Volonterrorisme en Israël ?
Lors d’un voyage à Amsterdam il y a quelques années, ma mère a eu le malheur de rencontrer une autre touriste américaine, d’environ 70 ans, qui ne se contentait apparemment pas de se relaxer et de profiter de ses vacances mais s’évertuait plutôt à recruter des gens pour faire du bénévolat sur des bases de l’armée israélienne.
Ayant récemment pris part à un programme organisé par le groupe américain Volunteers for Israel (VFI), la femme a juré que c’était l’occasion d’une vie : logé et nourri gratuitement, une noble cause – et être juif n’est pas obligatoire !
Ma mère l’a repoussée, mais a gardé le bout de papier sur lequel la femme avait noté l’adresse du site de VFI, ainsi que celui de son partenaire israélien Sar-El, le volontariat civil pour Israël, qui envoie les volontaires internationaux sur des bases et supervise leurs activités.
VFI se présente comme une « organisation à but non lucratif, apolitique, non sectaire » – bien qu’il soit difficile d’imaginer quoi que ce soit de plus politique et sectaire qu’un soutien matériel à une armée sioniste qui se consacre au nettoyage ethnique et aux fréquents massacres de civils.
Le site explique que le programme a débuté en 1982 « pendant la première guerre avec le Liban, lorsque les agriculteurs israéliens sur le plateau du Golan [occupé] étaient face à la perspective de perdre leurs récoltes ».
La cause de cette crise agricole : « La plupart des hommes et des femmes valides avaient été appelés pour servir dans la réserve. » La solution : faire venir des volontaires des États-Unis pour « récolter les cultures et sauver l’économie ». Résultat : « Plus de 600 bénévoles ont répondu immédiatement et les cultures ont été sauvées. »
De plus, cette expérience a été « si enrichissante et réussie sur le plan personnel » qu’elle a donné naissance à toute une entreprise bénévole. Le site Sar-El note que, en 2010, le projet avait « attiré plus de 132 000 bénévoles ».
En attendant, les cultures du Golan ont peut-être été sauvées, mais on ne peut pas en dire autant des quelque 20 000 victimes de l’invasion du Liban par Israël, des civils en grande majorité. Il convient de mentionner aussi qu’il ne s’agissait pas, en fait, de la « première guerre » contre ce pays – les hommes et les femmes valides des forces armées israéliennes ayant effectué une mission semblable quatre ans plus tôt, mais avec un nombre de victimes moins élevé.
Selon VFI, « The Best Thing You Can Give Israel Is … Yourself. » (« La meilleure chose que vous puissiez donner à Israël, c’est… vous » »). Mais si vous ne pouvez pas le faire, le site suggère bien d’autres façons de s’impliquer : inclure VFI dans votre testament, faire un don via AmazonSmile ou planter des arbres en Israël. Dans le cas où le radin que vous êtes envisageait de planter un demi-arbre, la « quantité minimale autorisée est un arbre ».
Pour ceux qui ont l’argent pour couvrir les billets d’avion pour Israël, en plus des 100 dollars de frais de candidature auprès de VFI, il existe des programmes d’une à trois semaines répartis selon trois catégories : les jeunes adultes âgés de 17 à 25 ans, les adultes et les groupes. Les participants au programme distinct Taglit-Birthright ont la possibilité de prolonger leur session de rapprochement avec la patrie retrouvée en rajoutant une tournée de service bénévole.
La description du programme pour les adultes contient une photo de gens d’âge moyen extatiques en uniforme vert et cette remarque alléchante : « Vous travaillerez aux côtés des soldats, des employés des bases et d’autres bénévoles […] réalisant des missions de soutien civil telles que l’emballage de fournitures médicales, la réparation de machines et d’équipement, la construction de fortifications ainsi que le nettoyage, la peinture et l’entretien de la base. »
Il n’y a pas de limite d’âge maximal pour participer, mais il y a quelques autres restrictions importantes. L’interminable formulaire de candidature spécifie que les personnes vivant avec le « VIH ou le SIDA » seront exclues, de même que les personnes souffrant d’apnée du sommeil, ce qui « provoque des ronflements bruyants, une suffocation ou un étouffement qui peuvent interférer avec le sommeil des autres volontaires dans une chambre avec plusieurs lits superposés et/ou mettre les volontaires en danger pendant la journée de travail en raison, par exemple, de la fatigue diurne. »
Si seulement on pouvait s’inquiéter autant de la qualité du sommeil des Palestiniens, plutôt que de les bombarder jour et nuit et de démolir leurs maisons.
Ce qui nous amène à la question : pourquoi est-ce que l’une des armées les plus puissantes au monde, la force de combat d’un État qui reçoit des milliards de dollars par an de la superpuissance mondiale, a besoin d’aide bénévole ?
Comme s’en targue le site Sar-El, le programme de bénévolat comporte de nombreux avantages : il favorise l’immigration juive en Israël, « encourage de nouvelles amitiés », « contribue à l’économie d’Israël » et « crée des ambassadeurs de bonne volonté pour Israël ».
En bref, les bénévoles sont censés forger un lien physique et émotionnel avec Israël et ses soldats, avant d’en parler au monde. Exemple : la casse-pieds à Amsterdam ou l’étudiant de Floride qui a écrit pour le Huffington Post au sujet de son « expérience à couper le souffle et révélatrice » de bénévolat avec l’armée israélienne, qui, a-t-il assuré à son auditoire dans sa deuxième phrase, n’était pas « une histoire de politique ».
Une stratégie de longue date de la hasbara, ou propagande, israélienne a, bien sûr, été de remplacer les questions politiques sérieuses par des questions inoffensives et superficielles. En 2010, je suis tombée sur un site web (aujourd’hui disparu), fourni par le ministère israélien de la Diplomatie publique et des Affaires de la diaspora, qui donnait à tous ceux voulant être un « ambassadeur novice » honoraire d’Israël des conseils sur la façon de lutter contre les « piques des critiques » à l’encontre de l’État juif.
L’objectif déclaré du site était de « permettre à chacun de nous de s’armer d’informations et de fierté sur les contributions mondiales et l’histoire d’Israël et de présenter une image plus réaliste d’Israël dans le monde ».
De nombreuses contributions ont été répertoriés sur le site, notamment une broutille intrigante comme : « Une invention israélienne relative à un dispositif d’épilation électrique rend les femmes heureuses partout dans le monde. »
Hélas, les Palestiniens ne sont pas parvenus à avoir un tel impact durable sur la culture mondiale et tout ambassadeur novice pour la Palestine serait plutôt condamné à mémoriser des choses comme le nombre d’enfants assassinés par l’armée israélienne.
Parmi les autres futilités pertinentes, on note que les États-Unis définissent le terrorisme comme se composant des activités qui « semblent être destinées à intimider ou contraindre une population civile ». Comme on ne peut nier le fait que ce soit l’une des fonctions de base de l’armée israélienne, peut-être que tous ceux qui souhaitent donner un coup de main doivent désormais se voir attribués le rôle de « volonterroriste ».
- Belen Fernandez est l’auteure de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work (Verso). Elle collabore à la rédaction du magazine Jacobin.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : de jeunes israéliens rampent dans le sable pendant une session de formation pour les Unités d’élite de l’armée israélienne dans la ville de Herzliya, près de Tel Aviv, le 19 février 2016 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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