Vladimir Poutine à Paris : le point sur les relations franco-russes
En attendant le sommet du G20, qui aura lieu en Argentine à la fin du mois, les commémorations du 11 novembre sont l’occasion pour un certain nombre de chefs d’États et de gouvernements de se retrouver.
Le président français Emmanuel Macron a décidé de placer l’événement sous le signe du « plus jamais ça » et d’en faire un forum sur la paix plutôt qu’une parade militaire.
Parmi les dizaines de dignitaires conviés à Paris, certains font plus parler d’eux que d’autres. La présence d’Angela Merkel est évidemment incontournable au vu de l’importance accordée à l’amitié franco-allemande. En revanche, la présence de Recep Tayyip Erdoğan semble susciter plus d’interrogations, notamment en raison du refus turc de reconnaître le génocide arménien de 1915.
Il a beaucoup été question d’une rencontre, en marge de ces commémorations, entre les présidents russe et américain. Tout indique que Vladimir Poutine et Donald Trump se retrouveront brièvement et que la seule véritable rencontre bilatérale sera le rendez-vous de samedi entre le chef d’État américain et son homologue français.
Le flou concernant un hypothétique tête-à-tête russo-américain sur le sol français s’explique probablement à la fois par des difficultés d’ordre logistique (un agenda resserré) et par l’agacement d’Emmanuel Macron
Le flou concernant cet hypothétique tête-à-tête russo-américain sur le sol français s’explique probablement à la fois par des difficultés d’ordre logistique (un agenda resserré) et par l’agacement d’Emmanuel Macron. Un agacement aisément compréhensible puisqu’un mini-sommet Trump-Poutine occulterait l’ensemble des commémorations organisées par Paris.
Ce malentendu, assez insignifiant sur le fond – les deux dirigeants comptent prendre le temps de discuter plus longuement à la fin du mois en Argentine – a le mérite de révéler une certaine prééminence de Moscou et de Washington aux yeux des commentateurs. Il révèle aussi, au même titre que l’événement lui-même, l’intention de la France de conserver un rôle sur la scène internationale.
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« On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens » : la formule du cardinal de Retz correspond assez bien à la nature des rapports de force internationaux. L’ambiguïté caractérise assez bien un certain nombre de relations, y compris entre alliés, et la relation entre Paris et Moscou ne déroge pas à la règle.
Ce que nous appelons « ambiguïté » ici est ce mélange de tensions et de coopération qui, s’il n’est pas tout à fait nouveau, a récemment pris de drôles de formes. Pour ce qui est des tensions, citons les sanctions européennes (prorogées jusqu’en 2019) dans la foulée de la crise ukrainienne et le climat de défiance entre l’Élysée et certains médias russes, au premier rang desquels l’agence Sputnik et la chaîne RT.
En dépit de ces tensions évidentes – et il en est de même entre la Russie et ses autres partenaires « occidentaux » – rappelons que la France a participé à la désescalade en Ukraine (accord de Minsk II en 2015) sous François Hollande, tout comme elle avait participé à la fin du conflit géorgien sous Nicolas Sarkozy (accords de 2008). Mais avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron et le départ de Laurent Fabius (peu apprécié à Moscou) du Quai d’Orsay, une certaine convergence est perceptible.
Vers une coopération accrue au Moyen-Orient ?
Si la Russie n’a toujours pas digéré l’intervention militaire en Libye et le soutien apporté par Paris aux rebelles en Syrie, elle compte bien « faire entendre raison » à ses partenaires européens dans le dossier syrien (comme elle l’a fait avec la Turquie). C’est en partie ainsi qu’il faut comprendre le sommet d’Istanbul de la fin octobre, un format inédit rassemblant Moscou, Ankara, Paris et Berlin où il a notamment été question de la transition politique en Syrie.
La stratégie russe consiste désormais à multiplier les partenariats de circonstance et à se présenter comme une puissance alternative et médiatrice. Elle veut aussi apparaître comme un partenaire fiable (par opposition aux États-Unis), par exemple en souhaitant trouver un moyen de compenser, avec Paris et Berlin, la sortie de Washington de l’accord sur le nucléaire iranien.
La France a rejeté la politique russe en faveur du pouvoir syrien comme elle avait rejeté l’invasion américaine en Irak, mais elle entend participer à la reconstruction, y compris politique, du pays
En Syrie, il ne serait pas absurde d’imaginer un scénario analogue (avec quelques différences évidentes) à la situation en Irak après l’invasion américaine en 2003 : la France a rejeté la politique russe en faveur du pouvoir syrien comme elle avait rejeté l’invasion américaine en Irak, mais elle entend participer à la reconstruction, y compris politique, du pays, comme elle a joué un rôle (certes limité) en Irak aux côtés des Américains. La principale difficulté concerne la nécessité de renouer avec un pouvoir syrien honni toujours en place.
Le conflit israélo-palestinien peut aussi faire l’objet d’un rapprochement franco-russe. Paris et Moscou s’accordent sur la nécessité d’une solution à deux États impliquant un retour aux frontières de 1967. La Russie a, de son côté, déjà reconnu l’État palestinien. Les deux pays ont, par ailleurs, condamné le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. Face à une administration américaine résolument anti-palestinienne, soutenue dans la région par Riyad, Moscou et Paris sont peut-être amenés à collaborer prochainement sur cette question.
Au-delà du rôle déterminant joué en Syrie, la Russie est de plus en plus présente dans des régions naguère considérées comme des « chasses gardées » de la diplomatie française.
Il en est ainsi du Liban, où la Russie peut compter sur un ambassadeur très actif, Alexandre Zasypkine, qui peut discuter avec l’ensemble des acteurs politiques libanais (notamment le Hezbollah, partenaire en Syrie). Au-delà des échanges économiques et des promesses de ventes d’armement, nous pouvons citer la mise en place d’une commission libano-russe sur le retour des réfugiés syriens.
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Les ambitions russes sont loin de s’arrêter au Moyen-Orient. Dans sa volonté de jouer le rôle de garant de la logique territoriale et de la souveraineté des États (contre les réseaux transnationaux et les ingérences), la Russie a décidé d’offrir ses « services » en Afrique, au grand dam de Paris. En Centrafrique, la Russie semble jouer un rôle grandissant allant de l’équipement des forces armées centrafricaines à la protection du président centrafricain lui-même.
Un siècle après la fin de la Première Guerre mondiale, dont l’issue a profondément bouleversé le Moyen-Orient (fin de l’Empire ottoman, mandats français et britanniques, nouveaux États arabes), l’idée que des puissances extérieures puissent décider de l’avenir de la région (notamment de la Syrie) est demeurée intacte.
Notons toutefois que les puissances ne sont plus tout à fait les mêmes et que les acteurs locaux ne sont plus aussi dociles. Mais une chose a bien changé en 100 ans : les puissances concernées agissent aussi en pensant aux conséquences sur leurs propres territoires, qu’il s’agisse de sécurité ou de réfugiés.
- Adlene Mohammedi est docteur en géographie politique et spécialiste de la politique arabe de la Russie et des équilibres géopolitiques dans le monde arabe. Il dirige Araprism, site et association consacrés au monde arabe. Il travaille, par ailleurs, sur la notion de souveraineté et sur les usages actuels du droit international. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AdleneMo
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Photo : le président français Emmanuel Macron et Vladimir Poutine à Versailles en mai 2017 (AFP).
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