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Pourquoi les dirigeants arabes ont-ils accepté l’accord de Trump ?

Les régimes autocratiques comprennent que la cause palestinienne est un cri de ralliement pour les défenseurs internationaux des droits de l’homme – un cri qui pourrait revenir les frapper à l’échelle nationale
Poignée de main entre le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane et le président américain Donald Trump à Osaka (Japon), en juin 2019 (Bandar al-Jaloud/palais royal d’Arabie saoudite/AFP)

Il y a une dizaine d’années, Richard Bulliet, professeur à l’Université Columbia, a donné une conférence sur l’histoire du Moyen-Orient moderne, dans laquelle il s’est livré à une prédiction provocatrice : après un accord de paix israélo-palestinien, les États du Golfe riches en pétrole deviendraient un protectorat israélien. L’Iran serait laissé pour compte. 

Bulliet envisageait une solution permanente au conflit israélo-palestinien sur le modèle du consociationalisme libanais, dans lequel les Arabes palestiniens et les juifs auraient accepté de diviser les pouvoirs de l’État et de les répartir entre les différentes communautés.  

L’« accord du siècle » du président américain Donald Trump repose sur une logique similaire, selon laquelle un accord israélo-palestinien et une alliance entre Israël et les États du Golfe entraîneraient l’isolement de l’Iran. Néanmoins, contrairement à la vision optimiste d’un partage du pouvoir conçue par Bulliet, le plan Trump propose un sombre avenir politique aux Palestiniens.

Expulsion et dépossession

L’accord américain exige des Palestiniens qu’ils renoncent à toutes les revendications historiques découlant de leur expulsion et de leur dépossession orchestrées par les forces sionistes et qu’ils se soumettent à un régime d’apartheid permanent. L’« État » proposé par Trump se moquerait de la notion d’autodétermination palestinienne et ne fonctionnerait que pour décharger Israël de toute responsabilité quant aux conditions de vie misérables dans cette future enclave palestinienne.   

Pourtant, malgré l’illégalité flagrante du plan Trump au regard du droit international, la réaction des États arabes – et en particulier des États du Golfe – a été modérée. Pourquoi ?

Leur disposition à tolérer un plan qui exige une reddition complète des Palestiniens reflète l’ampleur de leur désir désespéré d’obtenir des alliés extérieurs afin de consolider leur régime intérieur

Premièrement, la disposition des États arabes à suivre le plan Trump reflète non seulement leur peur de l’Iran, mais plus fondamentalement leur peur de leur propre population. 

En réponse au Printemps arabe, les régimes autocratiques du monde arabe ont décidé de maintenir leur pouvoir et leurs privilèges à tout prix. Ils comprennent que le maintien de leur stabilité dépend principalement du soutien extérieur.  

Une alliance avec Israël garantirait la poursuite du soutien américain, quelles que soient les mesures qu’ils prennent à l’échelle nationale pour prévenir les mouvements populaires réformateurs ou pour affronter leur propre peuple.

Leur disposition à tolérer un plan qui exige une reddition complète des Palestiniens reflète l’ampleur de leur désir désespéré d’obtenir des alliés extérieurs afin de consolider leur régime intérieur.   

Deuxièmement, la nature autocratique des États arabes en général et des États du Golfe en particulier est fondée sur un contrat social dans lequel les droits sont troqués contre de l’argent. Cela s’apparente à la logique transactionnelle que Trump et Israël proposent aux Palestiniens : la « prospérité » en échange de l’abandon des droits politiques. Des millions de personnes, à la fois arabes et non arabes, sont disposées depuis longtemps à accepter ce compromis pour bénéficier d’un niveau de vie plus élevé dans le Golfe.    

Détruire les réseaux de solidarité

Troisièmement, du point de vue des États arabes autocratiques, le mépris flagrant du plan Trump pour les droits des Palestiniens pourrait être une caractéristique plutôt qu’un problème. Les autocraties arabes pourraient se rendre compte que toute insistance sur l’inaliénabilité des droits pourrait avoir des répercussions négatives sur leur propre régime.  

Les autocraties ne peuvent survivre que dans une atmosphère de manque de respect envers le droit. Leur indifférence à l’égard des droits des Palestiniens est cohérente avec leur indifférence à laisser les droits de l’homme former la base de leur propre politique intérieure ou étrangère. Le plan Trump affirme la supériorité du pouvoir sur le droit, un principe crucial pour la survie des autocraties arabes.    

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Des manifestants palestiniens brûlent des silhouettes en carton de Trump, du secrétaire d’État américain Mike Pompeo et du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, en novembre à Naplouse (AFP)

Enfin, ces autocraties arabes ont également un intérêt à long terme à l’idée d’enterrer la problématique palestinienne. 

La question de la Palestine forme le cri de ralliement le plus efficace pour la solidarité interarabe, intermusulmane et même internationale. Néanmoins, les autocraties dépendent de la destruction des réseaux de solidarité indépendants et de la création d’individus isolés et indifférents au sort de leurs concitoyens.  

Malgré ses échecs, le Printemps arabe a montré l’unité de la culture politique arabe et le désir commun d’un grand nombre de citoyens de transformer leur société sur une base démocratique. 

Pour éviter que ce moment révolutionnaire ne se reproduise, les autocraties arabes ambitionnent de supprimer de leur société toutes les sources de solidarité autres que celles que le régime peut contrôler en toute sécurité.  

L’autocratie plutôt que la démocratisation

Si le peuple continue de reconnaître la cause palestinienne comme sacrée, cela ne fait que porter atteinte à la légitimité des autocraties arabes en encourageant les réseaux de solidarité transnationaux et fondés sur les droits entre les populations arabophones. 

Mettre fin à la cause palestinienne compromet ainsi les ressources morales disponibles pour la résistance démocratique à l’autocratie dans le monde arabe.  

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Tragiquement, le monde arabe – et en particulier les États du Golfe – pourrait résister de manière crédible à l’impérialisme iranien et à l’agression sioniste si ces régimes étaient prêts à abandonner l’autocratie et à émanciper leur propre peuple. Malheureusement, ils ont choisi l’autocratie plutôt que la démocratisation.  

Leur disposition à accepter le plan Trump est non seulement un signe avant-coureur de nouvelles luttes pour les Palestiniens, mais aussi un signal clair envoyé aux peuples du monde arabe selon lequel leurs dirigeants sont prêts à prendre des mesures extrêmes pour préserver leur pouvoir et leurs privilèges.    

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Mohammad H. Fadel est professeur de droit à l’Université de Toronto. Il a publié de nombreux articles sur l’histoire juridique islamique, la théologie et l’islam ainsi que le libéralisme.
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