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La loi séparatisme d’Emmanuel Macron a institutionnalisé l’islamophobie d’État en France

Fermetures arbitraires d’associations, d’écoles, de mosquées, intrusions récurrentes dans le culte musulman, mesures répressives contre des imams. Pleinement assumée par Emmanuel Macron, la loi dite « séparatisme » marque un net recul des libertés de culte, de conscience et d’association en France
Sous le mandat du président actuel Emmanuel Macron, la France a basculé dans un autoritarisme qui cible en particulier les musulmans (AFP/Ludovic Marin)
Le président français Emmanuel Macron, décrit comme « illiberal » par le Financial Times (AFP/Ludovic Marin)

La France n’est pas une dictature. C’est là une certitude incontestable. Elle n’est pas non plus ce grand pays de liberté et des droits de l’homme, comme d’aucuns aiment à le répéter ad nauseam.

La France n’est ni la Chine ni la Birmanie ni l’Inde, pas plus que les musulmans de France ne sont les Ouïghours, les Rohingyas, les Cachemiris ou plus généralement les musulmans sous le régime de Narendra Modi. Il serait obscène d’assimiler la situation des premiers à ces minorités musulmanes qui subissent respectivement le joug de Beijing, de Naypyidaw et de New Delhi.

La France ne détruit pas de mosquées contrairement à la Chine au Turkestan oriental, pas plus qu’elle n’enferme des millions de musulmans afin de les traiter contre cette maladie mentale que serait l’islam. À la différence des imams ouïghours, les imams hexagonaux ne sont pas non plus pourchassés en vue d’être emprisonnés après des simulacres de procès. Les femmes de confession musulmane en France ne sont pas non plus sous le coup d’une campagne de stérilisation massive. On ne déplore ni pogroms, ni brimades, ni génocide culturel, ni nettoyage ethnique, etc.

La France n’est pas une dictature […] Malgré tout, sous le mandat du président actuel Emmanuel Macron, la France a basculé dans un autoritarisme qui cible en particulier les musulmans

Malgré tout, sous le mandat du président actuel Emmanuel Macron, la France a basculé dans un autoritarisme qui cible en particulier les musulmans. Les mesures mises en place dans le cadre de la lutte contre le « séparatisme », avant l’adoption de la loi éponyme (officiellement dite loi « confortant le respect des principes de la République ») comme après, empruntent assurément moins aux démocraties respectueuses des libertés individuelles (liberté religieuse, liberté de conscience, liberté d’association, etc.) qu’aux régimes autoritaires, qui font peu de cas des droits humains.

S’il faut donc savoir raison garder et éviter de verser dans des comparaisons outrancières, si l’autoritarisme d’Emmanuel Macron, président « illiberal » selon le Financial Times, ne confine pas à celui de Xi Jinping, pas plus qu’à celui de Narendra Modi ou de la junte birmane, cela n’autorise pas à balayer d’un revers de main les atteintes, en France, à certaines libertés fondamentales.

Mosquées, associations, écoles fermées arbitrairement

« La France se bat contre le “séparatisme islamiste” – jamais contre l’islam », écrivait Emmanuel Macron, le 4 novembre 2020, dans une lettre au Financial Times. Un mois plus tôt, le président prononçait son discours aux Mureaux (Yvelines) contre le « séparatisme ». Ce concept aux contours volontairement flous, depuis lors alpha et oméga de l’action du gouvernement contre les communautés musulmanes, sera au cœur d’une campagne de communication, menée tambour battant.

Dès décembre 2020, tout juste une semaine avant de présenter en Conseil des ministres le projet de ce qui deviendra plus tard la loi « confortant le respect des principes de la République », le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin annonce dans les médias « lancer une action massive et forte » contre 76 mosquées.

S’agissait-il de fermer des repaires de terroristes, de neutraliser des cellules dormantes, de débusquer des imams préparant leurs fidèles à la lutte armée ? Rien de tout cela : un an plus tard, en décembre 2021, le ministère de l’Intérieur indiquera avoir fermé 21 mosquées « du fait de prescriptions administratives, d’une décision judiciaire, d’une reprise de bail, de travaux ou d’une fermeture administrative ».

La débauche de moyens déployés ne vise pas à prévenir le pays de nouvelles attaques terroristes, mais à laisser accroire à l’opinion publique que le gouvernement agit contre une menace intérieure réelle. S’en prendre aux communautés musulmanes permet ainsi à Emmanuel Macron de se poser en chef de guerre et protecteur des Français, quand bien même les cibles choisies n’auraient aucun lien avec le terrorisme.

S’en prendre aux communautés musulmanes permet ainsi à Emmanuel Macron de se poser en chef de guerre et protecteur des Français, quand bien même les cibles choisies n’auraient aucun lien avec le terrorisme

Citons trois exemples emblématiques.

9 décembre 2020. Alors que le projet de loi « confortant les principes républicains » est présenté en Conseil des ministres, la préfecture de police et le parquet de Paris annoncent conjointement dans un communiqué la fermeture du groupe scolaire Meo High School Paris (MHS Paris). L’établissement se dit aconfessionnel.

Sa fermeture, vivement contestée par ses responsables, choquera jusque parmi des élus parisiens. La pilule est d’autant plus difficile à avaler qu’une association communautaire et une école confessionnelle ont remplacé MHS dans ses propres locaux, sans que les travaux qui ont, entre autres, motivé la fermeture de l’établissement n’aient pourtant été réalisés.

8 juillet 2021. Le président de l’association Ennour, en charge de la mosquée de Gennevilliers (92), est convoqué par la préfecture sur ordre de Gérald Darmanin. Le ministre de l’Intérieur veut la tête d’un des imams : Mehdi Bouzid, accusé d’avoir livré « un prêche au contenu très vindicatif, comportant notamment des propos contraires à l’égalité femme-homme ».

Dans son sermon, consacré à la pudeur, l’imam s’adressait tant aux femmes qu’aux hommes. En outre, comme le rappellera son avocat, Sefen Guez Guez, si le prêche « avait été susceptible d’être qualifié pénalement, on aurait eu des poursuites judiciaires. Or, cela n’a pas été fait ». Mehdi Bouzid décidera de porter plainte contre Gérald Darmanin.

La mosquée de Beauvais, dans le nord de la France, le 28 décembre 2021. La France a ordonné la fermeture pendant six mois de ce lieu de culte musulman en raison de la nature radicale de la prédication de son imam, selon les autorités régionales (AFP/François Lo Presti)
La mosquée de Beauvais, dans le nord de la France, le 28 décembre 2021, fermée pendant six mois en raison de la nature radicale de la prédication de son imam, selon les autorités régionales (AFP/François Lo Presti)

14 mars 2022. La préfète de la Gironde accuse la mosquée Al Farouk de Pessac « de promouvoir un islam radical et une idéologie salafiste » et ordonne sa fermeture pour une période temporaire de six mois. L’ordre vient en réalité du ministère de l’Intérieur. Comme cela apparaîtra lors du référé-liberté devant le tribunal de Bordeaux, puis plus récemment devant le Conseil d’État, c’est en réalité Ridouane Abdourahmane, président du Rassemblement des musulmans de Pessac, gestionnaire de la mosquée, qui est dans le viseur.

La quasi-totalité du dossier d’accusation, élaboré par le ministère de l’Intérieur et présenté par la préfecture, vise en effet ses publications Facebook en soutien aux Ouïghours, aux Palestiniens ou encore aux musulmans indiens, tout comme sa dénonciation de la loi « séparatisme » et de l’islamophobie d’État.

Suspendu le 23 mars par la justice, l’arrêté de fermeture de la mosquée fera l’objet d’un recours par le ministère de l’Intérieur ; recours rejeté, un mois plus tard, par le Conseil d’État. Pour l’institution, « la préfète de la Gironde a pris une mesure de police qui porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte ».

L’impossible bilan de la loi séparatisme

Un rapide examen de l’ensemble des mesures coercitives annoncées le plus souvent avec fracas dans les médias permet de faire le constat suivant : le gouvernement choisit systématiquement « la sanction administrative pour suppléer une absence de preuve manifeste », comme le relève maître Guez Guez.

Nous aurions pu citer la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et celle de l’ONG Baraka City, l’arrestation au petit matin d’enfants soupçonnés d’apologie du terrorisme, ou encore ces nombreux commerces, entreprises, associations repérés, ciblés et harcelés par les services de l’État, non pas à cause d’activités subversives ou de liens avec le terrorisme, mais vraisemblablement parce que tenus par des musulmans. Combien exactement ? Nul ne le sait ni ne peut le savoir.

Contactée par la journaliste Camille Polloni, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a estimé « que le ministère de l’Intérieur n’a[vait] pas à transmettre […] la liste des centaines de lieux soupçonnés de “séparatisme” ayant été fermés par les autorités ». Cette obstruction, volontaire et assumée, fait l’affaire du gouvernement, qui peut ainsi continuer à dérouler sa communication sans rendre aucun compte ni permettre en premier lieu aux journalistes de vérifier le bilan de cette lutte « anti-séparatisme ».

Cette opacité tranche avec la mise en scène et la frénésie avec lesquelles Gérald Darmanin au premier chef communique et intervient dans les médias : point d’orgue de sa vaste campagne de communication, un numéro de l’émission « Zone interdite » sur M6 aura des allures – là encore assumées – de publireportage à la gloire de l’action du gouvernement.

Pourtant si prompts à criminaliser et à réprimer tout un pan de la société, Emmanuel Macron comme ses ministres les plus zélés, Gérald Darmanin, Jean-Michel Blanquer et Marlène Schiappa, n’ont guère donné de la voix contre les actions violentes d’une extrême droite décomplexée ou de séparatistes historiques qui revendiquent ostensiblement leur volonté de faire sécession d’avec la France.

Des séparatismes qui n’en seraient plus

Amenée le 11 septembre 2020 sur France Info à préciser ce qu’est le « séparatisme », Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la Citoyenneté, indiquera qu’il s’agit de « la manière de s’organiser de manière hostile et violente à la République ».

Quatre jours plus tôt, sur RTL, la ministre livrait la définition suivante : « Le séparatisme, celui contre lequel on lutte au gouvernement, c’est l’action de constituer un groupe qui a pour but de s’organiser en marge de la République et de manière hostile à la République, et souvent, de façon violente. » Lorsque la journaliste lui demande s’il s’agit des « Corses, [des] Basques, [des] islamistes », la ministre répond : « […] qu’on laisse les Corses un peu tranquilles, s’il vous plaît, ils n’ont rien demandé… »

L’histoire retiendra qu’en institutionnalisant l’islamophobie d’État au travers de la loi « séparatisme », l’hôte de l’Élysée aura considérablement renforcé l’extrême droite en France

Ces déclarations survenaient pourtant quelques semaines seulement après l’attentat contre la gendarmerie de Montesoro à Bastia, revendiqué par le Front de libération nationale corse (FLNC). De même, après le meurtre d’Yvan Colonna, les menaces explicites de reprise de la lutte armée contre l’État français par l’organisation terroriste ne susciteront aucune condamnation de Marlène Schiappa ou de Gérald Darmanin, qui ne ratent pourtant jamais une occasion de tweeter lorsqu’il s’agit d’agonir les musulmans.

Si les émeutes et les revendications explicitement séparatistes qui ont suivi la mort du meurtrier du préfet Claude Érignac ont jeté une lumière crue sur le deux poids, deux mesures du gouvernement, plusieurs autres faits divers ont donné à voir ce traitement différencié.

Ni les menaces de mort contre des journalistes et des personnalités politiques (dont Jean-Luc Mélenchon et Danièle Obono), ni le projet d’attentat d’un groupe néonazi contre, entre autres, une loge maçonnique, des lieux institutionnels, des centres de vaccination, des personnalités et des journalistes, ni même son projet de coup d’État n’ont suscité autant de réactions du gouvernement – comme de la classe politique et de l’ensemble des médias français – que les accusations portées contre des individus et associations musulmanes, par la suite démenties.

Ce traitement différencié comme le régime d’exception subi par les communautés musulmanes et la dérive autoritaire d’Emmanuel Macron auraient pu coûter très cher au président sortant lors du dernier scrutin. En menant une politique d’extrême droite contre les communautés musulmanes, ce dernier s’est aliéné toute une partie de ces électeurs qui, en 2017, avaient voté pour lui.

Après avoir soutenu massivement Jean-Luc Mélenchon au premier tour, nombre d’entre eux revendiquaient, dans l’entre-deux-tours, vouloir voter pour Marine Le Pen, avant tout pour priver de la magistrature suprême celui qui, trahissant ses promesses de campagne, a versé dans un illibéralisme régulièrement dénoncé dans la presse internationale.

Emmanuel Macron aurait pu être battu. Il a remporté la présidentielle. Malgré tout, l’histoire retiendra qu’en institutionnalisant l’islamophobie d’État au travers de la loi « séparatisme », l’hôte de l’Élysée aura considérablement renforcé l’extrême droite en France, dès lors installée durablement, à un niveau jamais atteint, dans l’espace politique.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Fateh Kimouche est un journaliste et conférencier franco-algérien. Diplômé des universités de Grenoble (France) et de Genève (Suisse) en philosophie, il est le fondateur du site d’informations Al-Kanz. Ses sujets de réflexion sont l’économie islamique, la politique, la consommation et l’entrepreneuriat. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AlKanz.
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