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Guerre Israël-Palestine : vous voulez comprendre la guerre à Gaza ? Regardez le siège de Beyrouth en 1982

La guerre et le blocus de Gaza que mène Israël ont attiré l’attention sur une tactique similaire employée lors du siège de la capitale libanaise Beyrouth en 1982
Une colonne de fumée s’élève après un bombardement israélien sur Beyrouth lors de l’invasion en 1982 (AFP)
Par Nader Durgham à BEYROUTH, Liban

Dans un contexte de bombardements intensifs, de chasses à l’homme et de pénuries alimentaires, Ghassan Jnaynati (19 ans) et ses amis avaient créé leur propre boulangerie pour permettre aux gens de préparer de la nourriture avec ce qu’il leur restait.

Le siège de Beyrouth par Israël en 1982 a impliqué la coupure de l’accès à la nourriture, l’eau, l’électricité et aux moyens de transport de la moitié ouest de la ville – une situation qui n’est pas sans rappeler ce qui se passe actuellement à Gaza.

Se remémorant son expérience, Ghassan Jnaynati pense cependant que la situation à Gaza est trop grave pour ressembler entièrement à ce qui s’est passé à Beyrouth il y a 41 ans.

« Il n’y a aucune comparaison entre ce qui se passe actuellement à Gaza et ce qui s’est passé en 1982 », estime-t-il.

Néanmoins, les experts jugent utiles d’observer ce qui s’est passé à Beyrouth pour avoir un aperçu potentiel de l’avenir de Gaza au vu des circonstances qui ont conduit à ces situations dans les deux villes.

Dans les années 1980, alors que le Liban était au milieu de quinze années d’une guerre civile, Israël, aidé par ses alliés des milices libanaises de droite, a envahi le pays, atteignant la capitale libanaise et assiégeant sa moitié occidentale.

En dehors de la Palestine, Beyrouth a été la première et la seule capitale arabe à être occupée et assiégée par Israël.

« Les Palestiniens en Palestine »

Selon les Israéliens, l’objectif initial était d’éliminer du Liban les groupes armés palestiniens opérant contre Israël, à savoir l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui était en quelque sorte le Hamas de son époque.

« Israël a fixé certains objectifs pour cette opération : l’élimination du Hamas », déclare l’historien Wassim Mroue à Middle East Eye. « [Cela] nous rappelle les objectifs qu’Israël s’était fixés en 1982, à savoir l’élimination de l’OLP et son expulsion de Beyrouth. »

Les responsables israéliens ont, à plusieurs reprises, défini différents objectifs pour leur guerre en cours à Gaza, allant du démantèlement complet du Hamas à l’évacuation de ses dirigeants vers d’autres pays.

Leur guerre actuelle a commencé après qu’une attaque menée par le Hamas contre le sud d’Israël a tué environ 1 200 Israéliens.

Les frappes aériennes d’Israël et l’invasion terrestre qui a suivi ont tué plus de 14 000 Palestiniens, dont 5 840 enfants, et détruit une grande partie de la moitié nord de la région palestinienne assiégée.

Des manifestants palestiniens participent à une marche pour commémorer le 40e anniversaire du massacre de Sabra et Chatila devant le camp de réfugiés palestiniens de Sabra, dans le sud de Beyrouth, le 16 septembre 2022 (AFP)
Des manifestants palestiniens participent à une marche pour commémorer le 40e anniversaire du massacre de Sabra et Chatila devant le camp de réfugiés palestiniens de Sabra, dans le sud de Beyrouth, le 16 septembre 2022 (AFP)

Alors que l’OLP s’est finalement rendue et a quitté Beyrouth, le contexte à Gaza ne produira pas nécessairement un résultat similaire.

« L’OLP était composée de Palestiniens au Liban », ajoute l’historien. « Mais à Gaza, ce sont des Palestiniens en Palestine. »

Si Israël peut tenter d’assiéger Gaza afin de forcer le Hamas à se rendre, les événements suivants peuvent diverger de ce qui s’est passé avec l’OLP.

« Que signifie un renoncement du Hamas ? », s’interroge Wassim Mroue. « Ils pourraient continuer à avoir du soutien. »

« Pas d’autre option »

Selon l’historien, le siège et les bombardements continus d’Israël au Liban ont constitué un moyen de pression pour forcer les habitants de Beyrouth à exiger le départ de l’OLP.

Alors que des véhicules blindés israéliens patrouillaient sur les routes environnantes de la ville, on voyait des enfants faire la queue pour obtenir de l’eau tandis que des tas d’ordures brûlées jonchaient les rues. Les adultes attendaient anxieusement les rations alimentaires de la Croix-Rouge, tandis que la fumée des bâtiments bombardés emplissait le ciel.

« Il n’y avait aucun indice [en 1982] que l’équilibre des forces pouvait être modifié en faveur de l’OLP… Donc, pour beaucoup de Beyrouthins, il n’y avait pas d’autre solution que le départ de l’OLP »

- Wassim Mroue, historien libanais

Si les civils ainsi que les dirigeants politiques et paramilitaires libanais étaient au départ divisés quant à l’expulsion des combattants palestiniens, Wissam Mroue explique que le blocus et les bombardements qui duraient depuis des semaines ont donné à beaucoup l’impression que leurs options étaient limitées.

« Il n’y avait aucun indice que l’équilibre des forces pouvait être modifié en faveur de l’OLP », poursuit-il.

« L’Union soviétique n’est pas intervenue, la Syrie a eu un engagement limité avec l’armée israélienne mais a ensuite signé un cessez-le-feu, [et] les pays arabes n’ont rien fait de concret pour arrêter cette invasion.

« Donc, pour beaucoup de Beyrouthins, il n’y avait pas d’autre solution que le départ de l’OLP. »

L’OLP a finalement accepté de quitter la ville en août de la même année, avec une force multinationale supervisant l’évacuation de la plupart des combattants du groupe. Israël a alors levé son blocus.

« Ne tirez pas, nous battons en retraite »

Contrairement à la situation actuelle à Gaza, les forces israéliennes, en raison d’un accord négocié par les États-Unis, sont restées à la périphérie de Beyrouth tout au long du siège.

Après le départ de l’OLP, l’armée israélienne espérait atteindre son deuxième objectif : installer un gouvernement ami au Liban et lui faire signer un accord de paix.

Ce n’est qu’après la suspension de ce plan, en raison de l’assassinat du président élu pro-israélien Bachir Gemayel, qu’elle a décidé d’envahir la ville en bonne et due forme.

En raison de l’absence de combattants palestiniens et du démantèlement de la plupart des barricades, il était difficile pour les forces libanaises musulmanes et laïques de gauche d’empêcher l’avancée israélienne.

La résistance populaire qui a suivi l’occupation, cependant, a constitué un tout autre obstacle pour les Israéliens.

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Ghassan Jnaynati, habitant de Beyrouth, raconte : « [Les Israéliens] sont entrés dans les rues, y ont pénétré, et la nuit, les habitants de Beyrouth leur tiraient dessus, les effrayaient. »

Le jeune homme a fini par s’enfuir dans les montagnes, alors que les forces israéliennes détenaient des jeunes de chaque région de Beyrouth, dont beaucoup étaient des non-combattants.

Ghassan Jnaynati et Wissam Mroue mentionnent tous deux l’opération Wimpy – un Libanais, Khaled Alwan, avait abattu un soldat israélien dans un café de Beyrouth-Ouest – comme un tournant dans les attaques libanaises contre les soldats israéliens.

La presse locale affirmait qu’Alwan avait motivé les gens à prendre les armes contre leurs occupants, alors même que ces derniers se retiraient de la ville.

Le siège et l’occupation qui ont suivi ont tué des milliers de citoyens libanais et palestiniens, pour la plupart des civils. De nombreux facteurs, y compris la pression internationale, ont contribué au retrait final d’Israël de Beyrouth-Ouest à la fin du mois de septembre.

Une scène, cependant, reste ancrée dans l’esprit des habitants de Beyrouth : un soldat israélien, dans un char, criant dans un haut-parleur : « Population de Beyrouth, ne tirez pas sur les forces israéliennes, nous battons en retraite. »

« Le fait qu’ils l’aient dit indique que l’une des principales raisons de leur départ était la résistance armée croissante », assure Wissam Mroue.

« Nous sommes capables d’y faire face »

Bien qu’il ait chassé l’OLP et affaibli de façon permanente son efficacité en tant que force militaire, Israël n’a jamais été en mesure d’éradiquer le mouvement. En fait, les combattants palestiniens ont poursuivi leurs opérations à bas niveau pendant des années après 1982.

Une autre conséquence inattendue de l’invasion du Liban par Israël a été la création du mouvement militant Hezbollah, soutenu par l’Iran, désormais considéré comme le groupe paramilitaire le plus puissant du monde arabe.

Israël s’est progressivement retiré de plusieurs régions du Liban et a quitté les zones occupées restantes du sud en 2000, sous la forte pression de la résistance locale dirigée par le Hezbollah.

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« Il a subi des pressions dans le sud et est resté aux mains des Libanais », indique à Middle East Eye Ibrahim Mneimneh, député libanais représentant les districts de Beyrouth qui étaient autrefois occupés.

Après son retrait, Israël a tenté, pour la deuxième fois, de vaincre ses nouveaux ennemis au Liban. Le pays a mené une guerre d’un mois contre le Hezbollah en 2006, qui s’est terminée par une impasse et l’échec des forces israéliennes à infliger un coup préjudiciable au groupe.

Actuellement, parallèlement à sa guerre à Gaza, Israël est confronté à des affrontements réguliers à la frontière avec le groupe militant libanais à sa frontière nord. Les affrontements transfrontaliers ont fait au moins 95 morts au Liban depuis le 7 octobre, la plupart des combattants du Hezbollah, mais aussi au moins 14 civils, selon un décompte de l’AFP.

Ces derniers jours, plusieurs responsables et journalistes israéliens ont menacé de bombarder Beyrouth si le Hezbollah tentait de les provoquer. Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, est même allé jusqu’à dire qu’ils feraient à la capitale libanaise ce qu’ils font actuellement à Gaza.

Selon Ibrahim Mneimneh, en raison des événements de 1982, de nombreux habitants ne craignent pas les menaces israéliennes récurrentes contre la capitale.

« D’une certaine manière, il y a un rappel de la mémoire, du fait que nous sommes capables de faire face à cela », avance-t-il. « Je ne pense pas que le traumatisme de 1982 soit présent comme on pourrait l’imaginer. »

« Personne ne sait à quoi la folie israélienne pourrait mener »

- Ibrahim Mneimneh, député libanais

D’après le député, lorsqu’ils envisagent un débordement potentiel de la guerre israélo-palestinienne dans certaines parties du Liban, les gens sont plus inquiets d’une campagne de frappes aériennes israéliennes comme celle de 2006.

Dans le même ordre d’idées, Wissam Mroue observe que les effectifs, l’arsenal et l’expérience de combat du Hezbollah rendent une invasion terrestre israélienne du Liban hautement improbable, car le groupe militant est beaucoup plus puissant que ne l’était l’OLP au début des années 1980.

Face aux craintes continues de guerre, le média Axios a cité des cadres de l’administration Biden affirmant que les responsables américains craignaient qu’Israël ne tente de provoquer le Hezbollah et le Liban dans une guerre plus large, ce qui obligerait les Américains à s’impliquer.

Réagissant à cela, Ibrahim Mneimneh déclare que la présence supplémentaire de forces militaires américaines et occidentales dans la région pourrait avoir encouragé Israël à provoquer un tel scénario.

« Personne ne sait à quoi la folie israélienne pourrait mener », conclut-il.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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