À Alger, le 8 mars devient une « autre fête d’indépendance »
« Il faut faire tomber le système ! ». « Ce peuple ne veut ni de Saïd [le frère du président] ni de Bouteflika ! », « Ouyahia [le Premier ministre] ! L’Algérie n’est pas la Syrie ! ». Les manifestants n’ont pas attendu la fin de la prière du vendredi pour se retrouver dans les rues d’Alger centre. Dès midi, des centaines de personnes, hommes, femmes et enfants, ont commencé à affluer, répondant à des appels anonymes lancés sur les réseaux sociaux. Couvrant les youyous et les klaxons, ils scandaient des slogans contre le cinquième mandat, mais aussi contre le système, défiant les mises en garde sur les risques de « chaos » lancées la veille par le président Bouteflika, hospitalisé à Genève depuis le 24 février. Ce vendredi, c’est aussi à Genève que le fantasque homme d’affaires omniprésent sur les réseaux sociaux, qui a tenté de se présenter à la présidentielle, Rachid Nekkaz, a été interpellé pour avoir fait irruption dans l’hôpital où est soigné le chef de l’État.
Une particularité ce vendredi : la présence plus importante de femmes parmi les marcheurs. Dès le début de la manifestation, des groupes de femmes d’âges différents ont déboulé sur les principaux axes de la ville avec un drapeau et une fleur à la main. Des jeunes filles, voilées ou en tenue de sport, chantent la démocratie. De vieilles dames ont remplacé leur hayek (voile blanc traditionnel algérois) par un drapeau algérien. « C’est la journée de la femme, mais c’est surtout la journée de la dignité des Algériennes ! », témoigne l’une d’elles, sortie avec sa fille. « Nos aînées ont fait la révolution [contre la France], nous nous battons pour nos enfants contre la mafia au pouvoir ! »
Les manifestants, bloqués par les forces antiémeutes, se retrouvent concentrés sous le tunnel des facultés et la place Maurice-Audin, dans l’hypercentre d’Alger. Il faut presque une heure pour parcourir 200 mètres. Les ultras, ces supporters des grands clubs de football, animent la marche de leurs chants et de leurs fumigènes. Tout le monde reprend notamment la chanson de l’USMA, grand club algérois : « La Casa d’El Mouradia ». Il y est question palais présidentiel d’El Mouradia, siège de la présidence de la République, auquel tentent d’accéder les jeunes manifestants. La chanson, mélancolique, reprend le titre de la célèbre série Netflix, La Casa de papel, comparant le cinquième mandat à un grand hold-up.
Les manifestations ont adopté les mots d’ordre des appels anonymes qui prévenaient contre tout slogan régionaliste, religieux ou partisan. Le régionalisme comme menace à l’intégrité nationale est un autre argument régulièrement utilisé par le pouvoir pour justifier les interdictions des marches, en particulier dans la capitale.
Alger n’avait pas vu ça depuis la qualification de l’Algérie à la Coupe du monde en 2009. Des enfants, habillés du drapeau algérien, défilent avec leurs familles. « C’est une fois de plus une occasion de montrer à ce pouvoir que nous ne craignons pas ses menaces ! Nous sommes venus manifester pacifiquement et nous n’avons pas peur des policiers, car nous savons qu’ils pensent la même chose que nous », témoigne Ghania.
« J’ai foi en mon droit à ma liberté et à la liberté de vivre de mon pays. Et cette foi est plus forte que n’importe quelle arme », peut-on lire sur la pancarte de la de fortune de ce jeune Algérois. La manifestation est aussi l’occasion d’improviser des slogans et des pancartes fabriquées avec des amis, en famille à la maison ou à même la rue. Sur les réseaux sociaux sont partagés les plus osés – « Le clan Boutef’ n’aura même pas notre soutien-gorge » ! –, les plus émouvants – « Je suis mandaté par mon épouse assassinée par les terroristes pour dire au système : ‘’Dégage !’’ » –, les plus créatifs – « Il n’y a que Chanel pour faire le numéro 5 » – ou les plus politiques : « Chers État-Unis, il n’y a plus de pétrole, alors restez loin de nous, sauf si vous voulez de l’huile d’olive ».
Sur cette photo, la femme de gauche au premier plan brandit une pancarte faisant référence aux « martyrs », ces Algériens morts pour l’indépendance de leur pays contre la France. À l’arrière-plan, la pancarte en arabe interpelle deux héros de la guerre d’indépendance : « Amirouche et Didouche, l’Algérie a été mangée par des monstres ! ». La pancarte tenue par la femme de droite fait référence au mandat à vie que souhaite imposer le chef de l’État.
En début d’après-midi, les forces antiémeutes qui gardaient l’accès au boulevard Mohammed VI, axe conduisant vers les hauteurs d’Alger et le palais présidentiel d’El Mouradia, cèdent sous la pression de la foule, laissant passer quelques dizaines de manifestants. Alors que le cortège s’est dispersé calmement et que les rues se vidaient à la tombée de la nuit, des heurts opposaient, comme les deux semaines passées à la fin de la manifestation, de petits groupes de jeunes aux policiers. La police a déclaré 112 blessés dans ses rangs et 195 interpellations.
« Silmiya » est un slogan récurrent depuis le 22 février. Ce mot signifie « pacifique », une manière de contrecarrer le discours officiel qui a bâti tout un argumentaire sur le risque de dérives violentes, ce que l’opposition dénonce comme un chantage à la peur. Les autorités tentent régulièrement de faire le parallèle avec le déclenchement de la guerre civile des années 1990 ou les situations de chaos en Libye ou en Syrie. Sur les réseaux sociaux les « dix-huit commandements des marcheurs du 8 mars », signés du poète et écrivain Lazhari Labter rappelait : « Pacifiquement et tranquillement je marcherai », « À aucune provocation je ne répondrai », « Pas une pierre je ne jetterai », «Après la marche, je nettoierai ».
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