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En Syrie, l’agriculture doit être au centre de toute relance économique 

La reconstruction du système agricole syrien passera par une problématique essentielle en cette journée mondiale de l’environnement : résoudre la question de l’eau
Un Syrien récolte des tiges de blé à Hazerma, en septembre 2017 (AFP)

Si – et c’est un très hypothétique si – la paix finit par revenir en Syrie, l’une des premières tâches consistera à rebâtir le secteur agricole du pays. Ce sera un projet titanesque.

La guerre a dévasté l’essentiel de ce qui était autrefois l’un des systèmes agricoles les plus productifs du Moyen-Orient. Les systèmes d’irrigation et les stations de pompage d’eau ont été démolis, les silos à grains ont été détruits et, avec les combats, des terres agricoles autrefois fertiles ont été abandonnées. 

Au-delà des destructions provoquées par la guerre, la Syrie subit les effets du changement climatique : une grave sécheresse a considérablement fait chuter la production céréalière ces deux dernières années.

Commerce en voie de disparition

Une équipe de chercheurs de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et du Programme alimentaire mondial (PAM) s’est récemment rendue en Syrie. Après avoir mené des enquêtes auprès de milliers de ménages et s’être entretenue avec des responsables, elle a produit un rapport exhaustif concernant l’état de l’agriculture dans le pays. 

Selon l’étude, le constat est désastreux. Il n’y a pas si longtemps, la Syrie était autosuffisante en ce qui concerne la plupart des produits alimentaires et l’un des plus gros exportateurs de produits agricoles du Moyen-Orient. La viande de mouton, de bétail et de volaille, ainsi que le coton, les pommes de terre, les tomates, le sucre, l’huile d’olive, les pommes et les oranges étaient exportés. Les pays du Golfe constituaient un marché particulièrement important pour les produits syriens. 

Étant donné la rareté des semences, les perspectives sont sombres concernant la récolte de cette année

Le gros de ce commerce a aujourd’hui disparu. Le pays, qui faisait autrefois partie des greniers à blé du Moyen-Orient, est devenu largement dépendant des importations de céréales, principalement de Russie. Le rapport FAO/PAM estime que 5,5 millions de Syriens – soit près du tiers de la population actuelle – se trouvent désormais « en situation d’insécurité alimentaire » et ont besoin d’une forme quelconque d’assistance alimentaire pour survivre. 

Cette étude indique que, même si la hausse des prix s’est quelque peu atténuée ces deux dernières années, le panier moyen de produits alimentaires reste sept fois plus cher qu’en 2011.  

Mauvaise gestion de l’eau

Le pain constitue le cœur de l’alimentation syrienne. Avant 2011 et le début du conflit, la production de blé syrienne s’élevait en moyenne à plus de quatre millions de tonnes par an. La guerre et la destruction des infrastructures, associées à une sécheresse prolongée, ont entraîné une baisse de la récolte de blé à seulement 1,2 million de tonnes l’an dernier – le niveau le plus bas depuis près de 30 ans. Étant donné la rareté des semences, les perspectives sont sombres concernant la récolte de cette année.

L’une des tâches les plus critiques de tout processus de reconstruction consiste à résoudre le problème de l’eau. Un discours fréquent veut que le changement climatique soit l’une des principales causes des événements ayant provoqué la révolte de 2011, que les agriculteurs, obligés de quitter leurs terres en raison d’une période prolongée sans pluie, ont rejoint les manifestations en ville.

Une déplacée syrienne porte de l’eau sur son épaule dans le camp d’al-Hol, le 18 avril (AFP)

Cependant, même si la sécheresse et les températures élevées ont exacerbé les tensions, des années de mauvaise gestion chronique de l’eau par les autorités à Damas ont été l’un des élémentsclé des troubles ruraux. Pendant la longue période que Hafez al-Assad a passé au pouvoir, l’homme fort syrien a encouragé la multiplication des cultures gourmandes en eau, telles que le coton. Il en a résulté un grave épuisement des ressources en eau, près de 90 % de l’eau disponible dans le pays était utilisée par l’agriculture. 

En revanche, le fils de Hafez, Bachar, s’est présenté comme un modernisateur à son arrivée au pouvoir en 2000, encourageant les entreprises de haute technologie et les entreprises commerciales plutôt que le développement agricole. Les projets concernant l’eau ont été abandonnés, les subventions pour le carburant accordées aux agriculteurs pour le pompage de l’eau ont été supprimées, un exode massif s’en est suivi vers les villes, et les manifestations ont été de plus en plus nombreuses. 

Si la Syrie veut à nouveau s’acheminer vers l’autosuffisance alimentaire, il faudra procéder à une refonte complète du système d’approvisionnement en eau du pays. Des milliards de dollars sont nécessaires pour la rénovation des barrages, des stations de pompage et des systèmes d’irrigation. 

Signes d’espoir

Les planificateurs d’après-conflit sont confrontés à un autre problème majeur : la Syrie dépend fortement des eaux des fleuves des États voisins, en particulier de la Turquie. L’Euphrate, qui prend sa source en Turquie, est une source d’eau vitale pour une grande partie du pays. 

Aujourd’hui, en raison des changements climatiques et du vaste programme de construction de barrages mis en place ces dernières années par-delà la frontière dans l’est de la Turquie, le débit de l’Euphrate à travers la Syrie s’est considérablement réduit. Damas devra négocier un accord de partage de l’eau avec Ankara.  

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Pourtant, malgré tous les problèmes, des signes d’espoir existent. 

« La résilience du secteur agricole est une histoire étonnante », aurait déclaré Daniel Gustafson, directeur général adjoint de la FAO, selon un article d’Associated Press.

Une fois les combats terminés, a-t-il déclaré, les efforts de l’aide internationale doivent se concentrer sur le secteur agricole afin d’amorcer la reprise dans d’autres secteurs. Le manque d’engrais et de semences est un gros problème : « Vous ne pouvez pas obtenir de semences, vous ne pouvez pas vendre de choses, vous ne pouvez pas échanger, vous ne pouvez pas obtenir de pièces de rechange », a énuméré Gustafson. « Tout est en train de s’effondrer. »

Cependant, les agriculteurs travaillent encore. Le cheptel semble se stabiliser, tandis que le réseau routier de distribution, indispensable au transport des produits vers les marchés des villes et des villages, est en cours de réparation dans certaines régions. 

La voie à suivre

Le rapport FAO/PAM mentionnait « une augmentation des activités agricoles en 2018 par rapport à l’année précédente, principalement en raison d’une sécurité accrue dans de nombreuses régions du pays, de la réouverture de routes et d’un meilleur accès aux marchés ».

L’étude a également révélé que les gens retournaient dans de nombreuses régions, notamment autour d’Alep, Homs et Hama. Certains postes-frontières sont en train de rouvrir, bien que les exportations de produits agricoles soient limitées par l’effondrement des contrôles et réglementations du gouvernement central sur de nombreux produits. 

Les sanctions sur les exportations et les importations syriennes imposées par de nombreux pays constituent un autre handicap pour la renaissance du secteur agricole

Avec la guerre, les structures de réglementation gouvernementales régissant de nombreux produits agricoles se sont effondrées, rendant la vie difficile aux exportateurs.

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Les sanctions sur les exportations et les importations syriennes imposées par de nombreux pays constituent un autre handicap pour la renaissance du secteur agricole. De plus, l’agriculture syrienne était très mécanisée avant le conflit. Aujourd’hui, les agriculteurs sont dans l’incapacité d’acheter des pièces de rechange pour leurs tracteurs. 

La colère et la frustration des agriculteurs ont été l’un des principaux facteurs de la révolte qui a dévasté la Syrie et son peuple au cours des huit dernières années. Le retour à la prospérité pour les agriculteurs est la clé de l’avenir du pays.

Kieran Cooke, ancien correspondant à l’étranger pour la BBC et le Financial Times, collabore toujours avec la BBC et de nombreux autres journaux internationaux et radios.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Kieran Cooke is a former foreign correspondent for both the BBC and the Financial Times, and continues to contribute to the BBC and a wide range of international newspapers and radio networks.
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