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Le cinquième mandat est mort

Le président Bouteflika n’est plus dans le coup. Une autre phase est en cours d’élaboration. Elle aura lieu sans lui
Manifestation en Algérie contre le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika (MEE/Dalia Ghanem)

Alors que l’Algérie s’apprête à vivre, vendredi 8 mars, son troisième week-end de protestation contre une éventuelle candidature du président Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat, les événements s’enchaînent pour montrer que le maintien du chef de l’Etat est devenu « une impossibilité politique ».

Chaque jour, chaque heure, annonce un nouveau coup de pioche dans ce qui devait être une présidence à vie en faveur du président Bouteflika, 82 ans, fortement diminué, hospitalisé en Suisse depuis le 24 février.

Mercredi, deux puissantes organisations qui, traditionnellement, font organiquement partie du pouvoir, ont fait défection pour passer dans l’opposition au président Bouteflika.

L’Organisation nationale des moudjahidine (ONM), regroupant les vétérans de la guerre de libération, a lâché le président Bouteflika auquel elle impute « la responsabilité de la situation actuelle », marquée par d’imposantes manifestations organisées vendredis 22 février et 1er mars, puis durant toute la semaine, pour dénoncer la candidature du chef de l’État pour un nouveau mandat après déjà vingt ans de règne.

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Excédée par les milieux d’affaires qui gravitent autour du chef de l’État, l’Organisation des moudjahidine a dénoncé une « alliance contre nature entre des parties influentes au pouvoir et un groupe qui s’est autoproclamé comme une force d’investissement ».

Le même appui aux manifestants a été apporté par l’association des anciens du MALG (ministère de l’Armement et des Liaisons générales), structure qui a donné naissance aux services spéciaux algériens.  

« Le peuple a déjà voté le rejet pur et simple du cinquième mandat et tout ce qui va avec », affirme un communiqué de cette organisation, estimant que « devant cet élan irrésistible et cette volonté exprimée, il n’y a plus de place pour les atermoiements et manœuvres dilatoires perpétuant un système qui a atteint des limites et qui risque de mener le pays à l’aventure et aux plus graves périls ».

Disqualifier l’élection

La défection de ces deux organisations a marqué un temps fort dans le discrédit de l’élection présidentielle du 18 avril prochain, qui a perdu toute signification. L’ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), M. Saïd Sadi, a ainsi estimé que « le cinquième mandat est dépassé, c’est la suite des événements qu’il faut voir maintenant ».

La rue a découvert sa force, et elle ne veut plus lâcher prise. La rue a surtout révélé un visage insoupçonné de la société algérienne, avec des manifestants organisés, pacifiques, faisant preuve d’un rare civisme

Ce travail de disqualification du cinquième mandat a été mené simultanément sur quatre fronts. Le premier, qui a tout déclenché, s’est déroulé dans la rue. Suite à des appels anonymes sur les réseaux sociaux, l’Algérie a basculé vendredi 22 février, lorsque des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans les principales villes du pays, dans une ambiance bon enfant, pour refuser le cinquième mandat. Vendredi 1er mars, la contestation a pris encore plus d’ampleur, relayée ensuite par les étudiants qui ont débrayé tout au long de la semaine écoulée.

La rue a découvert sa force, et elle ne veut plus lâcher prise. La rue a surtout révélé un visage insoupçonné de la société algérienne, avec des manifestants organisés, pacifiques, faisant preuve d’un rare civisme.

Les opposants renoncent à la candidature

Face à cette irruption de la rue, des candidats potentiels à l’élection présidentielle ont trouvé une issue honorable à l’impasse dans laquelle ils se trouvaient. Tous savaient qu’ils n’avaient aucune chance dans un scrutin auquel participerait le chef de l’État, qui serait certain d’être réélu grâce aux partis de la majorité présidentielle mais aussi grâce au poids de l’administration et à l’émiettement de l’opposition.

Ils ont donc tiré profit de l’aubaine pour se rapprocher de la rue et éviter d’aggraver le discrédit qui touche la classe politique algérienne, opposition comprise.

Ali Benflis, président de Taalaie El-Houriate, ancien Premier ministre de M. Bouteflika, candidat contre ce dernier en 2004 et 2009, a ainsi entamé les démarches pour déposer sa candidature, avant de se rétracter.

Abderrezak Makri, président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), a de son côté formellement déposé son dossier de candidature avant la date limite du 3 mars, mais il a, tout comme M. Abdelaziz Belaïd, président du parti El-Moustaqbal, annoncé qu’il se retirerait si M. Bouteflika était candidat. Or, le chef de l’État en exercice a fait déposer son dossier de candidature le 3 mars au soir par son directeur de campagne, l’ancien ministre des Transports Abdelkader Zaalane.

Un état de santé préoccupant

L’absence de M. Bouteflika lors du dépôt de son dossier a donné lieu à une vive polémique sur la légalité de la procédure. Mais derrière la procédure, se pose la question de fond : M. Bouteflika est-il apte à être candidat et, éventuellement, à diriger le pays, malgré son état de santé ?

Officiellement, le président Bouteflika s’est rendu en Suisse le 24 février pour « des examens de routine ». Ces visites duraient d’habitude quelques jours. Cette fois-ci, le séjour est nettement plus long, alors que la presse suisse évoque un état de santé préoccupant.

Au final, le président Bouteflika apparaît comme un homme bien seul. D’autant plus seul que des rumeurs insistantes font état d’ennuis de santé dont souffrirait son frère Saïd, considéré comme le vrai régent du règne de Bouteflika

Sérieusement diminué depuis son AVC d’avril 2013, incapable de se mouvoir de manière autonome et de se déplacer, ne pouvant faire de discours ni parler d’une voix audible, M. Bouteflika souffrirait de troubles nécessitant un suivi permanent, selon la presse suisse.

Pour les opposants algériens comme pour la rue, cela devrait largement suffire pour invalider sa candidature. Problème : c’est le Conseil constitutionnel qui valide les candidatures. Or, le président de cette institution, M. Tayeb Belaïz, nommé il y a moins d’un mois, est un fidèle du président Bouteflika, auquel il doit l’essentiel de sa carrière.

Le Conseil constitutionnel doit publier dans une semaine, le 14 mars, la liste définitive des candidats, au cas où le processus électoral serait maintenu. Ce sera un rendez-vous décisif pour l’évolution du pays.

Isoler Bouteflika

Le quatrième front de la disqualification est mené par une partie du pouvoir qui, hostile au président Bouteflika, a choisi d’engager un travail parallèle pour « effeuiller » les soutiens de de ce dernier. Personnalités, cercles, lobbies et organisations traditionnellement acquis au chef de l’État ont été poussés à déserter les rangs.

Quand il n’est pas possible de pousser une organisation à changer de bord, des personnalités en vue en son sein sont exhortées à rejoindre les rangs des opposants. Cela va des organisations comme l’ONM et les anciens du MALG, aux personnalités historiques, comme la moudjahida Zohra Drif Bitat, en passant par les dirigeants d’organisations gravitant dans la proximité immédiate du cercle Bouteflika, à l’instar des dirigeants du Forum des chefs d’entreprises ou de ceux du syndicat UGTA.

Abdelmalek Sellal, directeur de campagne de M. Bouteflika, dont il a été le Premier ministre et plusieurs fois ministre, a été l’un des premiers à quitter le navire.

C'est une certitude, Abdelaziz Bouteflika n’est plus le centre du pouvoir
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Au final, le président Bouteflika apparaît comme un homme bien seul. D’autant plus seul que des rumeurs insistantes font état d’ennuis de santé dont souffrirait son frère Saïd, considéré comme le vrai régent du règne de Bouteflika.

Difficile, dans ces conditions, d’envisager une candidature du président Bouteflika pour la présidentielle du 18 avril. Encore plus difficile d’envisager une victoire : comment gérer les affaires du pays, alors que l’Algérie est d’ores et déjà au bord de la rupture ?

Tout ceci a créé un sentiment tel que le maintien du président Bouteflika au pouvoir est perçu comme impossible, aussi bien au sein de l’opinion que dans de larges cercles de l’administration.

« Avec Bouteflika, l’Algérie n’est plus gérable », estime un ancien ministre. « En le maintenant, le pouvoir mettrait en péril le pays, et mettrait en péril ses propres intérêts », ajoute-t-il.

Une certitude s’impose alors. Le président Bouteflika n’est plus dans le coup. Une autre phase est en cours d’élaboration. Elle aura lieu sans lui. C’est une question de jours, de semaines. La seule inconnue, aujourd’hui, est de savoir comment lui aménager une porte de sortie sans trop de dégâts.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Abed Charef est un écrivain et chroniqueur algérien. Il a notamment dirigé l’hebdomadaire La Nation et écrit plusieurs essais, dont Algérie, le grand dérapage. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbedCharef
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