Une nouvelle guerre israélienne contre le Liban ?
Une frappe aérienne israélienne menée par hélicoptère dans la province syrienne de Quneitra dimanche aurait entraîné la mort de six militants du Hezbollah ainsi que de six soldats iraniens, dont des commandants de haut rang. Le Hezbollah et l'Iran combattent aux côtés du président syrien Bachar al-Assad dans ce qui a dégénéré en une guerre contre les djihadistes sunnites.
Parmi les victimes figure Djihad Mughniyeh, commandant du Hezbollah et fils de l'ancienne icône du Hezbollah, Imad Mughniyeh, également assassiné par le Mossad à Damas en 2008. Accusé d'avoir été le cerveau de divers complots contre des cibles israéliennes et autres, Imad n’est pas le premier des Mughniyeh à périr entre les mains des services de renseignements israéliens. Comme le décrivent Dan Raviv et Yossi Melman dans leur livre Spies Against Armageddon: Inside Israel’s Secret Wars, son frère Fouad a été tué par une explosion au sud de Beyrouth, en 1994. Pour attirer Imad, qui se cachait à l'étranger, le Mossad avait utilisé le stratagème de l'« appât mort »: « [Le Mossad] espérait qu'Imad ne pourrait résister à son devoir fraternel, en tant que chiite, d’assister aux funérailles de Fouad. »
L'élimination d'un troisième membre de la lignée Mughniyeh, la progéniture de l’homme qui fut un temps le plus recherché d'Israël, porte donc une forte charge symbolique et force par essence le Hezbollah à envisager des représailles. A cette poudrière s'ajoute le fait que l'assaut aérien a eu lieu seulement trois jours après que le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a averti Israël de représailles imminentes en cas de poursuite des frappes militaires israéliennes en Syrie.
Etant donné la proximité entre le quartier général du Hezbollah et Israël et la relative liberté de mouvement du « Parti de Dieu » en tant qu'acteur non étatique parrainé par l'Iran, il paraîtrait naturel que la responsabilité de rétorquer revienne au Hezbollah plutôt qu’à la République islamique.
Evidemment, beaucoup se demandent pourquoi le Hezbollah, une organisation dont la fonction officielle est de défendre le territoire libanais contre les attaques israéliennes, a jugé que lui et ses alliés pouvaient intervenir dans la guerre en Syrie. Mais les partisans du groupe ont des arguments valables à avancer.
Après l'attaque d'hier, la chercheuse libanaise Amal Saad-Ghorayeb, auteure de Hizbu’llah: Politics and Religion, a fustigé « tous ceux qui appellent encore le Hezbollah à "cesser de combattre ses frères musulmans et revenir à son action de résistance face à Israël", alors qu'il est clair que la Syrie est un autre front pour Israël, qui a apporté à Quneitra un soutien aérien aux groupes affiliés à al-Qaïda ».
Le scrutin de la violence
Dans un article de l’Israel National News, on peut lire une hypothèse sur le timing de l'assassinat de Mughniyeh et compagnie.
L'article cite le major-général (à la retraite) Yoav Galant, ancien chef du commandement sud de l’armée israélienne et candidat à la Knesset lors des élections nationales à venir, qui suggère que « les événements passés montrent que, parfois, le timing n'est pas sans rapport avec les élections ».
Galant fait notamment référence à l'assassinat du commandant du Hamas Ahmad Jabari en 2012, au commencement de l'opération « Pilier de défense », ce saccage militaire orchestré par Israël dans la bande de Gaza à l'approche des élections israéliennes de 2013. D'après Yoav Galant, apparemment, l'opération d'hier a peut-être été menée en partie pour augmenter les chances du Premier ministre Benjamin Netanyahou aux élections de 2015.
Si tel était le cas, il s'agirait toutefois d'un coup médiatique assez risqué, étant donné que cela pourrait donner lieu à une nouvelle confrontation entre Israël et le Liban, deux Etats qui sont restés officiellement en guerre depuis la naissance d'Israël en 1948.
Il convient de rappeler que le Hezbollah a la particularité d'être la seule entité régionale à avoir triomphé de l'ennemi israélien qui, en mai 2000, a été contraint de mettre fin à son occupation longue de 22 ans au sud du Liban suite à une longue campagne de harcèlement dirigée de concert par le Parti de Dieu et ses alliés.
Israël n'a pas non plus rencontré un franc succès dans les interventions militaires qu’il a menées depuis son retrait du sud du Liban, notamment lors de la guerre de 2006, au cours de laquelle sa capacité à détruire de manière disproportionnée et criminelle ne s’est pas traduite par un semblant de victoire, et a en fait renforcé la popularité du Hezbollah dans la région.
Cela ne signifie pas que le Liban n'a rien à craindre de la reprise des hostilités avec son voisin méridional. L'ampleur des dommages infligés au pays en 2006, à la fois en termes de vies civiles et d'infrastructures nationales, souligne le caractère absolument sadique des menaces proférées par la suite par Israël, qui a indiqué qu’il cesserait de faire la distinction entre les cibles du Hezbollah et l'Etat libanais dans les conflits futurs.
Tant que le fer est chaud
Il est impossible de prédire quand le Hezbollah lancera ses représailles, ni la nature précise de celles-ci. Ce qui est clair, en revanche, c’est que les éternels braillements d'Israël sur l'importance primordiale de sa propre défense et sécurité constituent un fantasme délirant. Après tout, la sécurité n’a pas droit de cité dans des provocations délibérément téméraires telles que la frappe aérienne menée dimanche.
Si l'on peut affirmer que les machinations du Hezbollah en Syrie constituent en elles-mêmes une provocation téméraire, l’argument ignore le fait que le groupe voit la préservation du régime syrien comme un élément crucial pour résister aux desseins géopolitiques d'Israël.
Enfin, n'oublions pas que l'existence même du Hezbollah est le résultat d'une provocation d'Israël : lors de son invasion dévastatrice du Liban en 1982, menée dans le but apparent d'éradiquer une autre réaction à l'oppression israélienne, l'Organisation de libération de la Palestine, Israël avait provoqué l'émergence du Hezbollah, élargissant ainsi considérablement la liste des menaces pour sa « sécurité ».
En fin de compte, la réalité est simple : l'entreprise sioniste est basée sur la prolifération de l'insécurité au nom de la sécurité, ce qui sert de prétexte à une militarisation incessante (et aux bénéfices économiques qui l’accompagnent), ainsi qu’à l'usurpation des terres et à d'autres mesures punitives contre les populations à l'intérieur et à l'extérieur du pays.
Vraisemblablement, les manœuvres effectuées hier ne feront que renforcer ces dispositions. Comme on dit, il n'y a rien de tel que de battre le fer tant qu'il est chaud, surtout à coup de frappes aériennes.
- Belen Fernandez est l'auteure de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work (Verso). Elle collabore à la rédaction du magazine Jacobin.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduction de l’anglais (original).
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