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Guerre à Gaza : la pression monte pour une solution diplomatique à la frontière entre le Liban et Israël

Le Hezbollah a manifesté son intérêt pour des négociations avec Israël, mais qu’est-ce qui est sur la table ?
Des flammes et de la fumée s’élèvent au-dessus du Liban, observées depuis le nord d’Israël, le 10 octobre 2023 (Ammar Awad/Reuters)
Par Hanna Davis à BEYROUTH, Liban

En l’absence de solution diplomatique, la frontière sud du Liban avec Israël est une véritable poudrière. Les combats entre le groupe libanais Hezbollah et Israël se sont intensifiés progressivement depuis le 7 octobre, soit depuis que le Hezbollah a été entraîné dans la guerre d’Israël à Gaza.

Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a déclaré le 30 janvier que l’armée israélienne se préparait à une guerre potentielle avec le Hezbollah. Le ministre a également annoncé le 2 février qu’Israël poursuivrait sa campagne militaire destructrice dans la ville de Rafah, à l’extrême sud de Gaza, malgré le fait que près d’un million de civils s’y sont réfugiés et n’ont pas d’autre endroit où aller.

À la suite d’une journée de combats intenses sur le front nord d’Israël, dimanche, Yoav Gallant a prévenu qu’Israël disposait encore de nombreux moyens offensifs. Il a réaffirmé qu’un cessez-le-feu à Gaza n’amènerait pas Israël à cesser ses attaques contre le Hezbollah, affirmant que les combats se poursuivraient jusqu’à ce que les habitants du nord d’Israël puissent retourner « en toute sécurité dans leurs maisons ».

Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a pourtant fait une annonce surprenante lors de son discours de janvier, indiquant qu’il était ouvert à des négociations frontalières avec Israël. Il a précisé cette proposition dans ses discours ultérieurs, en indiquant que les négociations ne pourraient pas avoir lieu tant qu’Israël ne cesserait pas les hostilités à Gaza.

Un accord pour résoudre les points litigieux le long de la « ligne bleue » – la ligne de démarcation, tracée par les Nations unies en 2000, qui divise le Liban, Israël et le plateau du Golan – pourrait éviter ce qui semble de plus en plus être une guerre imminente.

La disposition de Hassan Nasrallah à accepter des négociations sur les frontières terrestres, même si celles-ci ont lieu après la guerre, constitue une rupture par rapport à sa position antérieure qui refusait toute négociation sur les frontières terrestres, explique à Middle East Eye Randa Slim, analyste au Middle East Institute.

Le chef du Hezbollah avait déjà été ouvert aux négociations sur les frontières maritimes, mais son ouverture à des négociations sur les frontières terrestres est une nouveauté, précise l’analyste.

« Le gouvernement libanais ne peut pas s’engager dans ces négociations sans l’autorisation du Hezbollah », ajoute Randa Slim, ce qui donne plus de poids à l’aval que Nasrallah a accordé dans sa déclaration.

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De son côté, Israël, à bout de patience, est devenu de plus en plus agressif, amorçant une nouvelle phase d’attaques ciblées. Début janvier, Israël a assassiné un responsable du Hamas, Saleh al-Arouri, dans le quartier de Dahiyeh à Beyrouth, une attaque dont le chef du Hezbollah a prévenu qu’elle « ne resterait pas sans réponse ni impunité ».

Hassan Nasrallah a pris acte des menaces israéliennes lors de son dernier discours, le 14 janvier. « Nous ne craignons pas la guerre et il n’y aura pas de négociations avant la fin de la guerre à Gaza », a déclaré le chef du Hezbollah, l’acteur non étatique le plus lourdement armé au monde.

« Si aucun accord n’est conclu, alors la pression sera vraiment forte sur le gouvernement israélien pour envoyer l’armée dans le sud du Liban », indique à MEE l’expert du Hezbollah Nicholas Blanford.

« Même s’il ne s’agit que d’une campagne limitée, une campagne limitée peut très facilement gagner en ampleur et devenir illimitée », poursuit-il.

L’envoyé américain à Beyrouth

Cette déclaration inhabituelle de Hassan Nasrallah est survenue quelques jours avant que l’envoyé américain Amos Hochstein n’atterrisse à Beyrouth pour discuter d’une solution diplomatique pour le Sud-Liban, dans le but de restaurer le calme dans la région. Au cours d’une série de réunions avec des parlementaires libanais, dont certains proches du Hezbollah, Amos Hochstein a présenté une approche visant à apaiser la situation le long de la frontière.

Depuis l’incursion du Hamas en Israël le 7 octobre, les responsables israéliens ont envisagé de lancer une attaque préventive contre le Hezbollah, selon le Washington Post. Leurs menaces se sont heurtées à la ferme opposition des États-Unis, qui craignent que le déclenchement d’une guerre totale au Liban n’attire l’Iran et n’oblige Washington à intervenir pour défendre Israël.

« Il est clair que le Hezbollah veut éviter une guerre totale avec les Israéliens »

- Nicholas Blanford, expert du Hezbollah

Les espoirs étaient donc grands pour Amos Hochstein à son arrivée à Beyrouth. L’envoyé avait réussi à négocier un accord sur la démarcation de la frontière maritime entre le Liban et Israël en 2022 et, en août, il s’était de nouveau rendu à Beyrouth pour ouvrir la voie à un accord sur une démarcation de la frontière terrestre.

Si le Hezbollah a rejeté les propositions initiales d’Amos Hochstein pour limiter les affrontements à la frontière israélo-libanaise, d’après Reuters, le groupe armé libanais « ne ferme pas » pour autant la porte à la diplomatie pour éviter une guerre plus large. 

« Il est clair que le Hezbollah veut éviter une guerre totale avec les Israéliens », affirme Nicholas Blanford. Il ajoute que l’Iran ne souhaite pas non plus que le Hezbollah, son principal relais, soit entraîné dans une guerre totale, car cela pourrait éroder un élément clé de l’architecture de dissuasion de l’Iran.

« Mais pour mettre fin à cette situation, les deux parties, le Hezbollah et les Israéliens, doivent remporter une victoire qu’ils devront vendre à leur population respective », déclare Nicholas Blanford.

Amos Hochstein pourrait être de retour au Liban prochainement, si sa visite à Tel Aviv se déroule bien, indiquent des sources citées par le média libanais Naharnet.

Le moment est venu

La pression populaire monte à la fois au Liban et en Israël après quatre mois de combats le long de leur frontière commune, poussant à l’ouverture de pourparlers. Les combats ont provoqué le déplacement de plus de 86 000 Libanais et de 60 000 à 96 000 Israéliens.

Si le Hezbollah est d’un mouvement de résistance armée à l’occupation israélienne, il est devenu l’un des partis politiques les plus puissants du pays. Le parti doit continuellement trouver un équilibre entre ses obligations internationales en tant que principal relais de l’Iran et les désirs de ses électeurs nationaux.

En ce sens, les récentes indications de Hassan Nasrallah quant à sa disposition à s’engager sur la voie de la diplomatie frontalière contribueront à façonner un discours interne selon lequel l’implication du groupe ne vise pas seulement à soutenir le Hamas, mais aussi à défendre les intérêts libanais, explique Randa Slim.

« Le Hezbollah considère la libération des territoires occupés par Israël comme un objectif important. S’il y parvient, cela confirmera que ce qu’il a fait pour soutenir le peuple palestinien était également dans l’intérêt du Liban », affirme à MEE Kassem Kassir, un analyste libanais réputé proche du parti.

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Si le soutien au Hezbollah, parti musulman chiite, est fortement divisé entre les différentes communautés confessionnelles – la grande majorité du soutien provenant des populations chiites du Liban – le groupe s’efforce depuis longtemps d’obtenir l’appui des communautés chrétiennes et musulmanes sunnites.

Le parti ne veut pas alimenter les critiques, notamment de la part de ses adversaires politiques chrétiens, qui lui reprochent d’entraîner le Liban dans une guerre non désirée, alors que le pays traverse l’une des pires crises économiques au monde.

Israël est également soumis à une « pression énorme », compte tenu des centaines de milliers de personnes déplacées des frontières nord et sud du pays et, surtout, des otages toujours détenus par le Hamas à Gaza, indique à MEE David Schenker, membre du Washington Institute, basé à Washington, D.C.

Pour les Israéliens qui résident dans le nord, la présence du Hezbollah le long de la frontière est « intolérable », poursuit-il, surtout du fait des conséquences psychologiques de l’attaque du Hamas dans le sud d’Israël. « Le Hamas s’est inspiré de l’exemple du Hezbollah », ajoute David Schenker.

Qu’est-ce qui est sur la table ?

L’envoyé américain Amos Hochstein, au cours de sa visite à Beyrouth, a suggéré que la frontière terrestre soit négociée après la cessation des hostilités. Il s’agirait notamment de résoudre les treize points litigieux et de régler la question des fermes de Chebaa et des collines de Kfarchouba, qui sont occupées par Israël, revendiquées par le Liban et considérées internationalement comme des territoires syriens, selon le quotidien libanais francophone L’Orient-Le Jour.

Un autre élément crucial des négociations serait le rétablissement du contrôle du Liban sur la partie nord de la ville de Ghajar, autour de laquelle Israël avait érigé un mur en juillet. La partie nord de la ville se trouve du côté libanais de la ligne bleue tracée par l’ONU en 2000.

En amont de la visite d’Amos Hochstein à Beyrouth, le Premier ministre intérimaire du Liban, Najib Mikati, dont les efforts diplomatiques ont été soutenus par le Hezbollah, a réaffirmé qu’une solution diplomatique devrait être « liée à la fin de l’agression [israélienne] à Gaza » et « revenir à l’accord d’armistice [de 1949] et à la situation d’avant 1967 [dans le Sud-Liban] ». Il s’agit de la ligne d’armistice ou « ligne verte » tracée avant l’occupation par Israël du plateau du Golan en 1967.

Israël souhaite que la force d’élite Radwan du Hezbollah, qui compte environ 2 500 combattants, se déplace au nord du fleuve Litani, à environ 30 km de la frontière, conformément à la résolution 1701 des Nations unies. Israël a déclaré que ce déplacement se ferait soit par la voie diplomatique, soit, en cas d’échec des négociations, par le biais d’une offensive militaire majeure.

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Kassem Kassir, l’analyste proche du Hezbollah, a déclaré que le parti « ne [voyait] pas d’inconvénient à se retirer de la zone frontalière ». Bien que des informations divergentes aient circulé sur la distance jusqu’à laquelle le Hezbollah pourrait être prêt à se retirer, il a également été rapporté que les discussions portaient sur un retrait du Hezbollah plus limité d’environ 10 km au-delà de la ligne bleue tracée par les Nations unies.

Nicholas Blanford affirme que le Hezbollah pourrait être disposé à s’éloigner de la frontière en échange de concessions de la part d’Israël. Selon lui, ces concessions pourraient impliquer la fin des violations israéliennes de l’espace aérien libanais et un retrait israélien du nord de Ghajar et des fermes de Chebaa : autant de points qu’Israël est susceptible de réaliser « maintenant plus que jamais auparavant ».

« Le Hezbollah peut vendre cela [aux Libanais] et dire “Regardez, la résistance fonctionne et c’est le seul langage que les Israéliens comprennent” », ajoute Nicholas Blanford.

Israël ne vise pas non plus le « désarmement total du Hezbollah », précise l’expert, mais se contente de le repousser des zones frontalières immédiates, hors de portée de tir des villages du nord d’Israël.

« C’est vraiment une question de perception », affirme-t-il, expliquant que si le Hezbollah devenait « à nouveau invisible » et ne reconstruisait pas les bases et les postes d’observation qu’il a mis en place ces derniers mois, cela pourrait suffire à Israël pour convaincre les personnes évacuées de rentrer chez elles.

David Schenker se montre toutefois moins optimiste. « Personne ne peut croire que les forces de Radwan ne retourneront pas à leurs postes », affirme-t-il. « Il n’y a aucune confiance dans les capacités de la FINUL », ajoute-t-il, soulignant que la force de maintien de la paix de l’ONU a plus de soldats de la paix par kilomètre dans le sud du Liban que n’importe où ailleurs dans le monde.

Le Hezbollah était censé se désarmer conformément à la résolution 1701 de l’ONU, mais cela n’a jamais été le cas.

« Ils [Israël] n’accepteront pas les violations rampantes surveillées par une ONU qui craint les conflits », déclare David Schenker.

« Il doit y avoir des mesures vérifiables [à la frontière entre le Liban et Israël], sinon Israël prendra des mesures cinétiques pour mettre en œuvre ces mesures lui-même. »

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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