initial de l’ambassade au centre-ville de Beyrouth. Comme l’indique le site web de l’Agence centrale de renseignements, « cette explosion de très forte puissance a tué 63 personnes, dont 17 citoyens américains, parmi lesquels il y avait des agents de la CIA ».

On peut spéculer quant à ce que représente ce faramineux projet de construction d’une nouvelle ambassade sur le sol libanais au niveau de la collecte de renseignements.

Au niveau local, cela entraînera probablement toujours des perturbations de la vie quotidienne des résidents de ce secteur de la ville. La dernière fois que je me suis rendue à cette forteresse dans une colline, en 2012, pour renouveler mon passeport, j’ai été témoin de la frustration des automobilistes, qui étaient contraints de s’arrêter et de subir de longues attentes chaque fois que l’ambassadeur, ou vraisemblablement tout autre citoyen des États-Unis importé, arrivait ou sortait du site.

(Et pourtant, il y a eu du progrès sur le terrain de l’intérêt commun : lorsque je descendais la colline vers Beyrouth, trois soldats de l’armée libanaise m’ont proposé de m’y conduire, et aussi de la bière et de la vodka).

D’autres preuves d’arrogance récentes émanant de l’ambassade en question comprennent une visite de l’ancienne ambassadrice des États-Unis au Liban, Maura Conelly, en 2013, aux ruines anciennes de la ville de Tyr, au sud du Liban. Comme Emily O’Dell l’a documenté au webzine Jadaliyya, l’un des véhicules dans le convoi de Maura Conelly a réussi à aller sur un chemin byzantin et « détruire…une grande partie d’un mur porteur en pierre ».

Dans un communiqué de presse publié le lendemain, l’ambassade expliquait que Maura Connelly « s’était rendue hier à Tyr pour promouvoir la protection du patrimoine culturel et visiter les sites du projet du Fond des ambassadeurs pour la préservation du patrimoine culturel ».

Et même si arrêter le trafic et ruiner les ruines du Liban sont au moins des activités moins offensives que le surarmement de son virulent voisin du sud, elles contribuent toutes à entretenir l’architecture impérialiste qui aide à garantir que le pays continue à servir comme champ de bataille par procuration par excellence.

Dans ses remarques du mois de mai, l’ambassadeur David Hale a promis que la nouvelle ambassade « ne laisserait aucun doute » sur l’engagement des États-Unis avec le peuple libanais : « Les États-Unis sont ici pour rester et pour travailler avec le peuple libanais pour un Liban solide, prospère, souverain, libre et en sécurité ».

Malheureusement pour le Liban, la première affirmation de cette phrase empêche que la deuxième se réalise.

Belen Fernandez est l’auteur de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work, publié par Verso. Elle est collaboratrice à la rédaction pour la revue Jacobin.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : la ville libanaise de Beyrouth (AFP)

Traduction de l’anglais (original) par María Baile Rubio

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